26 avril 2010


COMPTE RENDU D’OBSERVATION JUDICIAIRE DU PROCÈS EN APPEL DES MILITANTS DE L’UGET

Dans le cadre de l’intérêt particulier qu’il accorde à la cause de la jeunesse étudiante militante, le CRLDHT, en association avec : le Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme REMDH), et la Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR), a donné mandat à Maître Houcine BARDI (Avocat au Barreau de Paris), pour accomplir une mission d’observation judiciaire, dans le cadre du procès en appel intenté contre les 20 militants de l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) dans les affaires N° 6920 ; 6921 ; 6922, qui a eu lieu le samedi 10 avril 2010 devant la Cour d’Appel de Tunis.

Le procès en appel dans les trois affaires —jointes— N°6920 ; 6921 ; 6922, concernant les 20 militant(e)s de l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) a eu lieu le 10 avril 2010 (vers 09h30), devant la Cour d’Appel de Tunis.

9 parmi les 20 condamnés en première instance devaient comparaître libres. Certains d’entre eux ont manqué à l’appel, sachant —sans doute— que leurs avocats allaient solliciter le renvoi.

En effet, lors du procès de première instance (14 et 21 /12/09), certain(e)s étudiant(e)s avaient bénéficié, ou d’un non-lieu, ou de la liberté conditionnelle. Les 11 autres, ayant été condamnés (avec mandat de dépôt) à des peines allant de un an à trois ans d’emprisonnement (outre les peines d’amende : 9,600 DT (sic)), ont donc comparu en état de détention « préventive ».

Il convient de prime abord de signaler le non respect partiel du principe de publicité, dans la mesure où certains membres des familles, ainsi qu’un grand nombre d’étudiants ayant souhaité, par solidarité vis-à-vis de leurs collègues détenus, assister au procès, ont été interdits d’accès à la Cour d’Appel.

Le « filtrage » du droit d’accès à la salle d’audience (remplit « à craquer » par le public… composé pour partie non négligeable de policiers en uniforme et en civil…) a été d’une absurdité telle qu’un avocat (maître ALLAGUI) interdit arbitrairement d’accès, a dû crier très fort pour que ses confrères, à l’intérieur de la salle d’audience, l’entende et exigent du président de la Cour qu’il puisse entrer…

Les étudiants refoulés, se sont rassemblés devant le siège de la Cour en scandant des mots d’ordre militants et des chansons engagées, dont l’écho nous est parvenu jusqu’en salle d’audience. Très rapidement les policiers sont intervenus brutalement pour les disperser en usant de moyens répressifs totalement disproportionnés ; deux étudiants (Abdelaziz HACHEMI, et Khaled HADDAJI) ont été, d’après des témoins, gravement blessés et transportés à l’hôpital…

La Cour présidée par le juge HDHILI, a fait entrer les prévenus (au nombre de 11) escortés par un grand nombre de policiers.

Me NASRAOUI (Radhia) a été la première à prendre la parole pour plaider (1) le report de l’audience et (2) la remise en liberté conditionnelle de l’ensemble des détenus. Lors de sa plaidoirie, la célèbre Avocate défenseur des droits de l’homme, a rappelé les circonstances dans lesquelles les étudiants ont été interpellés, tout en insistant sur le caractère éminemment politique du procès, eu égard à l’atteinte « flagrante » au droit syndical entachant l’affaire. Tous les détenus sont, en effet, ou des délégués syndicaux étudiants ou des militants appartenant à l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET).

Les faits remontent au mois d’octobre 2009, lorsque 180 étudiantes (de la Tunisie profonde) ont protesté de n’avoir pas pu bénéficier de chambres dans les foyers universitaires, se retrouvant ainsi dans la rue, sans-abris…

Les représentants de l’UGET, de par leur rôle syndical de défense des intérêts moraux et matériels des étudiants, ont alors apporté leur soutien aux étudiantes concernées. Un sit-in de presque trois semaines, a été organisé dans la Résidence Universitaire AL BASSATINE, au cours du mois d’octobre.

Le 1er novembre 2010, une intervention « musclée » des forces de l’ordre a mis fin au sit-in, en procédant à de nombreuses interpellations parmi les étudiant(e)s. Les principaux chefs d’inculpation retenus à leur encontre, par le Parquet, concernent :

1) L’entrave à la liberté de travail

2) Le vol simple

3) Le tapage

4) La dégradation du bien d’autrui

Maitre NASRAOUI s’est employée à démontrer au magistrat le non-fondé « évident » de l’inculpation, ainsi que « l’incompatibilité » du statut d’étudiant (a fortiori syndiqué…) avec la détention pour des faits qui ne relèvent, en réalité, en aucun cas du droit commun (la défense pacifique du droit au logement des étudiantes qui en ont été exclues…), pour aboutir, enfin, à la « nécessaire » remis en liberté dès 11 détenus, afin de « corriger l’injustice révoltante dont ils ont été victimes en première instance… »

Plusieurs autres avocats, dont Mes : Mondher CHARNI, Ayachi HAMMAMI, Faouzi BEN MRAD, Bassam TRIFI, Abdennasser AOUINI, Mohamed ABBOU… Une dizaine, ont martelé les mêmes arguments en y ajoutant (Me HAMMAMI) « le caractère exceptionnel de la détention provisoire, auquel il ne doit être fait recours que lorsque les garanties de représentation ne sont pas fournies, ou qu’il y a risque d’interférence avec l’instruction (pressions sur les témoins, etc.) », laquelle avait été clôturée depuis…. le mois de décembre 2009 ! D’où le caractère totalement injustifiée de la détention ordonnée par le juge.

Il est à signaler que pendant l’audience, un grand nombre de constitutions de nouveaux avocats a eu lieu (une vingtaine à peu près…).

Nous avons pu constater que la défense s’est exprimée sans entraves. Les avocats ont pu, il est vrai, développer librement les arguments militant en faveur de la remise en liberté de leurs « clients ».

Il a été notamment rappelé, que l’année 2010 a été déclarée par les autorités tunisiennes « ANNÉE DE LA JEUNESSE », et que ce n’est nullement en embastillant arbitrairement des étudiantes et des étudiants, représentant ou se réclamant d’un syndicat reconnu, qui plus est n’ont commis aucun crime ni délit si ce n’est celui de revendiquer/défendre « le droit au logement », que l’on fête la jeunesse tunisienne…

Les avocats de la défense ont également évoqué à titre d’exemple (Me ABBOU) ce qui s’est passé en Grèce et ailleurs dans le monde (notamment en France), sans que les autorités des pays concernés ne recourent à la brutalité policière ou n’instrumentalisent l’appareil judiciaire pour châtier leur jeunesse en colère… Voire même révoltée…

Tous les avocats se sont accordés à plaider que la place « naturelle et normale » des étudiants qui comparaissaient devant leurs seconds juges, n’est pas la prison, mais les bancs des universités (Me TRIFI)… L’un d’entre eux (Me AOUINI) est allé jusqu’à dire, ironiquement, que la justice tunisienne devrait leur rendre hommage et les récompenser pour avoir courageusement défendu un droit légitime reconnu par la Constitution… « Ils sont la fine-fleur de la jeunesse, l’espoir le plus lumineux de notre peuple et de notre pays… »

La « perte de chance » de réussir l’année universitaire en cours, à cause de la privation arbitraire de liberté, a également été évoquée par les avocats de la défense…

On a pu dire plus haut que la défense s’est exprimée librement. Tel n’est, cependant, pas le cas des prévenus. En effet, à l’exception de trois étudiants qui ont « arraché » (pour ainsi dire) la parole à la Cour, les autres en ont été privés. Certains rétorqueront, sans doute, qu’il ne s’agissait pas d’une audience de plaidoiries au fond, mais d’une demande de renvoi doublée d’une demande de remise en liberté. Il convient de rappeler à ce propos que l’affaire n’est pas ordinaire ; que les prévenus-étudiants avaient été brutalement réprimés en cours d’audience lors de leur passage devant les premiers juges (la MANNOUBA le 14/12/2009) ; qu’ils ont été torturés durant leur garde à vue ; que les conditions de détention présentent toutes les caractéristiques du traitement inhumain et dégradant…

Que compte tenu de tous ces éléments, il était à la fois indispensable et urgent que le président de la Cour d’Appel les entende, pour la première fois, en leurs explications.

L’un des trois étudiants qui ont réussi à parler en audience, Zouheir Dhouidi, (condamné en première instance à 37 mois de prison ferme ; et condamné dans une précédente affaire (N° 49957) à 9 mois pour troubles et ivresse sur la voie publique, violences sur un fonctionnaire dépositaire de l’autorité publique…) a informé le Président de la Cour du traitement inhumain et dégradant dont il est victime en prison, de la passivité complice de l’administration pénitentiaire, et de sa décision, prise la veille, d’entamer une grève de la faim « sauvage » pour dénoncer le traitement inhumain qui lui est infligé ainsi qu’à ses camarades. Le même étudiant a crié son « ras-le-bol » de la répression que subissent les étudiants « depuis qu’ils ont mis les pieds dans la fac » ; « de la privation arbitraire de liberté » ; « des conditions de misère qui leur sont réservées » et qui ne « laissent d’autres choix aux jeunes que de quitter clandestinement (harga) la Tunisie, au risque de périr en mer … ». Les étudiants présents dans la salle d’audience ont applaudi vivement leur collègue…

Un autre étudiant, Tarek ZAHZAH, (condamné en première instance à 26 mois de prison ferme) s’est adressé, non à la Cour mais à la salle, les larmes aux yeux précisant qu’il pleure pour sa maman (qui souffre énormément à cause de l’emprisonnement de son fils… assimilé à un délinquant de droit commun…) et non pour lui-même ; il était très ému (et émouvant à la fois) parlant d’une voix très forte : « je sais que vous allez confirmer les condamnations de première instance ; je sais qu’on va rester en prison ; vous pouvez nous y laissez pendant 10 ans si vous le voulez… nous sortirons avec la même volonté inébranlable de défendre nos droits … »

Pendant que ce dernier parlait (avec fougue, et les larmes aux yeux…) des policiers l’ont brutalement attrapé en essayant de le trainer vers la porte de sortie latérale ; ses camarades sont alors rapidement intervenus pour l’extraire des mains des policiers, qui ont fini par lâcher prise sous les protestations indignées des avocats et les cris des étudiants présents parmi le public…

Cette échauffourée s’est répétée à plusieurs reprises… sous le regard impassible du Président et de ses deux assesseurs…

Maître NASRAOUI (Radhia) a repris immédiatement la parole, pour fustiger la « militarisation » de la Cour, et demandé fermement au Président de renvoyer « les intrus en uniformes » hors de la salle, en lui indiquant que « ce spectacle affligeant de la primauté du policier sur le judiciaire » se passe sous le regard d’un observateur mandaté par le CRLDHT, le REMDH et la FTCR, qui ne manquera sans doute pas d’en faire état dans son Rapport…

Maître HAMMAMI (Ayachi) a également repris la parole pour rappeler à la Cour qu’elle se doit d’entendre le représentant du Ministère Public (lequel avait, en une phrase lapidaire, « requis », assis et non débout comme l’exige la loi, le report en raison de l’absence de certains prévenus devant comparaître libres…), qui doit motiver sa demande de maintien de la détention provisoire, avant de se retirer pour délibérer sur les demandes formulées par la défense. Peine perdue. Le procureur général n’est pas, pour autant, sorti de son mutisme !

La Cour a renvoyé l’affaire pour être plaidée (au fond) le samedi 17 avril 2010. Elle a, sans surprise, rejeté la demande de remise en liberté conditionnelle !

L’audience d’appel dans ce qui est désormais connu par « l’affaire des étudiants » a été pour nous, une nouvelle fois, l’occasion de constater —de visu— l’état de délabrement on ne peut plus avancé de la justice tunisienne, dépossédée des moindres attributs d’indépendance, et qui se laisse (avec une passivité désolante) instrumentaliser à des fins politiques.

Une affaire comme celle à laquelle on a pu assister le 10/04/10 n’aurait pas lieu d’être dans un État de droit démocratique, qui reconnaît le droit syndical, le droit au logement, le droit à l’étude dans des conditions dignes, le droit et la liberté de protester contre les discriminations et les injustices…

Les jeunes étudiantes qui ont été privées du droit (constitutionnel) au logement n’avaient plus d’autre choix que de manifester publiquement (sit-in…) leur « désapprobation » de ce dont elles ont été victimes. Le syndicat étudiant (UGET) était parfaitement dans son rôle lorsqu’il a soutenu cette action. Il était du devoir de « l’administration », « du ministère de tutelle », et plus généralement des autorités tunisiennes, de rechercher une solution négociée au problème. Sauf que la négociation « apaisée » n’est décidément pas « le fort » desdites autorités (le pourrissement de la situation dans le Bassin Minier, en est la preuve magistrale…). Lesquelles privilégient, incomparablement, « la manière forte », celle des matraques, de l’humiliation et de l’emprisonnement… Et pour cause !

Cette fois-ci les victimes de l’autoritarisme se trouvent être des étudiants qui n’ont commis aucun « méfait », si ce n’est celui de revendiquer ou de soutenir la revendication légitime d’un droit constitutionnellement protégé, à savoir le droit au logement, qui plus est pour des étudiantes originaires de villes lointaines et qui ne bénéficient d’aucune attache familiale dans la capitale.

Une fois de plus la justice tunisienne fait montre de son impuissance rédhibitoire à « rendre justice » à celles et ceux qui étaient en droit de l’attendre d’elle…

Une fois de plus cette même justice offre, on ne peut plus « généreusement », un simulacre de légalité (sorte de feuille de vigne…) à une décision politique tendant à réduire au silence, avec une particulière cruauté, une protestation légitime et pacifique…

Une fois encore « les bouches de la loi » refusent obstinément de voir et d’entendre le cri d’alarme d’une jeunesse en détresse (dont les chômeurs diplômés représentent à peu près la moitié de l’ensemble des sans-emplois en Tunisie… et plus de 75% ne rêvent que d’émigrer…), fêtée et encensée dans les discours officiels, et sacrifiée sur l’autel de l’hégémonie RCDiste oppressante, dans les geôles de la « République » et leurs antichambres : les salles d’audience…

Houcine BARDI

http://jacques.tourtaux.over-blog.com.over-blog.com/article-tunisie-compte-rendu-du-proces-en-appel-des-etudiants-de-l-uget-49279048.html

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