27 avril 2010

Lettre à un ami le Jour de l’indépendance d’Israël

dimanche 25 avril 2010 - 06h:10

Michel Warschawski - AIC


Ce soir, tu vas fêter le Jour de l’indépendance de l’Etat d’Israël. Pas moi.

Tu crois probablement que les juifs méritent un Etat, que les survivants de l’Holocauste et leurs enfants ont droit à un foyer sûr qui leur appartienne, et que la Terre d’Israël est l’endroit naturel et légitime pour réaliser cette vision d’un Etat pour les juifs. Comme tu le sais, je suis en désaccord avec toi sur ces deux points : d’abord, je ne soutiens pas les Etats ethniques. Ils créent nécessairement une névrose aiguë et la peur permanente que « l’autre ne vienne contaminer leur pureté » ; ils contiennent en eux quasiment le besoin permanent d’un nettoyage ethnique et de faire naître des guerres pour y parvenir. Ce fut le cas en 1948, l’année que tu célèbres aujourd’hui. En outre, les Etats ethniques, fermés par nature, sont condamnés à la stagnation culturelle, alors que l’évolution culturelle requiert des fenêtres grandes ouvertes et non des châteaux dans lesquels on se barricade.

Ensuite, et malgré le slogan éculé « une terre sans peuple pour un peuple sans terre, » quand le processus de la colonisation en Palestine/Terre d’Israël a commencé, celle-ci était déjà la patrie d’un autre peuple. Les survivants de l’Holocauste méritaient-ils un Etat qui leur appartienne ? Si oui, alors pourquoi aux dépens d’un peuple qui ne porte absolument aucune responsabilité dans le massacre des juifs d’Europe de l’Est ? Un Etat pour les juifs en Bavière ou en Saxe aurait pu être une réponse pour les survivants de l’Holocauste, sans nuire aux droits de Palestiniens innocents et sans les déposséder de leur pays et de leur patrie.

Dit autrement, tu es sioniste, et moi, antisioniste, et même si nous avons pu faire un long chemin ensemble dans la lutte pour une cessation partielle de l’occupation et de l’entreprise coloniale, la différence entre sioniste et antisioniste ne perd rien de sa justesse aujourd’hui, et elle continue d’influer sur les possibilités d’une réelle réconciliation entre les peuples de cette terre. Si tu veux, on peut la formuler ainsi : pendant que tu croies que les problèmes ont commencé en juin 1967, aux lendemains de « la guerre la plus juste de l’histoire de l’humanité », pour moi, le « problème » a commencé au début du siècle précédent, avec le processus de la colonisation juive en Palestine.

J’ai une requête pour toi et tes amis : faites passer quelque chose avant votre bonheur d’aujourd’hui. N’oubliez pas que le motif de vos réjouissances est aussi un motif de deuil pour le peuple de cette terre : les Arabes de Palestine, où qu’ils soient, dans les camps de réfugiés, en exil, en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, et aussi dans votre Etat, qui ne peut et ne veut être aussi leur Etat.

Vous aimez fonder vos arguments sur la bible. Moi aussi. Dans le livre des Proverbes, il est écrit : « Ne te réjouis pas quand tombe l’ennemi ». Et dans le Midrash, il est noté que lorsque le peuple d’Israël a traversé la mer Rouge, échappant aux armées du Pharaon, les anges se sont mis tout à coup à chanter. Dieu leur dit : « Ils se noient dans la mer et vous chantez ? ». Je vous en prie. Quand vous célébrez l’indépendance d’Israël, rappelez-vous que tout près de vous, il y a des millions de Palestiniens à ce jour dont le monde a été détruit. Et ils refusent de pardonner, et d’oublier.


(JPG) Entretien avec l’auteur :

- Michel Warschawski : « Israël est désormais une société néoconservatrice »

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