Beyrouth risque d'être entraîné dans un conflit entre Jérusalem et Téhéran.
Les envolées belliqueuses sont coutumières au Moyen-Orient, mais le Liban est bien payé pour savoir que les gestes peuvent aussi y être joints à la parole. A tel point qu'au pays du Cèdre, on ne se demande pas si il y aura une nouvelle guerre, mais quand. Prévoir la date des prochains combats est d'ailleurs devenu un sport national, à coups d'arguments plus ou moins crédibles: au printemps, lorsqu'il y aura moins de nuages et donc une meilleure visibilité pour les avions israéliens? A l'été, pour torpiller la saison touristique? Les analystes de tout poil s'en donnent à cœur joie.
Une autre certitude se greffe à l'inéluctabilité d'une nouvelle guerre: celle de savoir que le conflit de Juillet 2006 - qui a fait 1.300 morts et plus d'un million de réfugiés - ressemblera probablement à une promenade de santé en comparaison de ce qui se prépare. Cela fait des mois que les officiels israéliens le martèlent: le Liban tout entier sera tenu responsable et puni en conséquence, en cas de nouvelle escalade avec le Hezbollah. Dès 2008, Gadi Eisenkot, le commandant israélien des opérations de la zone Nord, a théorisé la «doctrine Dahiyé», du nom de la banlieue sud de Beyrouth presque rasée en 2006, et qui serait étendue à l'ensemble du Liban. Voire plus loin.
Car en sus de ce déjà sinistre tableau, le conflit pourrait s'élargir à d'autres pays de la région, en particulier la Syrie. Le fait est surprenant compte-tenu de l'histoire de la région: en dépit de sa rhétorique guerrière soutenue, la Syrie a toujours réussi à maintenir une sorte de «paix chaude» avec Israël; sa frontière avec l'état hébreu n'a pas connu de troubles depuis 1973, les contentieux entre les deux pays se réglant le plus souvent par Liban interposé. La Syrie avait d'ailleurs négocié secrètement avec son voisin du Sud un règlement pour le Golan avant qu'une nouvelle série de négociations ne soit entreprise ouvertement par l'intermédiaire de la Turquie en 2008.
Double jeu
Mais le ton monte désormais entre Syriens et Israéliens. En janvier, Daniel Ayalon, ministre des Affaire étrangères adjoint en Israël, avait accusé le régime syrien de former, sur son territoire, des combattants à l'utilisation de batteries sol-air sophistiquées dont bénéficierait le Hezbollah. Les officiels israéliens multipliaient déjà les menaces: «En cas de nouvelle confrontation au Nord, nous tiendrons le Liban et la Syrie également responsables», déclarait il y a quatre mois le ministre Yossi Peled tandis qu'Avidgor Lieberman prévenait carrément le chef d'Etat syrien Bachar al Assad qu'une guerre lui coûterait le pouvoir. Naturellement, les responsables syriens avaient vertement répliqué, Assad déclarant que Damas avait pris la «décision stratégique» d'apporter tout son support au parti de Dieu en cas de nouveau conflit. Les Israéliens avaient alors fait le gros dos, contenu par un pouvoir américain soucieux d'éviter tout embrasement.
Mais la stratégie d'«apprivoisement» des Syriens menée par les Etats-Unis depuis l'élection de Barack Obama se heurte à un mur et reçoit plus de camouflets que de signes de bonne volonté. Le plus flagrant fut sans doute le sommet tripartite de Damas, réunissant Assad, Ahmadinejad et Hassan Nasrallah le 25 février dernier. Alors que depuis des mois, les Américains tentent d'éloigner Damas du giron iranien et que la secrétaire d'Etat américaine Hilary Clinton venait de l'y encourager publiquement, la réponse est tombée comme une fin de non-recevoir: avec un discours d'une extrême virulence, le trio de Damas a répondu à ces appels du pied en réaffirmant la force des liens unissant Syrie, Iran et «résistance» contre les «colonialistes», s'engageant à débarrasser la région des « sionistes » à une brève échéance. Cette rencontre, mais plus encore sa date - moins d'une semaine après la nomination par Washington d'un ambassadeur en Syrie en clair signe d'apaisement, son prédécesseur ayant été retiré du pays avec fracas en 2005- a surpris plus d'un observateur, y compris les proches du régime tel que David Lesch, historien de Assad, qui s'interroge sur l'envie - et la capacité - du régime syrien de vouloir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière. La Syrie a longtemps su jouer simultanément sur plusieurs tableaux, mais Bachar jouerait-il avec le feu ? Et a-t-il vraiment le choix, compte-tenu des rapports presque incestueux qui le lient à l'Iran ?
Du coup, les menaces se précisent de part et d'autres. Aujourd'hui, c'est de l'envoi de missiles balistiques Scud de fabrication russe et rendus célèbre lors de la guerre du Golfe, qu'Etats-Unis, France et Israël bien sur, s'alarment, car non seulement ils mettraient en péril la suprématie aérienne israélienne mais ils pourraient aussi porter des armes chimiques susceptibles d'atteindre l'ensemble du territoire israélien. Les rapports selon lesquels ces missiles auraient ou non passés la frontière syro-libanaise, sont contradictoire et de leur coté, Syriens et Hezbollah démentent catégoriquement ces informations. Mais ces dénégations tombent dans l'oreille de sourds quelque peu échaudés par l'ambiguïté de la politique syrienne. Reprenant la rhétorique qui avait marqué le conflit de Juillet 2006 contre le Hezbollah, les Israéliens menacent de renvoyer la Syrie «à l'âge de pierre.» Une opération israélienne au Liban contre un convoi d'armes aurait même été évitée de justesse, sur intervention américaine.
Du coté du parti de Hassan Nasrallah, et alors qu'Ahmadinejad s'attendrait à ce qu'une guerre éclate «quelque part» «entre le printemps et l'été», la cool attitude est de mise, du moins officiellement: Israël chercherait purement et simplement - et en vain, cela va de soi - à intimider les Libanais, à susciter des divisions arabes et à saper la popularité du Hezbollah; il ne faut donc pas y prêter le flan. Ce discours s'adresse probablement plus aux masses libanaises, pour lesquelles le conflit de 2010 est encore trop frais et qu'il faut rassurer, ainsi qu'à tout ceux au Liban qui seraient tentés d'espérer une nouvelle guerre avec Israël, susceptible de les débarrasser d'un parti tenant de plus en plus les rênes du pays. Le message est clair: il ne faut pas y compter, sans quoi le Liban tout entier en paiera le prix. Le Premier ministre Saad Hariri, autrefois opposé au Hezbollah mais ramené dans le rang en mai 2008, a d'ailleurs retenu la leçon: «Nous nous tiendrons unis face à Israël. Il n'y aura pas de division.», a-t-il déclaré.
Bras de fer discret. Ou pas.
Difficile dans ces conditions de ne pas être alarmiste alors que les bruits de botte se font de plus en plus sonores. D'autant que ceux à chausser les bottes en question sont de plus en plus nombreux. Sur fond de débat autour de la dureté des sanctions que le Conseil de Sécurité pourrait prendre à l'encontre du régime iranien en cas de poursuite de son programme nucléaire, soupçonné d'avoir des fins militaires, Téhéran cherche à gagner du temps. D'abord en tentant de mettre en œuvre un équilibre de la terreur, digne des plus belles heures de la guerre froide. Ensuite en déplaçant les tensions et les regards sur d'autres fronts dans la région, le Liban en premier lieu et, si nécessaire, la Syrie. Le 20 mars, le numéro 2 du Hezbollah Naim Qassem prévenait clairement: «Une attaque contre l'Iran provoquera l'explosion de la région.»
L'Iran tire bien des ficelles à travers toute la région, d'autant plus motivée que les Etats-Unis font encore monter les enchères avec le lancement d'un nouveau système anti-missiles Patriot déployé dans quatre pays du Golfe Persique. Le 10 février, au cours d'un échange téléphonique, le président iranien a d'ailleurs réitéré à Assad le soutien total de son pays à la Syrie, la Palestine et le Liban en cas d'attaque israélienne.
Plus inquiétant encore, en dehors des opérations iraniennes «officielles» comme le lancement d'une fusée Kavoshgar-3 dans l'espace début février, la région est depuis plusieurs mois témoin d'une recrudescence impressionnante du trafic d'armes via le golfe Persique, la mer Rouge et l'est de la Méditerranée. La coopération militaire entre Syrie, Iran et Corée du Nord bat son plein, y compris en termes d'armement dit «sensible» et en dépit de la destruction en 2007 d'un possible réacteur nucléaire clandestin à Al-Kibar en Syrie par l'aviation israélienne. L'enquête menée par l'AIEA qui aurait dû suivre est tombée aux oubliettes, alors que quelques mois plus tôt, toujours en Syrie, à Alep, les corps de scientifiques nord-coréens et iraniens avaient été retrouvés après l'explosion d'un mystérieux dépôt. Et en décembre dernier, les autorités portuaires thaïlandaises ont saisi une cargaison d'armes Nord-Coréennes apparemment en partance pour l'Iran.
Que ce soit à destination du Hezbollah au Liban, du Hamas à Gaza, des rebelles houthis au Yémen ou du Soudan (avec lequel l'Iran a signé un accord de coopération militaire en 2008), le régime de Khamenei est sur tous les fronts et les incidents se multiplient: on se souvient de l'affaire du Karin-A en 2002, et de son «deuxième volet» l'année dernière avec le Francop. En mars dernier, un convoi militaire transportant apparemment des missiles iraniens Fajr était bombardé par l'aviation israélienne entre le Soudan et l'Egypte. Les missiles devaient probablement être livrés au Hamas via les tunnels de Rafah. Courant 2009, une cellule du Hezbollah a été démantelée en Egypte toujours alors que de l'aveu de Hassan Nasrallah même, elle avait pour vocation d'apporter un soutien militaire au Hamas. En décembre dernier, un navire australien transportant une lourde cargaison d'armement Nord-Coréen à destination de l'Iran avait été intercepté à la dernière minute par les services douaniers de Dubaï. L'Emirat tente, vainement, de se débarrasser de son statut de plaque tournante du trafic d'armes dans la région: c'est le cinquième navire en un an seulement que ses services arrêtent de la sorte!
Qui plus est, le 20 janvier dernier, Mahmoud al-Mabhouh - membre du Hamas et trafiquant d'armes notoire - était assassiné dans sa chambre d'hôtel à Dubaï toujours, où il tentait a priori de négocier une livraison d' «armes spéciales» vers Gaza. Les autorités de l'émirat n'ont guère de doutes quant à l'implication du Mossad dans l'assassinat et Israël est plus que jamais pointé d'un doigt accusateur. Quant au Yémen, où la situation est explosive, le chef du Conseil de Sécurité nationale Ali Muhammad al-Anisi a ouvertement accusé l'Iran de soutenir et armer les rebelles. La carte yéménite permet à l'Iran d'exercer une pression accrue sur sa rivale de toujours, l'Arabie Saoudite.
La liste des «incidents» n'est pas exhaustive, mais cette prolifération offre un sérieux indicateur du regain de tension dans la région, le nucléaire iranien n'étant qu'une des parties visibles de l'iceberg.
De manière générale, la République islamique, dans un jeu de billard à multiples bandes, parvient ainsi à faire monter la pression sur «l'ennemi sioniste» et ses traditionnels rivaux arabes, tout en accroissant la dépendance de ses propres alliés à son égard et en se posant comme partenaire incontournable pour tout règlement dans la région.
Israël et Iran se livrent donc un bras de fer de moins en moins discret. Pour les optimistes, plus on parle de guerre et moins on la fait; cela vaudra toujours mieux qu'un conflit ouvert et pourrait finalement conduire à un statu quo basé sur l'équilibre de la terreur. Pour les pessimistes, tout ceci ne doit être perçu que comme un prélude, certain arguant que ce n'est en fin de compte qu'une question de temps, comme l'avait asséné Yossi Peled.
Nathalie Bontems
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