Le feu de Deir Yassin ne s’éteindra jamais
dimanche 25 avril 2010
Dina Elmuti - The Electronic Intifada
"Ils ne feront pas de nous des criminels, ne nous voleront pas nos identités profondes, ne nous dépouilleront pas de notre personnalité, ne nous dépolitiseront pas et ne nous transformeront pas en robots mécaniques, dépendants et dociles. Nous ne l’accepterons pas. Il y va de notre honneur". Ainsi s’exprimait Bobby Sands de l’Armée Provisoire Irlandaise Républicaine.
C’est comme si en passant Bab al-Amud, la porte de Damas, pour sortir de la vieille ville de Jérusalem, j’étais transportée à une autre époque, dans un lieu interdit qu’il m’était défendu de simplement regarder sous peine de poursuites, un endroit qui maintenant appartient à d’autres. "Cet endroit dont vous parlez n’existe plus depuis longtemps" c’est ce qu’ils continuent à dire avec un mépris égal à leur l’impunité, mais il est impossible de m’arrêter. Ils n’y sont jamais arrivés auparavant et ils n’y arriveront pas maintenant. J’étais déterminée à y retourner, à voir tout de mes propres yeux et à imprimer chaque détail du site dans mon cerveau pour toujours, en dépit des reconstructions illégitimes que d’autres faisaient sans notre aval. Malgré toutes les rénovations et constructions destinées à s’approprier ce lieu, il serait toujours Deir Yassin pour moi.
"Deir Yassin" dit-elle tristement, et je peux lire la douleur dans ses yeux chaque fois qu’elle parle du jour terrible où elle a perdu sa maison. "Deir Yassin" répète-t-elle, avec l’innocence d’un enfant dans la voix, chaque fois qu’elle se remémore les doux souvenirs d’un monde que le mal n’avait pas encore complétement dénaturé. "Deir Yassin", les paroles impérissables de ma grand-mère continuent de résonner en moi chaque jour car elle m’a fait promettre de ne pas oublier et j’ai l’intention de tenir ma promesse.
Je suivais les panneaux routiers indiquant la direction de Givat Shaoul et les souvenirs revenaient un à un. Ne trouvant pas de place de parking, j’ai garé la voiture à plaques jaunes* sur le bord de la route, près d’une clôture bleue abandonnée, pour avoir le temps de faire l’aller et retour à pied. Dans la brise fraîche de l’après-midi, je me tenais sur la corniche surplombant le cimetière de Har Hamenuchot et je voyais le Mémorial de l’Holocauste Juif. Je respirais profondément et assimilais la vue de ce qui portait maintenant le nom de Givat Shaul. Comme je me tenais là, intégrant la vision surréaliste du Mount Herzl et de Yad Vashem, les récits de ma grand-mère prirent vie devant mes yeux et je fus submergée par l’émotion.
"Tu vois là-bas" semblait-elle me désigner par dessus mon épaule "c’était la carrière de pierres de mon père et il y avait un moulin à blé". Jamais je n’oublierai l’expression de son visage, ses lèvres tremblantes, ses doigts fatigués tapotant sa poitrine avec une telle fierté, et le son strident de sa voix où perçait une si grande nostalgie. Quand elle était petite, elle jouait avec ses amies dans le monastère voisin entouré de figuiers, d’amandiers et de pommiers, comme tous les enfants, sans se douter de la tragédie qui l’attendait. A huit ans pourtant, sa vie d’enfant insouciante a basculé dans la souffrance et l’injustice. En moins d’une journée, elle fur forcée de s’enfuir en laissant tout derrière elle sauf les habits qu’elle portait sur le dos. Il y a 62 ans, elle appelait cet endroit sa maison. C’était sa maison, et sans qu’elle en soit informée, sans qu’on lui ait demandé son avis, sans regard pour ses droits, elle en avait été chassée.
Quelqu’un avait décidé sans état d’âme, que cela ne lui appartenait plus. Quand j’y pense j’ai la sensation physique de recevoir des coups de pieds dans le ventre encore et encore.
Il est difficile de retourner à Deir Yassin sans être tétanisé par l’évidence du nettoyage ethnique et de l’hypocrisie qui éclate dans ce lieu qui appartenait autrefois aux Palestiniens qui y étaient nés, ce lieu qu’ils appelaient leur terre il y a moins de 70 ans. Des souvenirs et des récits déchirants ont permis à Deir Yassin de vivre dans le coeur d’innombrables personnes du monde entier, de sorte qu’il n’est pas seulement considéré comme un lieu de pillage, de destruction et de mort. Deir Yassin continuera de résonner à jamais comme une exemple de détermination et de capacité de surmonter les épreuves. Avant de retourner à la voiture et de dire au revoir à Deir Yassin une fois de plus, je suis restée un moment au bord de la colline qui surplombe le Mont Herzl dans l’espoir d’emmagasiner tout ce que j’avais vu ce jour-là.
J’étais si concentrée sur tout ce que j’avais remarqué cette fois-ci, que j’avais l’impression que mon sang se mettait à bouillir. Je regardais le monument grandiose de Yad Vashem, érigé en mémoire de ceux qui sont morts si injustement dans l’Holocauste, me tenant debout sur la terre où ma propre famille a perdu sa vie et sa subsistance tout aussi injustement mais sans le moindre monument pour les honorer. A un peu plus d’un kilomètre de Deir Yassin se trouve une monument qui commémore les victimes de l’Holocauste pour rappeler au monde ce crime contre l’humanité perpétré en toute impunité. Aujourd’hui, il continue de rappeler au monde les atrocités qui y ont été commises avec un message éternel et universel :"N’oubliez jamais que l’homme est capable des pires atrocités envers d’autres hommes".
Je ne peux pas m’empêcher de ressentir cruellement l’ironie confondante de la situation, moi qui me tiens en ce moment de l’autre côté de Yad Vashem, à Deir Yassin où un massacre à été perpétré in y a 62 ans. Je suis là pour honorer ceux dont les noms n’apparaissent pas dans les musées, dont les voix ne sont quasiment jamais entendues, dont on ne parle pas dans les médias, et dont la contribution à l’histoire est ignorée et supprimée des livres d’école et des salles de classe, de sorte que presque plus personne au monde ne les voit. Deir Yassin revêt une importance capitale parce que ce n’est pas seulement l’histoire d’un massacre mais l’histoire de deux peuples - les victimes et les victimes de ces victimes- dont les sorts sont liés sur une terre volée.
Effacé de la carte d’Israël après 1948, Deir Yassin n’est pas et ne sera jamais effacé de l’esprit des Palestiniens, qu’ils vivent sous l’occupation ou dans la diaspora. On peut changer les cartes et la signalisation routière, je trouverai toujours le moyen de revenir à Deir Yassin, parce que c’est ma responsabilité morale d’y revenir et de garder vivant le souvenir. C’est de là que je suis originaire. C’est là que les membres de ma famille, vivants et morts ont souffert. C’est là que nous avons subi l’injustice et je ne l’oublierai jamais. Après tout Simon Wiesenthal a dit, à propos des souffrances de Juifs aux prises avec l’injustice, que "l’espoir est entretenu par ceux qui se souviennent". De la même manière, les souffrances de Palestiniens méritent le respect. Comme tous les peuples qui ont été dominés et opprimés, les Palestiniens continueront sans faiblir à lutter et à se souvenir.
Malgré la souffrance, l’angoisse et les souvenirs traumatisants qui ont accompagné sa vie, les yeux de ma grand-mère s’éclairent à la simple mention de "Deir Yassin". Aujourd’hui, cet endroit, associé à tant de peines et de douleur continue à être pour elle une source de fierté et de bonheur. Je n’ai jamais vu une telle force et un tel ressort et j’essaie de suivre son exemple chaque jour.
Donc aujourd’hui je commémore le 62ième anniversaire du massacre de Deir Yassin. Ce faisant je n’exploite pas ignominieusement les souffrances d’un peuple. Je fais un travail de mémoire : une injustice a été commise ici et c’est notre responsabilité de nous souvenir que les atrocités et l’intolérance dont nous sommes témoins ou dont nous entendons parler autour de nous, a pris naissance à Deir Yassin. Deir Yassin, qui a enclenché la Nakba, notre Catastrophe, est un témoignage indéniable de cette scandaleuse injustice et il continuera à résister aux manœuvres dilatoires et l’idée que "Aux innocents les mains pleines". Deir Yassin témoigne de ce que les Palestiniens ont existé et existent encore et que nous ne renoncerons pas sans combattre.
David Ben Gourion, le premier Premier Ministre d’Israël, a eu tort d’affirmer avec arrogance : " Les vieux mourront et les jeunes oublieront". Il a sous estimé la volonté indomptable des Palestiniens. Malgré le désespoir, l’affliction et les déchirements, nous ne renoncerons jamais à un rêve gravé dans nos cœurs et nos esprits. Oui les vieux mourront, mais les jeunes n’oublieront jamais et pour paraphraser Bobby Sand "Notre vengeance sera le rire de nos enfants", ce sont eux qui perpétueront notre rêve et notre combat pour la justice. Ce rêve vivra toujours dans le cœur d’une génération après l’autre. Il y a dans nos cœurs un feu qui ne s’éteindra jamais et ce que nous disons aujourd’hui nous engage pour la vie entière.
* Dina Elmuti est titulaire d’un Master en Sciences Sociales de l’Université de Carbondale, dans le sud de l’Illinois. Elle vit en Palestine.
[Note] Les Palestiniens des territoires occupés ont des plaques blanches et une voiture à plaque blanche dans ce lieu, si elle avait pu y arriver, aurait soulevé immédiatement la suspicion. (N d T)
9 avril 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Dominique M.
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