28 avril 2010


Journée nationale du souvenir : une mairie censure la lettre d'une ancienne déportée

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La mairie de Parthenay a censuré une lettre écrite par Ida Grinspan, ancienne déportée, qui devait être lue à des élèves le 29 avril dans le cadre de la journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation, selon le Courrier de l'Ouest de mercredi.

Ida Grinspan née Fensterzab est arrêtée par trois gendarmes dans le Poitou à Jeune-Lié près de Melle. Elle a 14 ans.

Née en 1929 à Paris, fille de parents juifs polonais, de nationalité française par déclaration volontaire de ses parents ; elle a un frère né en 1924. Son père était artisan-tailleur ; la famille habite rue Clavel dans le 19ème. Dès le printemps 1940, elle vit chez une famille de fermiers, Alice et Paul Marché, dans le hameau de Lié, par Melle (Deux-Sèvres). Sa mère est arrêtée le 16 juillet 1942, déportée, son père et son frère ayant pu se cacher. Ida est arrêtée à son tour le 31 janvier 1944 et déportée le 10 février, par le convoi 68.

- Ida !!!!!

- Ida…Cache-toi, vite…Là, dans le foin…Sous la charrette, vite !

- Mais…Les trois gendarmes…Qu’est-ce-qu’ils veulent ?

- Toi, ma chérie ; c’est toi qu’ils veulent.

Voilà, les enfants, c’est ça que j’aurais voulu vous dire…

Ils avaient leur houppelande bleue, il faisait froid, vous savez…On était en janvier…Ils avaient posé leurs vélos au bord de la barrière. Alice pleurait tellement, elle se tordait les mains. Je ne l’appelais pas « maman », oh ça, non, mais elle me faisait de larges tartines de pain bis au beurre et à la confiture. Et puis le vendredi, nous allumions une bougie, comme ça, juste pour que je me souvienne. Paul, lui, me laissait l’aider avec les bêtes, et puis il me parlait de papa…

Les gendarmes n’ont pas écouté Alice, ni Paul, d’ailleurs, eux aussi ont été arrêtés. Ils m’ont emmené à la Kommandantur, j’avais froid, j’avais faim, et puis personne ne m’expliquait. En marchant, quand j’étais attachée, ils avaient l’air gêné, mais aucun d’entre eux ne s’est excusé, ou n’a proposé de m’aider. Je pensais à papa et maman, à mon frère. Et si je les revoyais ? Au moins ça. Je priais. J’espérais. Je n’ai pas pleuré.

Je regardais les arbres dénudés, la neige, la route, les maisons dont s’échappaient des fumeroles…Bientôt, je verrais d’autres fumées…Je ne savais pas encore que c’était mes derniers moments de liberté, entourée par trois fidèles fonctionnaires français, qui, comme des centaines de leurs compatriotes, participèrent à l’usine de mort nazie…


La machine à tuer s’est mise en route. Rien ne semble pouvoir l’arrêter. Ida, Julia, Samuel sont déportés à Auschwitz, en Haute-Silésie (Pologne), entassés dans des wagons à bestiaux. « A la descente du train, se souvient Ida, on sépare les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre. Il y a des cris, des pleurs, des hurlements. Puis on doit déposer tout ce qu’on a dans les mains. Là, j’ai un crève-cœur terrible : je dois abandonner dans la neige les provisions que ma nourrice m’a données et que je réservais pour ma mère. »

Sa maman a été prise lors de la rafle du Vel’d’Hiv, le 16 juillet 1942. A Drancy, on a fait croire à Ida qu’elle partait la retrouver… Ida entend hurler : « Rassemblement en tête du train ! » Là-bas trône un médecin SS avec sa badine. Il est chargé de la « sélection », mais aucun déporté ne sait alors ce que cela recouvre. « Celles qui sont fatiguées, montez dans les camions », crie-t-il en français. Ida songe aussitôt : « Je ne suis pas fatiguée. » D’office, elle se place dans le groupe des femmes volontaires pour marcher à pied jusqu’au camp. Le SS ne fait aucune objection. « Pourtant, dit Ida, à 14 ans, je n’étais pas destinée à entrer dans le camp. » Il est vrai que sa coiffure la vieillit de deux ans…

Il faisait froid. Toujours, toujours froid. Nous avions faim. Toujours, toujours faim.

Je n’ai pas revu maman, ni papa. Je ne pouvais pas me douter que mon frère s’en sortirait, je ne savais pas moi-même si je survivrais. Je sais, les enfants, vous avez vu des films, à la télé, ou avec vos professeurs. C’est bien, les films, en plus, qu’ils soient amusants, comme celui avec le petit garçon qui croit que c’est un jeu, ou atroces, comme « Shoah », ils racontent tous notre histoire. Mon histoire.

Mais vous savez, les enfants, certaines personnes, dans le monde entier, osent malgré tout dire que tout cela n’a jamais existé. Ou alors, parfois, ils mettent en doute notre parole, comme un copain qui irait dire à la maîtresse que vous avez menti.

Et c’est terrible, terrible, parce que je ne suis plus toute jeune, et bientôt, tous les gens qui avaient vécu ces moments insoutenables auront disparu. Et alors,« ils » seront libres de raconter encore plus de bêtises, ou de vous mentir, ou de transformer la réalité…Je voulais vous parler de ces gendarmes, de ces français qui sont venus m’arrêter, me conduire à la mort, mais Monsieur le Maire, un ancien gendarme, vous voyez, a osé me demander de me taire, oui, de me taire.

Vous vous rendez compte ? Moi, me taire ? Alors que cela fait près d’un demi siècle que j’entends hurler mes amis, que je vois les brasiers des cheminées, que je me souviens du moment de mon arrestation ?

La mairie de Parthenay a censuré un texte écrit par Ida Grinspan, ancienne déportée, qui devait être lu à des élèves.

Ida Grinspan disait dans son témoignage, qui devait être lu à l'occasion de la Journée du souvenir de la déportation, avoir été arrêtée par "trois gendarmes".

Or, le maire d’Argenton (NC) a tenu a défendre cette "catégorie professionnelle qui dans ces temps troubles avait obéi aux ordres de l'autorité légitime".

Ce texte "n'est pas de nature à apaiser les ressentiments à une époque où le repentir est malheureusement mis en exergue", a-t-il ajouté, selon le "Courrier de l'Ouest" qui rapporte cette affaire.

Oui, les enfants, le repentir…Ce mot là, vous le connaissez, c’est quand on a honte après avoir fait une bêtise. Mais vous ne savez sans doute pas ce que ça veut dire, « mis en exergue »…

C’est quand on parle beaucoup d’une chose, d’un événement, qu’on en parle trop. Ces messieurs trouvent qu’on en parle trop, de ce qui nous est arrivé, et que depuis que Monsieur Chirac a reconnu que la France avait joué un rôle important dans la déportation-vous avez sûrement vu cet autre film, « La Rafle », qui le raconte si bien- notre pays est trop accablé par la culpabilité, vous savez, un peu comme si vous aviez fait une grosse bêtise, et que le remords vous rongeait, rongeait…

Alors les enfants, je vais quand même vous le dire, vous le répéter, vous l’expliquer, car non, je ne me tairai pas.

Oui, ce sont bien des gendarmes français qui sont venus m’arrêter.

Oui, des centaines de milliers de juifs et de résistants français ont été déportés grâce à l’aide de la gendarmerie et des autorités.

Et puis même si vous avez aimé le film « La Vie est belle », je voudrais vous le redire :

non, ce n’était pas un jeu. La Shoah, ce n’était pas un jeu vidéo ! Ca a existé, vous savez, tout était vrai, les baraquements infestés de vermine, les gens qui mouraient pour de vrai, les ordres hurlés, les chambres à gaz, les cheminées, les fours crématoires.

Alors quand vous verrez Monsieur le Maire, vous le lui direz, n’est-ce-pas, que je suis venue vous parler, et puis si un jour, dans la rue, vous voyez quelqu’un qui traite un autre de « sale juif », il faudra être très courageux, même si vous avez un peu peur, et il faudra aller chercher…un gendarme.

Parce que les gendarmes, ce sont des gens bien, je ne leur en veux pas ; ils nous protègent, ils font respecter les lois, et justement, c’est interdit, vous savez, de traiter quelqu’un de « sale juif. »

Vous voyez, les gendarmes, moi, je leur ai pardonné. Ou au moins, je les ai compris.

Mais je veux continuer à pouvoir raconter mon histoire. Pour que jamais, jamais plus, en France, ou ailleurs, des gendarmes ne viennent enlever des petits enfants et les mettre dans des trains qui les conduiront à la mort.

Ida Grinspan est l’auteure, avec Bertrand Poirot-Delpech, d’un livre intitulé "J’ai pas pleuré", publié en 2002, chez Robert Laffont, réédité en Pocket Jeunesse, 2003

Pour la mairie de Paris et le Mémorial, sur le site du Monde, Les derniers témoins racontent :
http://www.lemonde.fr/web/vi/0,47-0@2-641295,54-668597@51-672973,0.html

14 récits d’Auschwitz

Le site TV présente "le témoignage de Ida Grinspan, rescapée du camp de concentration d’Auschwitz, en Pologne. Elle raconte l’exode inhumain infligé aux déportés pour fuir Auschwitz, une semaine avant l’arrivée de l’armée russe".

http://www.lesite.tv/index.cfm?nr=2&f=0502.0014.00

(Texte inspiré par une récente polémique, construit sur la base de témoignages de presse et librement inspiré de l’histoire de Madame Ida Grinspan.)


Sabine Aussenac.


Source : http://www.lepost.fr/article/2010/04/28/2051919ils-portaient-leurs-capes-bleues-un-maire-censure-la-lettre-d-une-ancienne-deportee.html

(sur le blog de Jacques Tourtaux)

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