25 avril 2010

Un rapport sur les conflits à la SNCF enterré par la direction

Par Sophie Verney-Caillat | Rue89 | 23/04/2010 | 14H54

Commandé par l'entreprise, le rapport d'un sociologue du travail sur la grève de Saint-Lazare a été caché aux cheminots.

La SNCF n'aime pas analyser ses relations sociales à la loupe. Après avoir commandé une étude à un sociologue sur les causes du long conflit de Paris Saint-Lazare fin 2008, la direction de l'entreprise a renoncé à en communiquer les conclusions gênantes au personnel directement concerné. Rue89, qui s'est procuré ce rapport, en publie l'intégralité.

L'étude en question a été menée par IDée Consultant, cabinet d'Henri Vacquin, sociologue du travail. Etonné que nous nous le soyions procuré, ce dernier regrette que la direction de la SNCF ait « utilisé ce travail pour réagir à chaud sur l'événement mais pas pour enrichir la concertation dans la maison ».

L'ambition de ce matériau était, selon la dernière phrase du rapport, « d'ouvrir un terrain nouveau de concertation, dont l'entreprise a le plus grand besoin ».

Invité à faire un compte-rendu oral en juillet 2009 devant la direction et les syndicats centraux, Henri Vacquin a été interrompu après avoir présenté le tiers de son étude. Contrairement à ce qui était prévu, Guillaume Pépy, le patron de la SNCF, a refusé de communiquer le rapport aux organisations syndicales. Les syndicats de la gare Saint-Lazare, les premiers concernés, et l'encadrement, n'ont pas pu en prendre connaissance.

Sollicitée par Rue89, la direction de la SNCF ne nous a pas répondu ce vendredi.

Un « système de relations sociales qui a atteint ses limites »

Le travail du cabinet Vacquin s'appuie sur des entretiens conduits avec 85 personnes à des échelons hiérarchiques différents.

Le mois de grève à la gare Saint-Lazare révèle un « système de relations sociales qui a atteint ses limites », dit le rapport qui pointe des « vulnérabilités managériales et organisationnelles pouvant être considérées comme un lieu révélateur de phénomènes similaires présentes dans toutes les directions régionales ».

Des citations, toujours anonymes, de salariés de l'entreprise, en disent long sur la déstabilisation de l'encadrement :

« Plus personne ne sait bien où il en est et en quoi il est ou non décisionnaire. »

Un dirigeant national :

« On ne sait plus qui est arbitre. Un cadre chez nous est souvent réduit à n'utiliser que 30 à 50% de son espace de prise de décision. »

La direction ne veut pas lâcher, les syndicats se durcissent

En remontant à l'origine des restructurations que connait la SNCF depuis des années, le rapport pose des questions sans détour :

« Peut-être y a-t-il d'autre manière de conduire le changement qu'à coup de remise en cause des acquis de la négociation où les agents se sentent floués et l'encadrement systématiquement décrédibilisé ? »

Loin de présenter les syndicats comme des fanatiques de la grève, les sociologues soulignent que ni SUD ni la CGT n'avaient souhaité un conflit aussi long, contrairement à ce qui avait été dit à l'époque, où le président de la République avait stigmatisé ces « irresponsables » de SUD-rail.

Au contraire, la volonté de « ne pas lâcher » de la direction « a joué son rôle dans le durcissement des organisations syndicales ».

En pied de nez à son commanditaire, le rapport termine sur cette phrase :

« Que ceci reste entre nous mais à nos yeux, le management hiérarchique a eu le management syndical qu'il méritait. Mais ni l'entreprise, ni les usagers/clients. »

Le « pouvoir politique devrait faire attention »

Il y a presque un an, le rapport prédisait « des conflits sociaux liés aux changements de service [la cause du déclenchement de celui de Paris-Saint-Lazare, ndlr] qui risquent d'être encore plus conséquents dans les prochaines années ».

Interrogé aujourd'hui, Henri Vacquin, co-auteur du document, fait le rapprochement avec la situation actuelle :

« Un conflit se gagne ou se perd dans l'opinion publique. Cette opinion est “prise en otage” selon le pouvoir politique, “prise à témoin” selon les syndicats ».

[Fin 2008, comme en 2010] « la direction, guidée par ses tutelles politiques a joué la stratégie du pourrissement, or personne n'en sort gagnant, ni la direction, ni les syndicats. »

« En enterrant ce rapport », réagit Philippe Guiter, secrétaire fédéral de SUD-Rail, « la direction a choisi d'enterrer la réflexion sur ce qui avait engendré la grève et deux ans après, les mêmes causes produisent les mêmes effets ».

Source : Patrice Bardet Rue89, http://eco.rue89.com/confidentiels-indiscrets/2010/04/23/ce-rapport-sur-les-conflits-a-la-sncf-enterre-par-la-direction-1

également sur le blog de J. Tourtaux, cliquez ici

Aucun commentaire: