Boycotter les boycotteurs
lundi 17 mai 2010 - 08h:25
Gideon Levy - Haaretz
Alors qu’il est admis que le boycott de l’Amérique du Sud a entraîné la chute du régime, ici, en Israël on considère que comparer les deux situations n’a absolument aucun sens.
La plupart des gens ici sont horrifiés à l’idée que qui que ce soit à l’étranger puisse envisager de boycotter leur pays, leurs produits et leurs universités. On considère en effet en Israël que les boycotts sont illégitimes. Celui qui appelle au boycott est considéré comme un antisémite, quelqu’un qui déteste Israël et qui remet en question le droit à l’existence du pays.
En Israël même, ceux qui appellent au boycott sont traités de traîtres et d’hérétiques. L’idée qu’un boycott, même partiel, puisse convaincre Israël de changer de politique - pour son propre bien- n’est pas tolérable ici.
Même une démarche logique et évidente - comme le boycott de l’Autorité Palestinienne des produits fabriqués dans les colonies- est considéré comme une provocation par les Israéliens hypocrites. De plus alors qu’il est admis que le boycott de l’Afrique du Sud a entraîné la chute du régime, ici, en Israël, on considère que c’est ridicule de comparer les deux situations.
On pourrait à la rigueur comprendre ces réactions intransigeantes si Israël n’était pas lui-même un des plus actifs boycotteurs de la planète. Non seulement il boycott, mais il enjoint, et parfois même force d’autres pays à faire de même. Israël a imposé un boycott culturel, académique, politique, économique et militaire aux territoires occupés. Presque personne ne conteste la légitimité de ce boycott. Mais boycotter le boycotteur ? Ca c’est inconcevable.
Le boycott le plus brutal et le plus net est bien sur le siège de Gaza et le boycott du Hamas. A l’injonction d’Israël presque tous les pays occidentaux se sont ralliés au boycott avec un empressement inexplicable. Ce n’est pas seulement un siège qui a maintenu Gaza dans l’indigence ces trois dernières années, non c’est en fait un total (et ridicule) boycott du Hamas excepté pour les pourparlers pour libérer le soldat Gilad Shalit. C’est toute une série de boycotts culturels, académiques, humanitaires et économiques. Israël fait pression sur presque tous les diplomates pour les empêcher d’aller se rendre compte sur place de la situation à Gaza.
De plus Israël interdit l’entrée de Gaza à l’aide humanitaire. Il faut noter que le boycott ne concerne pas seulement le Hamas, mais s’étend à tout Gaza et à tous ceux qui y vivent. Un convoi de navires va bientôt se rendre d’Europe à Gaza pour essayer de briser le siège et apporter des tonnes de matériel de construction, des maisons préfabriquées, et des médicaments. Israël a annoncé qu’il projetait d’arrêter les navires. Un boycott est un boycott.
Docteurs, professeurs, artistes, juristes, intellectuels, économistes, ingénieurs, personne n’est autorisé à entrer à Gaza. C’est un boycott absolu qui porte la mention "made in Israël". Ceux qui disent que les boycotts sont immoraux et inefficaces boycottent Gaza sans hésitation.
Israël essaie aussi de convaincre le monde entier de boycotter l’Iran. Mais la folie du boycott ne concerne pas seulement Gaza et l’Iran, elle affecte aussi tous ceux qui arrivent en Israël ou en Cisjordanie. Si quelqu’un est soupçonné de sympathie envers les Palestiniens ou s’il parait se soucier de leur sort alors il est boycotté et expulsé. Parmi eux, un clown venu organiser un festival, un militant pour la paix qui devait participer à un colloque, des scientifiques, des artistes, des intellectuels qui ont été soupçonnées de soutenir la cause palestinienne. C’est un boycott culturel et académique tous azimut, exactement le type de boycott que nous refusons de subir.
Mais la liste des boycotts que le pays anti-boycott effectue ne s’arrête pas là. Même un organisme comme J Street, qui se dit pro-israélien, a senti peser sur lui la menace du boycott israélien. Nous, nous avons le droit de boycotter J Street qui milite pour la paix, mais nous ne supportons pas qu’on boycott nos produits en provenance des colonies qui ont été construites sur de la terre volée.
Refuser l’entrée d’un professeur qui veut se rendre à une université de Gaza ne s’appelle pas du boycott, mais rompre ses liens avec des institutions israéliennes spécialisées dans la formation rapide de d’officier de l’armée et d’experts en interrogatoires des services de sécurité du Shin Bet (des gens qui sont souvent considérés dans le monde entier comme des complices de crimes de guerre) est verboten.
Oui, un Israélien qui vit en Israël aura du mal à défendre les vertus d’un boycott interne auprès d’une personne qui ne boycotte pas son propre pays ou sa propre université. Mais il a le droit de croire qu’un boycott pourrait forcer son gouvernement a mettre fin à l’occupation. Tant que cela ne coûte rien aux Israéliens il n’y aura pas de changement.
C’est une attitude morale et légitime. Elle n’est pas moins morale ou légitime que celle de ceux qui affirment que le boycott est un outil immoral et inefficace tout en s’en servant contre d’autres. Vous êtes contre le boycott d’Israël ? Alors cessons de boycotter les autres.
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16 mai 2010 - Haaretz - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction de l’anglais : Dominique M.
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