Jean Ziegler : « La haine de l’Occident »
La haine de l'Occident
de Jean Ziegler
Où qu'il aille, dans l'exercice de ses fonctions internationales, Jean Ziegler est frappé par l'hostilité de principe que les peuples du Sud manifestent à l'endroit de ceux du Nord. Jusqu'à rendre parfois impossible l'adoption de certaines mesures d'urgence en faveur des plus démunis. Dans ces conditions, localiser les racines de la haine que le Sud voue désormais à l'Occident, et réfléchir aux moyens propres à l'extirper, est devenu une question de vie ou de mort pour des millions d'hommes, de femmes et d'enfants à la surface du globe. Comment contraindre le nouvel ordre du capitalisme mondialisé à cesser de soumettre le reste du monde à sa domination meurtrière, comment conduire l'Occident à assumer ses responsabilités ? Comment faire en sorte qu'au Sud, l'horizon de l'état de droit ne soit pas récusé du fait des injustices qui sont commises en son nom ? Dans quelles conditions le dialogue peut-il être renoué ? Des réponses sont apportées à ces questions au long d'un parcours documenté, riche en expériences de terrain - du Nigeria à la Bolivie, des salles de conférences internationales aux villages les plus déshérités de la planète -, sur un mode toujours vibrant et engagé. En forme d'hommage, si l'on veut, aux deux puissantes voix tutélaires qui hantent ce livre, celle d'Aimé Césaire et celle de Wole Soyinka.
Membre du haut Conseil des droits de l’Homme aux Nations Unies et ancien rapporteur des Nations Unies sur l’alimentation, Jean Ziegler, dans son nouveau livre "La haine de l’Occident", ne dresse pas seulement un saisissant réquisitoire contre "l’ordre meurtrier de l’Occident", contre son arrogance et son déni de justice à l’égard des pays du Sud, c’est à dire des trois quarts de la population mondiale. Il montre que la "mémoire collective resurgie" des peuples affamés, pillés, assassinés, est une force historique qui peut changer le monde.
"Après un enfouissement des traumatismes par les sociétés qui ont subi un choc...nous vivons le temps du retour à la mémoire. Les peuples ’brusquement’ se souviennent des humiliations, des horreurs subies dans le passé. Ils ont décidé de demander des comptes à l’Occident".
Et c’est une bonne chose, explique Jean Ziegler.
Tout d’abord, parce que le passé négrier et colonial de l’Europe est "moralement, spirituellement indéfendable"
Et pour tous ceux qui n’auraient pas une vue complète des horreurs commises par les puissances occidentales, ou qui penseraient qu’elles sont loin derrière nous, Jean Ziegler développe plusieurs chapitres largement méconnus de ces 500 ans de crimes contre l’humanité et de cette "obsession occidentale de détruire les cultures et identités qui les avaient précédées".
Pour ne citer que ceux-là :
le rapt des enfants autochtones en Tasmanie (Australie) admis par les Anglais depuis 1836 jusqu’en 1969, date de son abolition ( !). Puisque par ordre de la Couronne, tous les enfants autochtones à partir de l’âge de 3 ans étaient enlevés à leur famile et mis dans un orphelinat où ils étaient castrés, stérilisés, violés, mutilés.
même phénomène au Canada où s’est pratiqué le rapt des enfants d’ethnie indienne jusqu’en 1960. Ce n’est que le 10 juin 2008, que le gouvernement britannique a présenté des excuses aux peuples autochtones pour les 150 000 enfants enlevés, agressés sexuellement et psychologiquement.
Jean Ziegler rappelle que ce que Karl Marx écrivait déjà en son temps : "Le capital arrive au monde suant le sang et la boue par tous les pores. Il fallait pour piedestal à l’esclavage dissimulé des salariés en Europe, l’esclavage sans fard dans le nouveau monde (...) Les trésors directement estorqués hors de l’Europe par le travail forcé des indigènes réduits en esclavage par la concussion, le pillage et le meurtre, refluaient à la mère patrie pour y fonctionner comme capital", est toujours vrai.
A propos des conséquences bien actuelles de cette politique, qui a pris le nouveau visage du néo-libéralisme, il souligne à quel point "le sous-développement a été accru par les mercenaires de l’OMC et du FMI".
Toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. 100.000 personnes meurent ainsi chaque jour. 500 000 femmes sont mortes en couches en 2007 en Afrique sub-saharienne.
Aucune fatalité, donc, dans tout cela. "Un enfant qui meurt de faim aujourd’hui, est un enfant assassiné", fait-il remarquer, condamnant le "négationnisme" et "l’arrogance" de nos dirigeants, tel un Sarkozy refusant de s’excuser sur les massacres de Sétif ou allant déclarer à Dakar que "l’homme africain est responsable des malheurs de l’Afrique".
"Un Occident dont les pratiques démentent constamment les valeurs qu’il proclame. D’où la méfiance, voire l’aversion des pays du sud pour cet Occident qui tente depuis des siècles de confisquer à son seul profit le mot "humanité". D’où la "ruine des Nations Unies", souligne-t-il.
Jean Ziegler illustre ce double langage avec l’exemple du Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique et l’un des plus riches du monde "mis en coupe réglée par les seigneurs de la guerre économique mondiale".
"la Haine raisonnée de l’Occident", "l’affirmation identitaire autochtone face à la prétention universaliste du dominateur occidental", sont une "nécessité". Elles ont permis pour la première fois depuis 500 ans, l’arrivée au pouvoir, en Bolivie, d’un paysan indien, Evo Morales, qui reprend le contrôle des immenses richesses de ce pays, pour les restituer à une population qui est, paradoxalement, parmi les plus pauvres du monde.
C’est donc sur l’espoir d’un nouvel ordre mondial créateur de justice et d’équité que débouche "la Haine de l’Occident". (Editions Albin Michel. 20 euros. En vente dans toutes les bonnes librairies, dont la librairie Résistances !)
A lire absolument
sur le blog ELKHADRA
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