L’économie sous l’occupation
vendredi 27 août 2010
PCHR Gaza
Là-bas, le climat, la terre sablo-argileuse et la présence en quantités appréciables d’eau douce se conjuguent idéalement pour permettre la production fruitière, un mode de vie profondément ancré chez les agriculteurs tels que Abdulfattah Al-Khateeb qui cultive des fraises depuis plus de vingt-cinq-ans. La région de Gaza est l’une des plus densément peuplées au monde. A Beit Lahia pourtant, le regard est séduit par les vastes étendues verdoyantes amoureusement entretenues par les cultivateurs.
Mais l’esprit de Abdulfattah, alors qu’il contemple son champ, est ailleurs. Chose singulièrement cruelle pour un agriculteur, son souci n’est pas dans les soins à donner à sa culture mais dans la question de savoir si sa récolte, une fois arrivée à maturité, pourra faire son entrée sur le marché. Afin de réaliser des gains, même très minces, Abdoulfattah doit vendre ses fraises en Cisjordanie, en Israël et en Europe comme il l’a fait durant les vingt dernières années. Depuis 2007, Israël a imposé une fermeture complète, permanente et dans les deux sens, des points de passage de la bande de Gaza, coupant ce territoire côtier du reste du monde. Abdulfattah a déjà vécu l’épreuve insoutenable de regarder, impuissant, ses fraises pourrir par tonnes alors qu’il attendait vainement la permission de passer de l’autre côté de la frontière. Maintenant, il a peur que son exploitation, source de vie pour lui et sa famille, ne connaisse le même sort, c’est à dire la fin.
Avant son occupation par Israël en 1967, la Bande de Gaza était célèbre pour sa production de citrons. Ses fameux "Jaunes d’Or" étaient connus dans toute la Palestine. Sous l’occupation imposée par Israël - qui est lui-même un des grands producteur de citrons- les arboriculteurs à Beit Lahia et dans le reste de Gaza furent forcés de renoncer à la production d’agrumes car de nombreux vergers avaient été rasés au bulldozer par l’armée israélienne. Ils se tournèrent alors vers les fleurs, fraises et autres cultures plus aptes à répondre aux « soucis sécuritaires » d’Israël. Ainsi s’adaptèrent les agriculteurs de Beit Lahia et, très vite, ils se mirent à produire des fraises d’une qualité telle qu’elles trouvèrent leur chemin vers Israël, la Cisjordanie et les détaillants « haut de gamme » en Europe. « Ce sont les meilleures fraises du monde » nous dit Abdoulfattah qui a été à une certaine époque président de la Société des Cultivateurs de Fraises de Beit Lahia.
A présent, et une fois de plus, Abdulfattah et d’autres cultivateurs sont forcés d’abandonner leurs cultures mais avec cette fois-ci, aucune possibilité de se tourner vers d’autres productions, fussent-elles, si cela se conçoit, plus « sécuritaires ». Dans les formes que prend actuellement le blocus illégal du territoire imposé par Israël, les agriculteurs n’ont plus la possibilité de vendre leurs produits en dehors de la Bande de Gaza. Ils subissent, en sus de tout cela, des restrictions touchant aux types et quantités de produits qu’ils peuvent cultiver. Les effets de cette politique sont désastreux.
Avant la fermeture totale du territoire du 14 juin 2007 - laquelle n’est en fait qu’un resserrement de l’étau mis en place dès le début des années 90 pour étouffer cette terre - la Bande de Gaza produisait annuellement pas loin de 400.000 tonnes de produits agricoles dont un tiers était destiné à l’exportation. En dépit de l’ Accord sur la Circulation et l’Accès signé par Israël et l’Autorité Palestinienne en 2005, accord qui prévoyait 400 camions/jour pour la Bande de Gaza, seulement 259 camions chargés de marchandises ont pu quitter le territoire durant les trois dernières années. Conséquence logique de cette situation, un rapport des agriculteurs de Gaza note une baisse de 40% de leur revenu depuis 2007 et cette catégorie professionnelle a perdu, rien qu’en 2008, un montant estimé à 6,5 millions de dollars.
Privés de la possibilité d’exporter leurs produits vers la Cisjordanie, Israël et l’Europe, les cultivateurs à l’image de Abdulfattah doivent se tourner vers un marché « intérieur » des produits agricoles - celui de la Bande de Gaza - marqué par une demande si réduite que l’offre en comparaison, empêchée d’aller ailleurs, s’enfle démesurément et entraîne les prix dans une chute telle que, pour reprendre Abdulfattah, ils ne permettent à celui-ci pas même de survivre. « Avant 2007, le prix d’un kilogramme de fraises dans le marché de Gaza était de vingt-deux shekels, il est à présent de trois shekels. Comment seulement vivre avec de tels prix ? Je m’accroche à chaque saison qui passe avec l’espoir de meilleurs prix à venir, avec l’espoir que je pourrai exporter un peu. Mais depuis 2007, je suis contraint de ne compter que sur ce que me donnent les autres. »
Ajouté à tout cela, Abdulfattah doit subir de nombreuses restrictions imposées à son exploitation par l’Etat israélien, ce qui se traduit par une hausse de ses coût de production. « Les Israéliens nous dictent ce qu’il faut planter, comment planter, ce qu’il faut utiliser pour planter et d’où obtenir des plants. Nous sommes forcés d’utiliser les plants israéliens qui coûtent quinze shekels, et empêchés d’acquérir les plants palestiniens qui n’en coûtent que quatre et qui, de surcroît, sont meilleurs (ces plants qui produisirent les fameuses fraises de Gaza). Mais passons, nous les utilisons quand même et obtenons le certificat qui le prouve, un papier qui coûte cher. Malgré notre respect de toutes ces spécifications, les Israéliens ne laissent pas nos fraises passer la frontière. » Comme pour condenser en un seul jet toute l’amertume des agriculteurs de la Bande de Gaza occupée, Abdelfettah s’exclame : « dès que nous avons accompli tout ce que les Israéliens nous disent de faire, ils nous sortent un nouveau problème ».
Le blocus ne signifie pas seulement des temps économiquement difficiles pour les agriculteurs tels que Abdelufattah, il constitue une lourde menace pour leurs moyens de subsistance et leur mode de vie. Avant 2007, environ 2500 dunums de terre étaient plantés de fraises. Cette année, pas loin de 1500 dunums restent en friche, ce qui signifie que 300 familles sont privées de revenu. Il est plus que probable que ces familles vont renoncer à la culture des fraises, ce qui est déjà le cas pour la moitié des cultivateurs de fraises de la Bande de Gaza. Parmi ces gens, il est possible que quelques uns trouvent un emploi mais avec un taux de chômage approchant les 55%, il est certain que les autres seront condamnés à l’inactivité.
La politique israélienne s’appliquant à la culture des fraises, et particulièrement à leur exportation, est une démonstration frappante de ce qu’est l’économie politique de l’occupation. Il y a un lien direct entre les fraises produites à Gaza et celles produites en Israël. Du fait de leur qualité et de la forte demande qu’ils suscitent auprès des consommateurs, les produits agricoles de la Bande de Gaza, dont les fraises, sont empêchés d’entrer en compétition avec les produits israéliens, en Israël ou sur les marchés extérieurs. Il faut encore citer le fait que les surplus agricoles d’Israël sont déversés sur le marché de Gaza, accélérant la chute des prix au désespoir des agriculteurs locaux.
Pour encore considérablement assombrir le tableau, il y a les conséquences désastreuses de la dernière offensive militaire israélienne sur la Bande de Gaza : près de 46% des terres agricoles détruites, 269 millions de dollars de dommages dont près de 84 millions pour la production de végétaux. Les agriculteurs n’ont pas seulement été privés de dédommagement de la part des auteurs de ces destructions, il sont aussi mis dans l’incapacité par Israël d’importer les biens d’équipements et autres intrants dont ils ont besoin pour réhabiliter leur terre.
Le 4 juillet, en réaction à la condamnation internationale de l’attaque du 31 mai sur la Flottille de la Liberté pour Gaza, le gouvernement israélien a annoncé un « assouplissement » des mesures restrictives aux points de passage de la Bande Gaza. La quantité et la variété des biens autorisés à entrer dans le territoire vont croître mais le sort réservé au exportations reste inconnu. Pour Abdoulfattah, cet assouplissement ne changera pas grand choses aux conditions actuelles. Son exploitation continuera d’être étouffée et son mode de vie restera aussi menacé que jamais. « Je n’espère rien de nouveau (de la nouvelle politique israélienne). Même si les Israéliens décident d’autoriser les exportations, je serai incapable de m’adapter aux restrictions qu’ils ne manqueront pas de nous inventer. De toute façon, ils ne vont pas ouvrir. »
Consultez également :
Gaza : rude épreuve pour les agents de voyage - 5 août 2010
Gaza : grave insuffisance des traitements sous dialyse - 31 juillet 2010
20 juillet 2010 - PCHR - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Traduction de l’anglais : Najib Aloui
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