28 août 2010

La guéguerre des mosquées à Aghrib et les sources du droit en Algérie.

par Tahar Hamadache, jeudi 26 août 2010, à 17:29

Dans son édition du 26.08.2010, El-Khabar traite de nouveau de la guéguerre des mosquées qui s'est produite à Aghribs et parvient enfin, sans les mettre en valeur, à des motivations sous-tendant l'affaire qui sont de nature à intéresser les lecteurs, les paysagistes, et même l'étudiant en droit des affaires que je suis :)

Je souligne : "ووسط حالة من الزهو بين سكان القرية بالمقام الجديد، واصل الطرف الآخر عمليات بناء المسجد على بعد أمتار قليلة من المقام". Traduction : Et dans l'ambiance de joie des habitants du village suscitée par le nouveau "maqam" (coupole du saint tutélaire local et mosquée), l'autre partie a continué l'opération de construction d'une nouvelle mosquée à une distance de peu de mètres du "maqam".

Je souligne aussi : "وقال أحد أعضاء لجنة القرية لـ »الخبر » بهذا الخصوص »احتفلنا ليلا في جو بهيج في الساحة التي كانت مسجدا بحضور أهل القرية ورسالتنا واضحة: هذا المكان أصبح ملكا للقرية وليس للشؤون الدينية أو للأوقاف أو لأية جهة أخرى، ولهذا قررت لجنة القرية جعله ساحة لإحياء النشاطات الثقافية المتنوعة ». Traduction : "Et l'un des membres du comité du village [à ne pas confondre avec le comité de la nouvelle mosquée, probablement distincte du comité de l'ancienne mosquée rénovée même : on ne le sait pas encore], a dit à "El Khabar" à ce propos : "Nous avons animé une fête de nuit, dans une ambiance heureuse, sur la cour qui allait accueillir la nouvelle mosquée, en présence des habitants du village et notre message est clair : "cette place est [re]devenu une propriété collective du village et non [du secteur] des affaires religieuses et des wakfs ou tout autre partie et c'est la raison pour laquelle le comité du village a décidé d'en faire une cour pour l'animation d'activités culturelles diverses".

Il s'agit donc essentiellement d'appropriation - réappropriation d'un terrain dont le statut juridique aurait pu changer au détriment de l'espace public et de l'intérêt général, si l'on considère qu'un terrain occupé par les Waks devient de ce fait un terrain privé des Wakfs. Si cette indication rapportée par le journal El Khabar s'avère honnête, la position neutre du ministère des affaires religieuses par rapport à cette question s'explique amplement : en ne soutenant pas ouvertement la partie qui a voulu disposer d'un espace public, propriété générale, pour se l'approprier au bénéfice d'une entité juridiquement privée (les Wakfs), il aura le moins que l'on puisse dire absolument ménagé la partie qui a procédé au changement par voie de fait du statut juridique de ce terrain. On ne comprendrait de ce fait pas pourquoi ce comité du projet de mosquée se plaint du silence des chargés du secteur des affaires religieuses et des wakfs.

Subsidiairement, les habitants de ce village pouvaient légitimement se sentir indument expropriés parce qu'un terrain wakf n'est pas du tout et ne peut pas être, à suivre au pas les dispositions de la charia en la matière, un bien exproprié mais un terrain soit offert, soit mis à la disponibilité des instances religieuses ou de leurs servitudes. Il peuvent ressentir l'attitude du comité du projet de mosquée comme une atteinte grave et une spoliation indue engagée à l'encontre du village, tout en constituant un affront caractérisé aux attributs du Conseil du village (ici, appelé "comité", communément connu sous le vocable "tajme3t").

Ce qui rend encore plus ostentatoire le caractère hautain, têtu et réfractaire du comité du projet de mosquée, c'est ce qui apparait sous la plume du journaliste d'El Khabar, lorsqu'il rapporte que ce comité se défie de la joyeuse cérémonie animée par les villageois à l'occasion de l'achèvement des travaux de rénovation de leur "maqam" mis à mal par le séisme de 2003. El Khabar rapporte bien à ce propos que : <<>>.

On ne peut ignorer la question qui se soulève d'elle-même à cette occasion, si les faits rapportés s'avèrent exacts : le comité du projet de nouvelle mosquée, en ne respectant pas la tradition musulmane en matière d'attributio nde terrains au wakfs, visait-il à porter atteinte au "3urf", lui-même troisème source de droit en Algérie, au bénéfice de la Charia, en malmenant le droit positif en viguur en Algérie ? Visait-il à mettre la charia et le 3urf en contradiction forcenée l'un(e) à l'égard de l'autre, hors du droit positif ?

26 aout 2010,

Tahar Hamadache,

Etudiant en droit.

Conflit d'Aghrib : l'arbre qui annonce la forêt ?

par Tahar Hamadache, samedi 28 août 2010, à 19:18

Suite de : http://www.facebook.com/notes/tahar-hamadache/la-gueguerre-des-mosquees-a-aghrib-et-les-sources-du-droit-en-algerie/425571167506#

Mieux vaut en parler davantage, d’autant plus que des voix s’élèvent déjà en vue d’en faire un sujet de débat à la rentrée « législative ». Et puisque un voile est levé sur une affaire à Aghrib, autant d’y exercer sa clairvoyance et sa lucidité !

A-t-on remarqué que les conflits internes aux organisations les plus habituelles à la discrétion, les Zaouias, qu’elles soient d’envergure locale, nationale ou internationale, sont bien plus souvent portés sur la place publique que les difficultés que rencontrent les populations villageoises, y compris kabyles, dans le fonctionnement de leurs structures sociales ?

Cela ne signifie pas qu’elles ne connaissent pas de difficultés, bien au contraire ! La diversité et l’ampleur des contradictions à lesquelles elles sont soumises, de statu ou de facto, sont déroutantes. Et presque toujours passées sous silence. Y compris lorsqu’elles ne trouvent aucun début de résolution.

Pourtant, si les enjeux qui sous-tendent les conflits qui traversent des confréries sont, aussi inavouables soient-ils, suffisants pour les régler extra-muros, sur la place publique, il y a aussi des enjeux qui sous-tendent la pression permanente à laquelle les communautés villageoises sont soumises et qui, toutes inédites qu’elles soient, n’en constituent pas moins de sérieux thèmes de débat public. De plus, si l’on peut considérer, à juste titre, les zaouias comme des icones de l’histoire et de la culture nationales, les agglomérations villageoises ne le sont certainement pas moins : il y a bien des villages qui siègent sur plusieurs siècles d’histoire sociale et de mémoire collective qui dépasse très largement le petit périmètre vital de chacun d’eux.

Ce serait quasiment insolite que l’on parle des unes et que, simultanément, l’on ne sache souvent quasiment rien des autres. Il est vrai toutefois que, autant la tutelle des zaouias est indiscutable, autant on a pris habitude à ne voir dans les petits remous qui apparaissent à la surface du vécu villageois que ce qui peut être attribué, à tort ou à raison, à quelque chapelle peu ou prou concernée par ce qui s’y passe. On a l'impression que même les conflits qui traversent une communauté religieuse sont sacrée, que l'on écoute par conséquent religieusement, pendant que toute plainte émanant d'une population villageoise est assimilée, tout aussi misérablement qu'il en pour la femme, à du bruit incommodant, à un trouble à l'ordre public, vivement inhibé si non sanctionné.

Je ne puis dire si le mérite d’avoir étalé publiquement ce problème rencontré par la population d’Aghrib en revient à la seule et unique volonté des villageois, en tout cas il est salutaire qu’ils s’y impliquent. De ce fait, ils nous lancent un signal que, effectivement, il y en a de ces tracasseries contemporaines à lesquelles le village, quel qu’il soit, serait honoré de faire face autant qu’il peut, tout en ressentant, qu’il en fasse part ou non, besoin d’un apport, d’un regard, d’un témoignage extérieur : cela est parfois nécessaire pour demeurer serein face aux épreuves.

Tout en courant le risque de voir ses difficultés diluées dans des considérations qui ne le concernent pas concrètement et de le voir dépossédé de la possibilité même de connaitre des difficultés et de les gérer puisqu’il est habité de personnes sensées, de plus en plus instruites, souvent intelligentes, difficulté et gestion presque toujours attribuées à des forces quasi-exclusivement politiques sinon extra-villageoises, du moins le traversant, le village rural, quel qu’il soit, a, plus que toute autre forme de regroupement social, la latitude d’exprimer à travers ses propres extériorisations, des malaises touchant l’ensemble de la société.

Le village peut s’attendre à ce que, une fois ses préoccupations rendues visibles, indubitablement réalistes, l’on tente de le remettre à son confinement et dans l’oubli général ; il n’y a alors qu’à souhaiter qu’il y ait des gens qui prennent le village rural pour ce qu’il est réellement, loin de le confondre avec une matière physique amorphe, disponible pour tout maniement, inconscient en soi. Ce serait pourtant trop d’espérer que les personnes issues d’un village et qui l’ont quitté, quel que soit leur niveau d’instruction, leur influence ou leur richesse, soient tous également de quelque recours décisif ; c’est que, à titre individuel ou pour le compte de réseaux pluriels, il se trouvera beaucoup parmi ces personnes qui se seront « allaitées » (met’hellbin) à quelque louve aliénante qui les détache du village, voire les retourne contre ses sains usages sociaux y admis. Et ce ne sera ni Aemmi Ljerrar (1), ni M. Abouguerra Soltani -auteur de cette insolite « traduction » d’une expression pourtant très populaire الشطيح والرديح، أي الرقص والكأس (« danse et clameurs, c’est-à-dire danse et verre », comprendre verre de vin)- (2) qui me contrediront.

C’est donc généralement vers les rares consciences éveillées à la réalité rurale générale que les appels s’adresseront, dans l’espoir qu’ils les captent assez vite. En vérité, c’est de ces consciences-là que la situation a besoin, pas même toujours de quelques caractères ataviques, attachants mais trop souvent trop facilement conduits à l’impasse. Et la réalité des difficultés rurales se déclinent, malgré les sigles en vogue et malgré tous les subterfuges utilisés pour en camoufler les contours, principalement sous deux titres : changement mentalité et changement de propriété.

Pendant que le « changement de mentalité », chanté depuis de longues années, est portée par un déchainement frénétique aux contours flous, constitué de différents bords politiques (sauf exceptions), islamistes autant que modernistes, s’allient pour être les deux mailles d’une même tenaille qui s’empare de tout vestige de structuration sociale connue, qui se manifeste (naturellement) davantage au sein des populations rurales, destinées à la déstructuration en vue d’une restratification néolibérale à la manière des tenants de la théorie du chaos constructeur, le changement de propriété apparait sous deux facettes à l’évidence différentes mais au fond coulées du même matériau socio-économique et frappées du même sceau, plutôt crapuleux puisque rien ne l’a annoncé : pendant que le domaine des wakfs ne cesse de s’accroitre, le domaine public de l’état est peu à peu cédé aux intérêts privés, nationaux ou non, y compris lorsqu’il s’agit de biens séquestrés par l’armée coloniale dont la population fut spoliée du fait de sa résistance à l’occupant.

Ces deux éléments nous renvoient nécessairement à l'identité dans laquelle ceux dont les enjeux et les conflits sont légitimés veulent faire éteindre ceux dont la survie et les difficultés y inhérentes sont traitées de tares, d'incongruités. Elle nous fait toucher le nombril de la question qui touche à la citoyenneté : la pulvérisation graduelle de l'identité nationale dont l'image d'un trident menteur, en tout cas imparfait, ne saurait en déculpabiliser les responsables.

Le fait est que chaque population villageoise rurale gagnera à savoir que les difficultés majeures à lesquelles elle est confrontée ne lui sont pas exclusifs et que d’autres villages à travers l’Algérie en connaissent autant : ils se rendront mieux compte des voies à suivre pour, sinon les juguler, du moins les inscrire dans la mémoire collective nationale, afin que toute éventuelle défaite ne soit indument enregistré en tant que consentement passif. Sans cela, la pudeur villageoise peut constituer une pesanteur considérable gênant tout énoncé expressif du mal qui ronge celles et ceux qui en pâtissent le plus : j’ai soumis à des amis un texte écrit par lequel j’ai essayé de penser la situation de mon propre village pendant quinze jours, et je n’enregistre toujours pas de réaction écrite (3).

29 août 2010,

Tahar Hamadache.

Notes :

(1) : http://soummam.unblog.fr/2009/04/21/mediation-et-citoyennete-vers-un-conflit-structurel/ et articles liés.

(2) : http://www.echoroukonline.com/ara/aklam/analyses/58267.html

(3) : http://www.facebook.com/?sk=2361831622#!/group.php?gid=77654807163



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