31 août 2010

Le racisme contre les Arabes : État des lieux d’une intolérance assumée en Europe


Mondialisation.ca, Le 29 aout 2010




«Toute vérité passe par trois stades : en premier lieu on la ridiculise ; en deuxième lieu on s’y oppose violemment ; enfin on l’accepte comme si elle allait de soi.»

Schopenhauer

Cet été est assurément l’été de tous les dangers ! Après les colères de Gaïa, voilà que refait surface et au grand jour, dans des pays qui se piquent de dicter la norme, le spectre de l’intolérance dans tous les pays européens et même aux Etats-Unis avec le feuilleton de la mosquée de Ground Zero. Pratiquement, dans tous les pays européens, Suède, Danemark, Belgique, Italie et France, l’extrême droite se sent pousser des ailes. Nouvelle particularité, le thème récurrent est de plus en plus assumé par les pouvoirs en place et est vu comme un argument de campagne, bref, c’est une machine à gagner les élections.

Naturellement, le thème de la xénophobie et du racisme est contagieux. Les pays arabes ne brillent pas, à titre d’exemple, par leur tolérance et le racisme est toujours en sommeil ; Cependant, ces mêmes pays ne s’intronisent pas donneurs de leçons et "dépositaires en ce qui concerne la norme des droits de l’Homme", qui deviennent, on l’aura compris, de plus en plus les droits de l’homme blanc chrétien. Dans cet ordre d’idées, il nous a paru important de répondre à quelques faits constatés, notamment à une interview du sieur Jean-Marie le Pen, tortionnaire de son état et député en France, que la vulgate officielle des médias français a cru bon de rediffuser en boucle pour bien leur donner des arguments visant à légitimer le discours ultrasécuritaire du pouvoir.

Sous la plume de Pepper Seargent nous lisons :

« Un documentaire daté d’avril et consacré à Jean-Marie Le Pen vient de refaire surface avec force remous. Dans une séquence pendant laquelle le vieillard rugissant aborde ses souvenirs, il lâche une de ces immondes petites phrases dont lui seul, autrefois, avait le secret : "J’ai acheté une maison de campagne pour permettre à mes enfants, qui habitaient le XVe, de voir des vaches au lieu de voir des Arabes." Le dérapage, c’est plutôt quand la droite dite républicaine ou modérée se met à mener une politique d’extrême-droite pour se maintenir au pouvoir quoi qu’il en coûte. (...) Aux étages supérieurs de notre société, la parole s’est libérée, le mépris a été légalisé. (..) Mais que l’on se rallie en masse derrière des étendards xénophobes pour hurler que des exceptions sont la règle, non. Que l’on se mette à croire, à l’unisson et d’un pas cadencé, que des groupes ethniques sont responsables de tous nos maux, non encore. Qu’on en oublie que nous n’avons jamais voulu intégrer ceux que nous accusons aujourd’hui de ne pas vouloir s’intégrer, non toujours.»(1)

On le voit, le thème porteur et inépuisable est celui de l’Arabe : «Ce pelé, ce galeux d’où viennent tous nos maux.» Nous lisons sous la plume de Iman Kurdi un autre exemple toujours actuel : « Le ministre de l’Intérieur, condamné pour injure raciale, va faire appel : il avance que ses propos auraient été mal compris. Un quotidien saoudien le prend au mot et se livre à une explication de texte accablante. Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur français, a été condamné pour injure raciale contre les Arabes. Le 4 juin, un tribunal parisien l’a reconnu coupable d’"injure non publique envers un groupe de personnes en raison de leur origine". Hortefeux a le douteux privilège d’être le premier ministre en exercice condamné pour racisme. Dans de nombreux pays, il aurait dû présenter des excuses et démissionner.»(2)

« Mais voyons, poursuit Iman Kurdi, de quoi il est précisément coupable. Toute l’affaire tourne autour d’un jeune homme appelé Amine Brouch-Benalia. Son père est algérien. En septembre 2009, lors de l’université d’été de l’UMP à Seignosse [Landes], ce jeune militant a souhaité se faire prendre en photo aux côtés de Brice Hortefeux. Tandis que ce dernier s’exécute, on entend une femme dire au ministre : «Il [Amine] mange du porc et boit de la bière», ce à quoi Hortefeux réplique : «Ah, mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype.» Tous rient. On entend alors une autre militante signaler : «C’est notre petit Arabe.» (...) Tout d’abord, il y a cette femme qui nous dit avec fierté que cet Arabe mange du porc et boit de l’alcool [elle précise également qu’il est catholique]. En d’autres termes : c’est un type bien parce qu’il ne fait pas comme les autres Arabes. Il est l’exception qui confirme la règle, un «bon» Arabe au milieu de la multitude des «mauvais» Arabes.(...) Le recours au terme «prototype» suggère que les Arabes sont tous les mêmes ; sa connotation déshumanisante est avilissante. Quand le ministre déclare que «un, ça va», mais que ça commence à poser problème «quand il y en a beaucoup», non seulement il affirme que tous les Arabes sont des fauteurs de troubles, mais il confirme l’idée qu’on pourrait à la rigueur en sauver un ou deux, sur une majorité de bons à rien. En outre, il signale aux citoyens français nés de parents arabes qu’ils ne sont pas de «véritables» citoyens français.(2)

Un autre pourfendeur heureux des Arabes est un émigré de la troisième génération, en l’occurrence, Eric Zemmour dont le père, juif natif d’Algérie, lui se veut carrément «plus royaliste que le roi». Il en rajoute au grand bonheur de tous ceux qui règlent leur compte avec l’Arabe, voire avec le musulman par juif interposé. Hichem Hamza écrit à ce propos : (...) Alors que ses propos, relatifs aux «trafiquants, pour la plupart, noirs et arabes» ont déchaîné les passions sur le Web, sa tolérance, déclarée le même jour sur France ô, à l’égard du racisme à l’embauche, n’a pas été remarquée par les internautes. Une injustice médiatique qu’il était temps de réparer. (...) Loin d’être une bévue regrettable, l’attitude de Zemmour résulte davantage d’une posture réfléchie et stratégique. (...) Eric Zemmour qui affirma lors d’un débat, et sans la moindre preuve statistique à l’appui, que «90 à 95% des mineurs délinquants sont noirs ou arabes». (....)En cette fin d’hiver, Zemmour récidive en commettant un nouvel ouvrage, Mélancolie française, consacré à l’Histoire de France. Le titre sibyllin évoque la tristesse qui se serait emparée de la nation, affligée, de ne pas avoir accompli sa mission quasi divine, sa destinée manifeste, de succéder à l’Empire romain. (...) » (3)

« Aux yeux du journaliste, la France de 2010 est comparable à un Empire submergé par de «nouveaux barbares» - comprenez les immigrés afro-maghrébins - qui refuseraient de se «romaniser» ou de s‘assimiler. (....) Même Jean-Marie Le Pen a estimé, que Zemmour faisait partie de ces rares journalistes, avec Elizabeth Lévy et Serge Moati, à le traiter «correctement». (...) Défense de l’existence des races, banalisation de l’arabophobie et de l’islamophobie, nostalgie de la domination occidentale, lepénisation des esprits, apologie de la haine sous couvert de liberté d’expression(4) Dieudonné constate que, malgré son dérapage, Zemmour n’a pas été sanctionné : «Il faut être juif pour avoir la liberté d’expression en France.» (5)

Qui sont ces Arabes et d’où viennent-ils?

Dès le IXe siècle av. J.-C., des textes assyro-babyloniens et hébraïques mentionnent sous le nom d’Arabes des populations parlant une langue sémitique et venant périodiquement du désert arabique vers la région syro-mésopotamienne. Puis ce nom est donné à toutes les tribus nomades de la péninsule arabique, et, à partir de l’expansion du VIIe siècle apr. J.-C., il désigne les peuples nomades et agriculteurs qui adoptent cette langue. Les historiens nous assurent qu’en des temps immémoriaux, quand l’Europe en était à la préhistoire, l’Arabie était une contrée verdoyante et fertile, irriguée par plusieurs fleuves, un pays souriant où les patûrages alternaient avec les fôrets. Le changement climatique survenu il y a environ dix mille ans fut important. La sécheresse, qui s’installa peu à peu, favorisa l’avancée du désert, déterminant ainsi un mode de vie particulier et modifiant les relations entre les peuples : aux lisières de l’Arabie, des civilisations naquirent, montèrent vers leur zénith, brillèrent d’un éclat fulgurant, puis déclinèrent...De grand royaumes surgirent ainsi et retournèrent au néant. Pourtant, des marchands qui traversaient cette contrée parlaient, parlent avec émerveillement, des royaumes qu’ils avaient traversés en faisant des descriptions enthousiastes. Par leur langue comme par leurs croyances religieuses, les Arabes font partie du monde sémitique. Le Royaume de Saba fondé dans l’Arabie du Sud-Ouest vers le XIe avant J.-C accomplit des prouesses technologiques qui dénotent un haut degré de développement. A partir du premier siècle après J.-C. trois peuples se trouvent sous la souveraineté d’un même roi : les Sabéens, les Hymiarites et un troisième peuple habitant l’Arabie méridionale converti au judaïsme. Les langues sémitiques (araméen, arabe, hébreu,) écrit Chouikha forment un groupe de langues parlées depuis la plus haute Antiquité au Moyen-Orient, au Proche-Orient ainsi qu’en Afrique du Nord. L’araméen apparut vers 850 avant J.-C. en Syrie, et dès le VIe siècle fut utilisé comme Linga franca de l’Égypte à l’Afghanistan.(6)

Le fameux appel du Christ sur la croix en araméen : «Ya Ilahi, Ya ilahi, limasabaktani» que les Chrétiens ânonnent sans comprendre, un locuteur de la langue arabe le comprend : «ô Mon Dieu, ô Mon Dieu, Pourquoi m’as-tu laissé tomber !» [ Pourquoi Tu as pris de l’avance sur moi]. L’arabe est une langue très riche ; les Arabes se vantent, d’avoir 80 mots pour désigner le miel, 500 pour le lion, 1000 pour le chameau et l’épée. Le vocabulaire comprend 60.000 mots. La latinisation des noms des penseurs musulmans montre leur influence auprès des savants européens : Ibn Sina Avicenne, Ibn Tufayl Abubacer, Ibn Bajjah Avempace. Les califes abbassides créent au début du IXe siècle une académie de traduction appelé Bayt al Hikma (Maison de la sagesse) à Baghdad et envoient des émissaires à Byzance pour acquérir les manuscrits grecs à prix d’or. (...) Parmi les traducteurs fameux, on peut mentionner au IXe siècle le médecin Hunayn ibn Ishaq (Johannitius) qui transcrit les corpus médicaux d’Hippocrate et de Galien, qui serviront de base au Canon de la médecine d’Avicenne qui sera lui-même traduit en latin et fera autorité durant cinq siècles. (...)(7)

Malgré ces évidences on constate déjà que dès le XIXe siècle des thèses racistes de la supériorité de l’homme blanc de religion chrétienne apparaissent. Ernest Renan s’en était fait le chantre dans «L’avenir de la science» :«On parle souvent d’une science et d’une philosophie arabes, et, en effet, pendant un siècle ou deux, au Moyen âge, les Arabes furent bien nos maîtres, mais c’était en attendant que nous connussions les originaux grecs. (...)»(8)

S’agissant justement de cette langue arabe, Jacques Berque explique que la fonction de la langue, pour les Arabes, est différente, supérieure à celle qu’elle remplit pour les Occidentaux : «(...) Non seulement elle exprime et suggère, mais elle guide, transcende.» (...) Il donne un exemple : ainsi, en arabe, les mots se rapportant à l’écrit dérivent tous de la racine k.t.b. : Maktûb, maktab, maktaba, kâtib, kitâb. En français, ces mêmes mots sont : écrit, bureau, bibliothèque, secrétaire, livre. Les mots français sont tous les cinq arbitraires, mais les mots arabes sont, eux, «soudés, par une transparente logique, à une racine, qui seule est arbitraire». «Alors que les langues européennes solidifient le mot, le figent, en quelque sorte, dans un rapport précis avec la chose, que la racine n’y transparaît plus, qu’il devient, à son tour, une chose, "signifiant" une chose, le mot arabe reste cramponné à ses origines. Il tire substance de ses quartiers de noblesse.»(9)

On estime justement que la langue française compte plus de 480 mots provenant de l’arabe. De même on estime qu’il y a environ 4000 mots espagnols empruntés à l’arabe. Des douzaines d’étoiles ont une éthymologie arabe. Le plus notable des ouvrages Le livre des Etoiles fixes est dû à Abd al-Rahman al-Sufi (Azophi en Occident). Qu’en est-il justement de l’arabe et de sa destinée en France? L’enseignement de la langue arabe est ancien sur le territoire français. Il remonte dit-on à l’époque de François 1er. Bien plus tard, l’agrégation d’arabe fut créée en 1905. L’enseignement de l’arabe était essentiellement lié au phénomène colonial et à la politique du «diviser pour régner». Ainsi, le maréchal Lyautey écrivait dans une circulaire de 1925 : «Nous n’avons pas à enseigner l’arabe à des populations qui s’en sont toujours passé. L’arabe est facteur d’islamisation, puisqu’il est la langue du Coran, et notre intérêt nous commande de faire évoluer les Berbères hors du cadre de l’Islam.» Après la décolonisation, la langue arabe continua d’être enseignée et en 1975 le Capes d’arabe fut créé. Dans le courant des années 1990, l’enseignement de l’arabe devient victime de choix idéologiques. En 2005, la session du Capes d’arabe a été supprimée. L’Education nationale en France considère que l’arabe est une langue étrangère, bien qu’elle soit usitée dans les familles, dans les cages d’escaliers, dans les quartiers. Elle domine dans les banlieues, dans les prisons. L’arabe en France est la langue des sous-scolarisés et des savants. Pourtant, la langue arabe ne peut pas être considérée comme une langue «rare» puisqu’elle est parlée par plus de 350 millions d’individus dans le monde. L’âge d’or de la langue arabe c’est aussi l’âge d’or de la science et de la technologie musulmanes dont les plus grands auteurs étaient arabophones sans être arabes. Maïmonide écrivit son livre Dellalat el haïrin, (Le guide des égarés) en arabe et non en hébreu.(10).

L’horloge et les lévriers

La recherche d’un bouc émissaire en fonction de son appartenance religieuse ou ethnique est vieille comme la civilisation et elle n’est que le produit des frustrations de ceux qui cherchent des réponses rapides et simples, en tout cas à faible risque, face au véritable mal qui les ronge : le racisme. Ce «fond rocheux» qui sommeille dans l’inconscient de cet Occident imbu de sa pureté du sang «limpeiza de sangre» et seul habilité à gouverner le monde. Elles ne comprennent pas que l’infortune et les hasards de l’histoire peuvent les amener à la même condition qu les Arabes actuels eux qui furent les héritiers paresseux d’une civilisation qui éclairait le monde. Baghdad était illuminée quand l’Europe émergeait aux temps historiques.

On raconte que Haroun Er Rachid envoya comme présent à Charlemagne vers l’an 800 une horloge à eau ; une clepsydre. Charlemagne lui aurait envoyé en retour des lévriers. D’un côté, les premières horloges du monde révolution technologique majeure s’il en est, de l’autre des lévriers... ! Non, les Arabes n’étaient pas des barbares ! Pourtant, face à l’immensité des défis de tout ordre qui menacent la Terre, cet Occident ne comprend pas que l’humanité est une, elle est issue d’une Eve quelque part dans la Corne de l’Afrique, il y a de cela sept millions d’années.


Notes/Références

1.Sergeant Pepper : Les boutades sur les Arabes me font rire... Agoravox 27 août 2010

2.Iman Kurdi : Brice Hortefeux se moque des Arabes. Arab News15.06.2010

3.Hicham Hamza : De quoi Zemmour est-il le nom? Site Oumma.com.10 mars 2010.

4. Ibid.

5. Ibid

6.Chouikha:La langue arabe, son histoire, son originalité:Agoravox 25 juin 2010

7. Ibid.

8. Ibid.

9.Jacques Berque : Les Arabes. Rééditions 1959, 1970

10.Chems Eddine Chitour : http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article449625, mars 2010.

Pr Chems Eddine Chitour : Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz

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