Discours d’une mère israélienne devant le Parlement Européen
samedi 13 novembre 2010 - 06h:13Nurit Peled-Elhanan 
          Dr Nurit Peled-Elhanan est la maman de Smadar Elhanan, une  fille de 13 ans tuée en septembre 1997 lors d’un attentant suicide à  Jérusalem. 
 
 Nurit Peled-Elhanan 
Nurit a prononcé le discours ci-après  à l’occasion de  la Journée Internationale de la Femme, organisée en début du mois en  cours (juillet 2010) à Strasbourg.
Je vous invite à bien écouter et à comprendre les  paroles d’une mère endeuillée par la perte de sa fille, tombée victime  d’une attaque terroriste brutale et aveugle. Ainsi, j’ose espérer que  ses propos soient assimilés par tous ceux en quête de paix dans notre  monde tant agité et divisé.
Pour des jours meilleurs, Professeur Avraham Oz, Université de Haïfa - Département de Littérature Hébraïque et Comparée.
FEMMES
Nurit Peled-Elhanan
Permettez-moi, tout d’abord, de vous remercier pour  votre invitation à cette journée. C’est toujours un honneur et un  plaisir d’être ici parmi vous, au sein du Parlement Européen.
Toutefois, je dois avouer qu’il aurait été plus  judicieux si vous aviez invité une femme Palestinienne à ma place, car  les femmes qui souffrent le plus dans mon pays sont les femmes  Palestiniennes. C’est pourquoi je voudrais dédier mon discours à Miriam  R’aban et son époux Kamal de Bet Lahiya dans la Bande de Gaza, dont les  cinq petits enfants avaient été tués par des soldats israéliens alors  qu’ils cueillaient des fraises dans la fraiseraie familiale. Evidemment,  ce meurtre ne sera jamais jugé. Lorsque j’ai demandé aux organisateurs la raison pour laquelle une  invitation n’a pas été adressée à une femme Palestinienne, on m’a  répondu que cela risquerait de trop focaliser les discussions.
J’ignore ce qu’est la violence non localisée. Je sais  par contre que le racisme et la discrimination, bien qu’ils soient des  concepts théoriques et des phénomènes universels, ont toujours un impact  local. La douleur, tout comme l’humiliation, l’abus sexuel, la torture,  la mort  et même les cicatrices sont tous locaux.
Cependant, il est quand même déplorable de constater que  la violence qu’exercent le gouvernement israélien et son armée sur les  femmes Palestiniennes  se soit répandue à travers tout le globe. En  fait, la violence, quelle soit de l’état ou  de l’armée, collective ou  individuelle est aujourd’hui le sort des femmes musulmanes, pas  uniquement en Palestine, mais partout dans le monde ; dans chaque  contrée où le monde occidental émancipé tend et impose son empreinte  impérialiste. C’est une violence qui n’est presque jamais abordée et qui  est passivement tolérée par la plupart des personnes en Europe et au  Etats-Unis. Tout cela parce que le soi-disant monde libre craint la matrice  musulmane.
La Grande France, par exemple, dont la devise est  « Liberté, Egalité, Fraternité » a peur des petites filles voilées. De  son côté, le Grand Israël craint la matrice Musulmane que ses ministres  désignent comme une menace démographique.
La toute-puissante Amérique et la Grande Bretagne sont  en train de corrompre, respectivement, leurs citoyens en leur  transmettant une peur aveugle à l’égard des Musulmans. Ces derniers sont  appelés de tous les noms d’oiseaux et décrits comme étant des ignobles,  des primitifs, des sanguinaires en dehors du fait qu’ils soient  anti-démocratie, chauvins et producteurs en masse de futurs terroristes.  Pourtant, les individus qui détruisent le monde aujourd’hui ne sont pas  Musulmans ; l’un d’entre eux est un fervent Chrétien, l’autre est  Anglican et un troisième qui est juif non pratiquant.
Je n’ai jamais fait l’expérience des souffrances subies  chaque jour et chaque heure par les femmes Palestiniennes, et j’ignore  la nature de la violence qui transforme la vie d’une femme en un enfer  permanent. Ces femmes souffrent le martyre à cause de la torture mentale  et physique endurée au quotidien. Elles sont privées de leurs droits  humains les plus fondamentaux et du droit de chacun à jouir d’une  dignité et d’une intimité. En effet, à n’importe quel moment de la  journée, comme de la nuit, leurs maisons sont prises d’assaut et ces  femmes, sous la menace de l’arme, sont forcées de se dévêtir, laissées  nues devant des étrangers et sous les yeux de leurs propres enfants. Ces  femmes, dont les maisons sont démolies, sont privées de tous moyens  d’existence et d’une vie familiale normale. Tout cela ne fait pas partie  de mon expérience personnelle. Cependant, je suis victime de la violence à l’encontre des femmes dans  la mesure où la violence contre les enfants n’est autre qu’une violence  contre les mères.
En effet, je considère les femmes Palestiniennes,  Irakiennes et Afghanes comme mes sœurs car nous sommes toutes à la merci  des mêmes criminels sans scrupule qui se sont autoproclamés leaders du  monde libre et émancipé. Hélas, c’est au nom de cette liberté et de  cette émancipation qu’ils volent nos enfants.
En outre, un véritable conditionnement et un lavage de  cerveau intense ont aveuglé les mères Israéliennes, Américaines,  Italiennes et Britanniques. Elles ne peuvent plus réaliser que les  seules sœurs et alliées qu’elles peuvent avoir dans ce monde sont les  mères Musulmanes Palestiniennes, Irakiennes ou Afghanes, dont les  enfants sont tués par les nôtres, ou bien, choisissent de se faire  exploser et de voler en morceaux en emportant notre progéniture avec  eux.
Elles ont donc perdu la faculté d’analyser puisque leur  cerveau a été conditionné ou même infecté par des virus produits par les  politiciens. Ces virus, bien que dissimulés sous plusieurs appellations  glorieuses comme Démocratie, Patriotisme, Dieu ou Patrie, sont en  réalité identiques. Ainsi, ils découlent d’idéologies fausses et  erronées visant à enrichir les riches et à donner le pouvoir aux  puissants.
C’est pourquoi, nous sommes toutes victimes d’une  violence à la fois mentale, psychologique et culturelle qui nous  transforme en un groupe homogène constitué de mères endeuillées ou  potentiellement endeuillées.
Les mères occidentales, du fait de tous les  enseignements qu’elles reçoivent, sont persuadées que leur matrice est  un atout national alors que celle des Musulmanes n’est qu’une menace  internationale. On leur a malheureusement enseigné de ne jamais  s’écrier : « Je l’ai mis au monde, je l’ai allaité, il est à moi et je  n’accepterais jamais qu’il fasse partie de ceux dont la vie est ne vaut  pas un sou, puisque moins précieuse que le pétrole, et dont l’avenir ne  vaut pas un morceau de terre ».
En fait, nous sommes toutes terrorisées par une  éducation qui envenime nos esprits et qui nous pousse à croire que tout  ce que nous pouvons faire est de prier pour que nos enfants retournent  chez eux, ou bien de se montrer fières devant leurs corps sans vie.
Nous avons toutes été, faut-il le souligner, élevées de  manière à supporter en silence toutes ces épreuves, à contenir notre  peur et notre frustration, à soigner notre anxiété avec le Prozac, mais à  ne jamais acclamer Mère Courage en public. Ne jamais être une véritable  maman juive, italienne ou irlandaise.
Je suis une victime de la violence d’Etat. Mes droits  naturels et civils en tant que mère ont été violés et continuent de  l’être car j’appréhende le jour où mon fils, ses 18 ans fêtés, me sera  arraché et sera emmené loin de moi pour servir de pion entre les mains  des criminels appelés Sharon, Bush et Blair ainsi que leur clan des  généraux assoiffés de sang, de pétrole et de terre. Eu égard au monde dans lequel je vis, à l’état dans lequel je vis, au  régime auquel je suis soumise, je n’oserais sûrement pas proposer aux  femmes Musulmanes des idées pour changer leurs vies. Je ne voudrais pas  qu’elles se dévoilent la tête ou qu’elles adoptent une méthode  différente pour élever leurs enfants. Je ne me permettrais pas de les  conseiller vivement de bâtir et d’instaurer des Démocraties suivant le  modèle occidental qui les méprise, elles et les leurs.
Je voudrais seulement leur demander humblement  d’accepter d’être mes sœurs. Je voudrais leur avouer que je reste  admirative devant leur persévérance et leur courage pour ne pas  abandonner, pour continuer à avoir des enfants et surtout, pour  préserver une vie familiale empreinte de dignité en dépit des conditions  de vie absurdes imposées par mon monde.
Je voudrais également leur assurer que la même douleur  qui nous déchire nous a unies car nous sommes toutes victimes de la même  violence, même s’il faut reconnaître que leur souffrance surpasse la  nôtre puisque ce sont elles que mon gouvernement et son armée, financés  par mes impôts, maltraitent et malmènent.
Par ailleurs, je tiens à signaler que l’Islam en soi,  comme le Judaïsme en soi et même le Christianisme, ne constituent aucune  menace pour moi. Par contre, la véritable menace émane de  l’impérialisme américain, de l’indifférence et de la coopération  européenne, du racisme israélien et de son système d’occupation hostile.  Et c’est le racisme, la propagande pédagogique et la xénophobie  imprimée dans les esprits qui incitent et amènent les soldats  israéliens, pour des « prétendus » motifs de sécurité à sommer les  femmes Palestiniennes, sous la menace de l’arme, de se déshabiller sous  les yeux de leurs enfants. C’est aussi l’extrême mépris et manque de  respect et de considération qui conduisent les soldats américains à  violer des femmes Irakiennes. Les même raisons autorisent les geôliers  israéliens à enfermer des jeunes femmes dans des conditions des plus  inhumaines et barbares, en l’absence d’un minimum d’hygiène.
Les femmes prisonnières sont privées d’électricité  pendant l’hiver, d’eau ou de matelas propres. Pire encore, elles sont  séparées de leurs bébés nourris au sein et de leurs petits enfants. Le  supplice se poursuit pour ces femmes pour lesquelles le chemin de  l’hôpital est barré, celui de l’éducation bloqué, leurs terres  confisquées, leurs arbres déracinés, et travailler leurs terres et  champs leur est désormais interdit.
J’essaie de me mettre à la place des femmes  Palestiniennes, mais je peine à les comprendre ou à comprendre et à  sentir leur douleur. J’ignore aussi combien j’aurais survécu à une telle  humiliation et à un tel irrespect de la part du monde entier.
Par contre, ce dont je suis entièrement consciente est  que la voix des mères à été très longtemps étouffée dans cette planète  dévastée par la guerre. Comment peut-on ouïr et témoigner des pleurs des  mères si elles ne sont pas invitées à des forums internationaux comme  celui d’aujourd’hui ?
Même si tout ce que je possède n’est pas exhaustif, je  demeure convaincue, sans jamais l’oublier, que ces femmes sont mes sœurs  et que mon devoir envers elles consiste à pleurer pour elles, à me  battre pour elles. Il faudrait se rappeler que ces femmes perdent leurs  enfants dans des fraiseraies ou sur des routes crasseuses près des  check-points. Sur le chemin de l’école, ils sont ciblés par les tirs de  nos enfants qui ont été élevés suivant le concept leur dictant que  l’amour et la compassion sont liés à la race et à la religion.
Devant toutes ces femmes et tous ces enfants trahis, je  ne peux qu’apporter mon soutien tout en reprenant la question d’Anna  Akhmatova (une autre femme ayant vécu sous un régime de violence contre  les femmes et les enfants) : Pourquoi est-ce que ce filet de sang  déchire le pétale de ta joue ?
                4 juillet 2010 - JFJFP - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://jfjfp.com/?p=7720
Traduction de l’anglais : Niha
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