17 novembre 2010

Si ce n’est pas de l’apartheid, qu’est-ce que c’est ?

lundi 15 novembre 2010
Allan Boesak et Farid Esack
Pacbi



Dans les premières lignes d’une lettre ouverte à l’Archevêque émérite Desmond Tutu, le rabbin Warren Goldstein, leader des juifs orthodoxes d’Afrique du Sud, plaide que : « Sans vérité il n’est pas de justice, et sans justice il n’est pas de paix ». S’il y a un cas où une hirondelle n’annonce pas le printemps, il est là. Le reste de son article n’a pas grand-chose à voir avec la vérité : 
 
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Beit Iba, l’un des 630 barrages permanents en Cisjordanie sous occupation ;
les colons (illégaux) passent librement sur les routes qui leur sont réservées.

1. « Juifs et Arabes sont égaux devant la loi ».
Goldstein fait l’amalgame entre la vie en Israël et la vie dans les territoires occupés. C’est certain, les citoyens juifs et Palestiniens en Israël ne sont pas égaux devant la loi : un jeu de loi prévoit des droits égaux, mais un autre jeu aussi considérable prévoit des droits séparés et supérieurs pour les juifs. À présent, Israël a plusieurs lois fondamentales qui confirment cette inégalité, ainsi le système est codifié et formel : la discrimination en Israël est officielle. Un État fondé sur une communauté ethnique ou religieuse ne peut être que celui qui discrimine nécessairement contre les autres. Dans les territoires palestiniens occupés, les juifs bénéficient de protections spéciales et de droits pour coloniser et conduire des affaires, et les civils Palestiniens, en tant que non juifs, se voient refuser ces droits.
Dans les deux zones s’applique une Population Registration Act (1) : chacun en Israël et dans les territoires occupés est identifié par l’ethnicité — Juif, Arabe, Druze ou tout autre - et ceci est indiqué sur sa carte d’identité. Tous les droits et privilèges en Israël découlent de ces distinctions. Ainsi il y a aussi un Group Areas Act (2) - les personnes qui sont juives peuvent vivre dans certaines zones (en fait, 93 % d’Israël est réservé exclusivement aux juifs) et les personnes qui ne sont pas juives sont interdites de vivre dans ces zones. S’il n’y a pas en soi de Mixed Marriages Act (3), il y a quand même des lois qui interdisent aux époux palestiniens des territoires occupés de vivre avec des conjoints israéliens, une interdiction du mariage civil (il est impossible de se marier en Israël hors des instances religieuses) et un tas de lois, de règlement et de codes qui gardent les populations strictement séparées. Il n’est guère besoin d’un apartheid mesquin (4) quand la ségrégation est absolue.
Effectivement, Israël n’a pas de Separate Representation of Voters Act (5), mais pour deux raisons désagréables. Premièrement, la moitié de la population entière sous contrôle israélien (les 5 millions de Palestiniens vivants sous régime militaire en Cisjordanie et dans la bande de Gaza) n’ont pas le droit de vote du tout. Chacune des 5 millions de personnes qui y vivent peut témoigner des Pass Laws (6) draconiennes Israël, qui restreignent et détruisent tous les jours leurs chances dans la vie. Deuxièmement, 20 % des citoyens Israéliens sont Palestiniens et peuvent voter, mais ils n’ont pas le droit de voter pour un parti ou pour une loi qui altérerait la suprématie et les privilèges spéciaux nationaux juifs. C’est comme de donner le droit de vote aux esclaves mais de leur interdire de voter contre l’esclavage.

2. « Israël accorde des droits politiques, religieux et humain complet à tous ses citoyens, y compris ses ... citoyens arabes ».
Il suffirait à Goldstein de téléphoner à n’importe quel maire Palestinien, personnalité ou représentant à la Knesset pour se voir démenti. La pauvreté et l’isolement des communautés arabes palestiniennes en Israël est notoire. Bien sûr il y a des partis arabes qui fournissent une certaine représentation palestinienne dans la politique israélienne. Mais cette représentation est semblable au Parlement tricaméral de d’Apartheid des années 1980 : ils opèrent dans des conditions très handicapantes et dans leur rôle ont été incapables de soulager la pauvreté endémique et l’isolement de leurs communautés, ou d’altérer l’édifice de racisme qui étouffe leurs communautés. Et encore une fois, quelque 5 millions de Palestiniens sous le joug israélien restent entièrement exclus du système politique, pour la seule raison qu’ils ne sont pas juifs et n’ont aucuns droits exceptés ceux que la loi militaire israélienne leur apporte.

3. « L’autre contrevérité est l’accusation d’actes d’occupation illégale de la terre arabe ».
D’après Golsdtein, Israël n’ « occupe » pas la Cisjordanie et la bande de Gaza mais récupère ces régions pour un sentimentalisme juif ancien remontant à l’Antiquité. Seules des fondamentalistes religieux insistent sur leurs propres textes religieux comme étant le seul arbitre entre eux et les autres. Dieu est réduit à un agent immobilier malhonnête qui distribue la terre à Ses Favoris, comme si la terre avec des limites bien démarquées avait été enregistrée dans un office notarial du XXe siècle il y a des milliers d’années, à une époque où les frontières nationales étaient plutôt inconnues. Cette sorte de pensée est tout simplement dépassée — elle appartient à l’époque de la conquête coloniale et de la domination raciale.
Souvenez-vous de Uitgegee op gesag van die Hoogste se Hand ! ("Donné à nous par l’autorité de Dieu". Alors que cette phrase vient de l’hymne de l’Afrique du Sud d’Apartheid, Song of the Flag, elle aurait pu aussi bien être une citation de l’article de Goldstein !).
Considérons un moment l’analyse trompeuse de Goldstein. Comment le peuple indigène va-t-il alors exprimer ses propres revendications anciennes sur la terre et ses droits politiques sociaux et culturels actuels ? Ceci est le cœur de la doctrine d’apartheid israélien : que, sur le même territoire, un groupe - les juifs - a des droits supérieurs à un autre. Et si le peuple indigène proteste, où résiste à cette privation de droits, c’est considéré comme un racisme outrageant et arriéré contre les juifs, un coup irrationnel contre le droit indiscutable d’une société coloniale travailleuse de réaliser sa promesse donnée par Dieu et son droit à l’autodétermination. Toute cette camelote nous est familière.

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Afrique du Sud de l’apartheid : place sur le banc réservée aux Européens ; Cisjordanie occupée : route coloniale réservée aux colons juifs.

4. « ... jusqu’à ce que le National Party ait été prêt à accepter que les Sud-africains noirs avaient une place dans leur propre pays, il ne pouvait pas y avoir de paix. Et pareillement, jusqu’à ce que le monde arabo-musulman accepte que les juifs ont un droit à un État pour eux sur leurs terres ancestrales, il n’y aura pas de paix ».
Goldstein aurait mieux fait de tirer la leçon de son propre exemple : jusqu’à ce que le mouvement sioniste et israélien soit préparé à accepter que les Palestiniens ont une place dans leur (propre !) pays comme citoyens égaux, il ne peut pas y avoir de paix - il ne devrait pas y avoir de paix ! La solution en Afrique du Sud fut précisément de ne PAS accepter des Etats noirs séparés, mais de rejeter cette « solution » pour le mensonge qu’elle était. Israël doit abandonner la prémisse de la séparation - apartheid. Alors seulement le pays sera capable de rejoindre le reste du monde (pas seulement le monde arabe) comme un pays « normal ».
L’histoire sud-africaine est simple : les Etats fondés sur l’ethnicité sont impraticables et malfaisants - il est condamnable de rendre synonymes votre Dieu, religion, ethnicité et culture avec un État idéologique. La séparation entre les peuples sur la base d’une identité ethnique ou religieuse - l’apartheid - et le privilège donné à cette identité sur celle des autres est tout simplement incompatible avec les idées des droits humains universels.
C’est dans ce contexte que nous saluons notre cher ami et camarade, l’Archevêque, pour porter sans relâche la vision prophétique. Cette fois-ci, en répondant activement à l’appel palestinien pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions contre Israël jusqu’à ce que, à la fin, Israël se conforme à la loi internationale et aux principes universels des droits humains.


[1]. Population Registration Act. Loi de classification de la population en Afrique du Sud en « Blancs », « Noirs », « Métis » et « Indiens », en vigueur de 1950 à 1991.
[2] Group Areas Act. Loi sur les zones réservées, définissant le zonage des droits de résidence des groupes définis par le Population Registration Act, en vigueur de 1950 à 1991.
[3] Mixed Marriages Act, loi interdisant les mariages mixes en Afrique du Sud, en vigueur de 1949 à 1985.
[4] Apartheid mesquin (petty apartheid), tout le système de séparation dans les lieux publics, transports, etc.... en Afrique du Sud de l’Apartheid.
[5] Separate Representation of Voters Act. Loi de représentation séparée des électeurs, destinée à exclure les « colorés » des listes électorales. La loi a été abrogée en 1983.
[6] Pass Laws. Lois d’apartheid instituant des passeports intérieurs pour restreindre les droits de résidence et de mouvement des populations non blanches. Le système des pass a été aboli en 1986.


(A) - Photos = Afrique du sud : photo Ernest Cole, site blog.zphoto ; Cisjordanie : route vers la colonie Ariel, en Cisjordanie, près du village palestinien de Marda, photo Palestine Chronicle.
Allan Boesak est Professeur Extraordinaire à l’Université de Stellenbosch et Farid Esack est Professeur à l’Université de Johannesburg.
10 novembre 2010 - PACBI - publié sous une forme plus brève par le quotidien de Johannesbourg The Star - Traduction et notes : JPB

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