27 novembre 2010

Michel Houellebecq: « Un musulman de moins »

 

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Septembre 2001
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04/09/2001] « Un musulman de moins »
« Chaque fois que j’apprenais qu’un terroriste palestinien, ou un enfant palestinien, ou une femme enceinte palestinienne, avait été abattu par balles dans la bande de Gaza, j’éprouvais un tressaillement d’enthousiasme à la pensée qu’il y avait un musulman de moins. »

Cet été, ceux qui l’avaient déjà lu nous l’annonçaient : à la rentrée, la polémique livrée clés en main autour du nouveau roman de Michel Houellebecq, Plateforme, porterait sur le tourisme sexuel. Il ne semble être venu à l’esprit de personne qu’elle pourrait naître aussi du racisme anti-Arabes et anti-musulmans qui suinte de ses pages. De ce côté-là : RAS. Le critique de Libération écrivait le 23 août : « Rien dans le livre ne vient justifier les procès d’intention que lui font ceux qui ne le lisent pas (excepté, bien entendu, l’intention du succès). Pas le moindre propos raciste ou sexiste. » Faudrait peut-être apporter tes lunettes à la révision, vieux…
Ailleurs, on lit aussi : « Le soir tombait : quelques moutons terminaient leur journée. Eux aussi étaient stupides, peut-être encore plus que le frère d’Aïcha ; mais aucune réaction violente n’était programmée dans leurs gènes. » Ou : « Racaille, racaille »… Mais, direz-vous (si vous avez écouté la radio et lu les journaux attentivement ces derniers jours), c’est le personnage qui parle ! On ne peut quand même pas faire endosser à l’écrivain les propos tenus par ses héros ! La moitié du personnel médiatique, en effet, s’est d’abord émue de la « vision ambiguë » que donne le roman du tourisme sexuel, histoire de lancer la polémique – et les ventes du livre - ; puis la seconde moitié – les critiques – est entrée en scène, confite dans sa supériorité, prenant la première de haut : mais, ce que vous êtes bêtes ! La fiction n’a pas à se préoccuper de défendre le bien et de dénoncer le mal !…
Non, bien sûr. Sauf qu’il commence à nous soûler, Houellebecq, avec son jeu de cache-cache minable, un coup à se retrancher derrière ses personnages, un coup à claironner qu’il leur ressemble beaucoup et qu’il pense exactement comme eux (il vient de confirmer en son nom propre, dans une interview à Lire, les propos tenus par son héros sur l’islam). Mais après tout, peu importe ce qu’il pense profondément : ce qui est encore plus inquiétant que le racisme présumé de Houellebecq, c’est ce qu’il révèle de l’état de la société qu’il décrit – car sur le diagnostic, le bonhomme est rarement tout à fait à côté de la plaque. Et ça l’amuse visiblement, d’écouter les cris d’orfraie que poussent ses contemporains, entraînés par lui dans le train-fantôme de leurs tares, de leurs manques, de leurs peurs.
La haine de l’islam est-elle devenue un lieu commun en Occident ? C’est une thèse que sa présence dans un livre de Houellebecq tendrait à accréditer. Et que le peu de réactions soulevées tendrait à confirmer. L’indifférence aurait peut-être été moins retentissante si le Front national occupait encore le devant de la scène : le mal est toujours plus facile à identifier et à dénoncer quand c’est l’autre qui le porte. Pâmés d’admiration, nos critiques bien français, 100% terroir littéraire, n’ont rien relevé. Un soir sur France-Inter, à la fin du mois d’août, Jérôme Garcin s’est vu offrir une heure d’antenne pour répéter en long et en large tout le bien qu’il écrivait la même semaine dans le Nouvel Observateur de Plateforme – édité chez Flammarion par son ami Raphaël Sorin -, et pour lui réclamer le Goncourt en trépignant. Dans Le Monde, Josyane Savigneau se mouchait d’émotion en évoquant la « belle romance » du livre, romance « qui finit tragiquement dans un attentat islamiste ». Salauds de musulmans !
C’est donc un Arabe qui s’y colle, aujourd’hui dans Libération. Abdel-Illah Salhi signe une tribune bien balancée, loin de l’indignation en service minimum. Il a relevé dans une vieille revue une note signalant que l’islam est la religion à laquelle s’est convertie la mère de Houellebecq, « qui l’a peu aimé ». Ce « cirque » ne serait-il qu’un « règlement de comptes familial » ? Il évoque alors la manie du « sale petit secret » qui traverse la littérature française, et avance une citation de Gilles Deleuze qui tombe vraiment à pic : « D.H. Lawrence reprochait à la littérature française d’être incurablement intellectuelle, idéologique et idéaliste, essentiellement critique de la vie plutôt que créatrice de vie. Le nationalisme français dans les lettres : une terrible manie de juger et d’être jugé traverse cette littérature : il y a trop d’hystériques parmi ces écrivains et leurs personnages. Haïr, vouloir être aimé, mais une grande impuissance à aimer et à admirer. »
Si la « racaille » se mêle de critique littéraire, maintenant…

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Périphéries, 4 septembre 2001

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