« Invictus » : Eastwood refait le match gagné par Mandela
1994. Afrique du Sud. Fraîchement élu à la présidence de la République, Nelson Mandela vit avec une obsession : éviter la guerre civile. Calmant les ardeurs parfois vengeresses de ses supporters, le président cherche des symboles susceptibles d'unifier la nation.
La prochaine coupe du monde du rugby lui offre une occasion rêvée : ici comme ailleurs, les choses du ballon sont souvent plus efficaces que les longs discours quand il s'agit de rassembler les masses. (Voir la bande-annonce)
Problème : en Afrique du sud, depuis toujours, les Springboks (patronyme de l'équipe locale) incarnent l'apartheid et le racisme d'état. En 1994, le rugby reste un sport (presque) 100% blanc et les fans des Springboks se recrutent en majorité dans les rangs des nostalgiques de l'apartheid, pour lesquels, en gros, un bon noir est un sous-homme et un bon Mandela un Mandela mort.
A la surprise, voire à la consternation de ses proches, le nouveau président arbore le maillot vert autrefois honni, se prend d'amitié pour le capitaine des Springboks, François Pienaar, un jeune Afrikaner séduit par son aura. La coupe du monde réjouit les foules, et l'équipe remporte le trophée.
Eastwood est fidèle à l'idéalisme de Ford ou de Capra
La vengeance remisée au placard, l'abomination du racisme, le combat d'un homme seul habité par sa mission… On retrouve dans « Invictus » des obsessions majeures de la filmo eastwoodienne. Mais le cinéaste aborde frontalement la grande Histoire et met en scène une figure de l'époque.
Eastwood, fidèle en cela à l'idéalisme de quelques grands anciens du cinéma américain (Ford, Capra), ne fait pas dans la dentelle avec son sujet et son héros. « Invictus' » est une pure hagiographie. Pas moins.
On n'attendait pas forcément Eastwood sur ce terrain : le script et de nombreuses scènes sont taillés dans un manichéisme inoxydable. Ainsi, à l'heure de la finale, quand la caméra, à la porte du stade, dévoile un gamin black devenir le meilleur ami d'une bande de flics blancs patibulaires. Ratiboisement des antagonismes anciens et humanisme guilleret emportent tout sur leur passage.
Ce qui demeure hors-champ ? Tout le reste, ou presque… La permanence du racisme dans les esprits, la ségrégation sociale, l'économie en déroute. Pourtant, la victoire des Boks, en 1995, n'a pas effacé d'un drop magique les horreurs du passé.
Et si l'Afrique du Sud (qui accueillera en juin prochain la Coupe du monde de foot) n'a pas sombré dans la guerre civile, ce n'est pas non plus exactement le pays le plus paisible du monde.
« Invictus » ne néglige pas toujours les singularités des personnages
S'il ne restera pas dans les annales, le film impose deux fois plutôt qu'une ses qualités. Si l'idée l'emporte souvent sur l'humain (fait rare chez Eastwood), « Invictus », dans ses meilleurs moments, ne néglige pas les singularités de ses personnages.
Ce qui est vrai côté Pienaar (Matt Damon, excellent) l'est aussi côté Mandela. Les séquences les plus fortes fixent la personnalité du président, envisagée selon le point de vue subjectif d'Eastwood. Politique rusé, charmeur invétéré, et même gamin espiègle qui délaisse les grands dossiers pour trépigner tel un gamin supportant son équipe favorite.
Dans cette irrévérence affectueuse et cette façon d'envisager le monde par le tout petit bout de la lorgnette, « Invictus » en dit plus sur le personnage et l'Histoire que les « grands » moments du film.
Le mérite en revient à la mise en scène, fluide, efficace, et plus encore à la complicité liant le cinéaste à son acteur principal : Morgan Freeman (à l'origine du projet).
Un discret haussement de sourcil, un regard, une attitude, suffisent à l'immense acteur d'« Impitoyable » et de « Million Dollar Baby » pour entraîner illico l'adhésion, la sympathie. Freeman donne toujours le meilleur de lui-même quand il est dirigé par Eastwood. Ce n'est pas rien. Vraiment pas…
Et vous, qu'avez-vous pensé de ce surprenant Eastwood ? « Invictus » est le film de la Bande du ciné à critiquer cette semaine, alors à vos claviers !
► Invictus de Clint Eastwood, avec Morgan Freeman, Matt Damon… - en salles le 13 janvier
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