05 avril 2010

Amal Samuni et les sept éclats d’obus

samedi 3 avril 2010

Amira Hass - Ha’aretz


Rappelez-vous : le 4 janvier 2009, un détachement de la brigade Givati envahit la maison de Zeinat Samuni - où 18 personnes se sont regroupées, la plupart étant des enfants, le plus jeune est une petite fille de deux semaines...

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Zeinat Samouni s’appuie contre un mur où se trouvent des photos de son mari Atiya et de son fils Ahmad, âgé de quatre ans, tués lorsque les troupes israéliennes ont pris d’assaut leur maison.

Il y a un certain numéro auquel je ne réponds pas, délibérément, quand il apparaît sur mon téléphone. Je respire à fond cinq fois et alors, je rappelle. Parfois, j’attends même deux à trois jours avant de reprendre un appel de Zeinat Samuni. Ceci parce que je connais l’objet de son appel, c’est pour me parler de sa fille Amal, 11 ans, et des six ou sept éclats d’obus qu’elle a dans la tête. A chaque nouvelle conversation, il y a quelque chose de nouveau à propos d’Amal. Chaque conversation sur Amal, avec son visage clair et ses yeux songeurs, me reste en suspens dans mes pensées, comme un sac plein de pierres.

Il y a un mois - il y a cinq conversations -, le dernier avis médical disait qu’Amal souffrait d’une inflammation et que les médecins de l’hôpital Shifa, à Gaza, avaient prescrit un certain médicament pour cela. Un rapport médical laconique d’avril 2009, du service de pédiatrie du Centre médical Sheba à Tel Hashomer, affirmait qu’il n’y avait aucune infection et qu’une opération pour enlever les éclats n’était pas recommandée. Une telle procédure serait trop risquée, avaient déclaré les médecins à la grand-mère de la fillette venue avec elle pour le voyage de 10 heures de Gaza à Tel Hashomer (dont sept heures d’attente au check-point d’Erez). Les médecins de Gaza confirment cet avis.

Il y a quatre conversations, la nouveauté était qu’un IRM révélait un autre morceau d’obus qui n’avait pas été décelé lors de l’examen précédent.

Il y a trois conversations, on m’a dit que la fillette sentait vraiment les fragments se déplacer. « Là, juste sous la peau », montrait-elle à sa mère avec son doigt, et elle criait « Aie ! » quand le doigt rencontrait les éclats.

Il y a deux conversations, il est apparu qu’une organisation humanitaire - la Fondation palestinienne d’aides aux enfants - connaissait bien Amal. Se basant sur les documents, leurs médecins ont aussi recommandé de ne pas opérer. L’une de leurs équipes médicales arrive de l’étranger à Ramallah en mai. L’establishment sécuritaire israélien lui permettra-t-il d’entrer dans la bande de Gaza ? Ce n’est pas certain. Permettra-t-il à Amal et à Zeinat d’en sortir et de se déplacer en Cisjordanie pour un nouvel examen ? Cela en vaut-il le coup avec toutes les complications bureaucratiques nécessaires pour faire ces 70 kilomètres, rien que pour s’entendre donner la même réponse ?

Dans les conversations précédentes, beaucoup de choses avaient bougé aussi. Une nouvelle année scolaire. Un nouveau professeur et de nouveaux camarades de classe. Mais elles ne disaient pas - parce qu’on ne le savait pas - pourquoi l’enfant ne jouait pas avec les autres fillettes. Ce manque de compréhension faisait qu’Amal rentrait chez elle en se sentant blessée. Et ce manque de compréhension limite Amal encore bien plus. Elle ne peut pas sauter, elle n’arrive pas à se concentrer sur ses devoirs, et nulle part elle ne trouve un endroit pour échapper à ses maux de tête et à sa douleur dans les yeux. Pour elle, il fait plus froid en hiver, ce qui rend sa douleur plus grande. Il fait plus chaud en été, ce qui rend sa douleur plus grande.

L’amplification de la chaleur et du froid se produit constamment depuis que la famille est revenue dans sa maison, réparée, dans le quartier Zeitun, dans l’est de Gaza ville. Mais les mots « maison » et « réparée » (un nouveauté en soi) sont en réalité des exagérations.

Au cours de l’opération Plomb durci, l’an dernier, un détachement de la brigade Givati a occupé le quartier et y a installé un certain nombre de postes de surveillance et de tirs. Quand elle s’est retirée, elle avait détruit 24 maisons, une mosquée et des poulaillers, et arraché des plantations, des vergers qui étaient les moyens de vivre de la famille. A en juger par les deux murs restés debout, même la maison, apparemment intacte, de Zeinat Saminu n’était plus que la combinaison d’une cabane en tôle, d’une cabane en amiante et d’une structure en béton. Mais cela faisait au moins trois ou quatre pièces, une cuisine et une salle de bains.

Parce que les matériaux de constructions sont introuvables dans Gaza (Israël ne permet pas qu’ils entrent dans la Bande et les gens ordinaires n’ont pas les moyens de faire venir un peu de matériaux par les tunnels), le frère de Samuni a donc improvisé. Il a ramassé des briques, du fer et du bois sur des maisons démolies auxquels il a ajouté des plaques de plastique distribuées par la Croix-Rouge. D’après les descriptions, il est difficile d’imaginer comment huit personnes peuvent vivre ensemble dans une seule pièce, ouverte au vent et à la pluie en hiver, et d’une chaleur étouffante en été. Chacune et chacun dans cette pièce y vit, à sa façon à elle ou à lui, avec ce qui s’est passé les 4 et 5 janvier 2009. Chacune et chacun a ses propres cauchemars. Chaque cauchemar en est un autre.

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Le PCHR fait état de 22 tués dans la famille Samouni les 4 et 5 janvier 2009,
qui ne purent être sortis des décombres que le 14 janvier.

Rappelez-vous : le 4 janvier, un détachement de la brigade Givati envahit la maison de Zeinat Samuni - où 18 personnes se sont regroupées, la plupart étant des enfants, le plus jeune est une petite fille de deux semaines. Le père, Attiyeh, un agriculteur salarié de 46 ans, s’approche des soldats et essaie de discuter avec eux en hébreu. Pour des raisons que les Forces de défense israéliennes cherchent à éclaircir, ou peut-être pas, les soldats font feu sur Attiyeh à bout portant, le tuant sous les yeux de ses enfants et de ses deux épouses, l’une étant Zeinat. Son fils Ahmad, 4 ans, est également blessé dans la fusillade. Les soldats leur permettent à tous de quitter la maison (avec le corps d’Attiyeh) et d’aller s’installer dans l’une des maisons à l’autre bout du quartier. Mais les soldats ne permettent pas aux équipes palestiniennes et de la Croix-rouge d’entrer dans le quartier pour s’occuper du blessé. Le petit Ahmad meurt d’avoir perdu tout son sang, dans les bras de sa mère, le matin du 5 janvier.

La veille, quand la famille Samuni a quitté sa maison, Amal avait voulu aller dans la maison de son oncle. Là, les soldats des FDI ordonnent à la famille, et aux autres familles qui se sont rassemblées là, d’aller dans un autre immeuble, dans le quartier. Le domicile de l’oncle, à trois étages, est devenu une base militaire. Ce qui fait que selon les ordres des soldats, à peu près 100 membres de la famille Samuni - dont Amal - se retrouvent entassés dans une structure de béton d’un étage, tout près de la base improvisée des Givati. Ils se croient là en sécurité.

Le matin du 5 janvier, à nouveau pour des raisons sur lesquelles les FDI enquêtent - ou pas -, la maison où ils se sont regroupés est bombardée par trois fois. On ne sait pas si elle a été touchée par des roquettes lancées d’avions, ou par des obus tirés par les chars d’assaut qui se trouvaient dans le secteur. 21 personnes furent tuées. Certains des blessés - dont Amal -, qui gisent parmi les cadavres, sont laissés pour morts pendant plusieurs jours. Rappelez-vous : les FDI n’ont pas permis aux équipes médicales de se rendre aussitôt sur les lieux.

De notre seconde et jusqu’à la dernière conversation, Zeinat a dit : « J’envie tous ceux qui n’ont eu que leur maison détruite, et dont le mari et le fils sont toujours en vie. Si le mien a été tué, ils auraient pu au moins épargner ma maison. » Ses déclarations dépeignent toujours les faits d’une façon nouvelle.

Lors de la dernière conversation, elle a de nouveau demandé si le déplacement des éclats d’obus dans sa tête était le signe que maintenant, il était possible de les retirer par une opération. Quoi qu’en disent les médecins, l’inflammation prouve que le corps de l’enfant est en train de les rejeter.


Sur le massacre de la famille Samouni, voir notamment :

- « Le Hamas a gagné en légitimité » de Jean-Pierre Perrin - Le Temps
- A Gaza, des habitants racontent l’acharnement de l’armée israélienne sur des civils de Michel Bôle-Richard - Le Monde


(JPG) Du même auteur :

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Ha’aretz - traduction : JPP





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