18 août 2010

Eden Abergil, produit d’une société aux yeux bandés

mercredi 18 août 2010

Max Blumenthal


Il y a-t-il quelque chose de choquant dans les photos de Facebook montrant la soldate israélienne, Eden Abergil, prenant des pauses moqueuses à côté d’hommes palestiniens attachés et les yeux bandés ? Sa conduite était certes abominable, mais je ne trouve pas qu’elle soit terriblement différente de celle des soldats israéliens et de la police des frontières dans les territoires occupés.

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Eden Abergil pendant « la plus belle époque » de sa vie
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Des scènes de ce genre, on peut en voir à tout moment en Cisjordanie. Elles montrent non seulement la déshumanisation que subissent constamment les Morlocks palestiniens ; elles dépeignent le monde dans lequel Abergil a passé ce qu’elle appelle « la plus belle époque de [sa] vie ». Il est facile de voir comment de jeunes Israéliens (ou n’importe qui) sont vidés de leur humanité dans un tel environnement.

En juillet, j’attendais à la cafétéria de la prison de Ofer, de style Guantanamo, après avoir assisté à la condamnation d’Ibrahim Amira, dirigeant du comité populaire de Ni’ilin ; un tribunal kangourou venait de lui infliger six mois de prison pour « incitation », accusation fabriquée de toutes pièces(il était accusé d’avoir payé des enfants pour qu’ils jettent des pierres contre les soldats israéliens qui envahissaient leur village au moins une fois par semaine, comme s’ils avaient besoin d’être encouragés).

Alors que je commandais un café au comptoir, j’ai vu quatre gardiennes de prison se pencher sur un portable pour consulter leurs pages Facebook. Je me suis demandé à quoi pouvait ressembler leurs derniers messages. Si c’était de leur travail qu’elles parlaient, leurs pages Facebook auraient-elles été différentes de celle d’ Abergil ? Bien sûr que non, jetez un coup d’oeil sur le blog de Eyal Niv et regardez certaines des photos que d’autres jeunes Israéliens mettent en ligne.

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Prisonnier à Hébron

J’ai pris cette photo à Hébron en juin avant que les soldats ne m’ordonnent d’arrêter de filmer. Un Palestinien se trouvait très de la mosquée Ibrahimi à Hébron.

Il n’est pas nécessaire d’aller en Cisjordanie ou dans une prison israélienne pour savoir qu’Abergil est un produit typique d’une société israélienne totalement militarisée. Regardez donc le documentaire « To See When I’m Smiling." (Voir quand je souris). Le film raconte les histoires navrantes de quatre jeunes femmes enrôlées dans l’armée israélienne ; l’une d’elles raconte comment elle a posé pour une photo à côté d’un Palestinien mort ayant une érection. Sur la photo, elle avait un énorme sourire. Toutefois à la fin du film, quand elle est obligée de regarder la photo pour la première fois depuis deux ans, elle ne reconnaît pas le monstre qui porte son visage. Son expression est crispée et elle semble demander « j’étais quoi ? »

Le film « To See When I’m Smiling » a été produit par Breaking The Silence, un groupe de défense des droits humains constitué d’anciens soldats israéliens qui rassemblent des témoignages auprès de leurs collègues. Incidemment, Breaking The Silence a publié une brochure de 132 pages contenant les témoignages de soldates (PDF ici) qui ont participé à des actes au moins aussi hideux que ceux qui figurent sur la page Facebook d’Abergil.

Voici le témoignage 63, d’une femme sergent de l’unité Nahal stationnée à Mevo Dotan :

je me souviens - et c’était après que nous nous étions installés à la base de Mevo Dotan - d’un Palestinien assis sur une chaise et je suis passée plusieurs fois devant lui. J’ai pensé : OK, pourquoi est-ce qu’il est ici depuis une heure ? J’ai envie de lui cracher dessus, c’est un Arabe. Et les autres me disent : vas-y, crache-lui dessus. Je ne me souviens pas si quelqu’un l’a fait avant moi, mais je me rappelle avoir craché sur lui et je me sentais, d’abord vraiment très bien. Je viens de cracher sur un terroriste ; c’est comme ça que je les appelais. Et ensuite je me souviens qu’après, j’ai senti que quelque chose n’allait pas.

Pourquoi ?

Ce n’était pas très humain. Cela a peut-être l’air cool et tout, mais non, ce n’est pas bien.

Tu y as pensé plus tard ou pendant l’acte ?

Plus tard. Au moment même, je me sentais vraiment cool.

Tu te sentais cool alors que tout le monde regardait.

Oui, et parfois tu te mets à réfléchir, spécialement le jour de la commémoration de l’holocauste ; brusquement, tu te dis, hé, ces choses on nous les a faites ; après tout c’est un être humain. Finalement, ce n’était de toute façon pas un terroriste ; c’était un gosse qui avait traîné trop longtemps près de la base et ils l’avaient attrapé.

Un gosse ?

Un adolescent.

Il a reçu des gifles ?

Oui

Il avait les yeux bandés etc ?

Oui. Je crois même qu’à un moment donné, personne ne le gardait.

La femme sergent s’est souvenue de l’holocauste quand elle a réfléchi à ce qu’elle avait fait. Si vous grandissez dans une famille juive, il est difficile de ne pas voir les ravages de l’occupation en fonction de l’holocauste, même si vous savez que la violence de l’armée israélienne n’est pas comparable à l’extermination perpétrée par les nazis. Mais alors que je regardais To See When I’m Smiling » les photos d’Abergil m’ont fait penser au film obsédant de Costa Gravas sur l’holocauste « Music box ». Si vous l’avez vu, vous comprendrez à quoi je me réfère. Si vous ne l’avez pas vu, empruntez-le.

J’ai aussi pensé à la première strophe de « Vision », un poème de l’écrivain palestinien Muhammad al-Qaisi. Le poème m’a fait penser non seulement à comment Abergil avait laissé tomber le masque en public, mais aussi à ce que beaucoup d’Israéliens m’ont raconté au sujet de leur expérience à l’armée ; ils décrivaient une personne dégénérée qu’ils n’avaient jamais rencontrée :

Je vois les visages changer de teint

perdre leur première peau

je vois les visages défaits

de leur maquillage et de leurs masques

et je vois une scène vide

et des spectateurs refusant de voir leur propre image au troisième acte.

* Max Blumenthal est un journaliste qui a remporté des prix et un écrivain best seller et qui travaille en Israël-Palestine. Ses articles et ses vidéos ont été publiés dans le New York Times, le Los Angeles Times, le Daily Beast, la Nation, le Huffington Post, Salon.com, Al-Jazeera English et beaucoup d’autres publications. Il écrit pour le Nation Institute. Son livre, Republican Gomorrah : Inside The Movement That Shattered The Party, est un best seller sur les listes du New York Times et du Los Angeles Times.

Du même auteur :

- Un rapport de l’armée israélienne qui confirme les conclusions Goldstone est enterré en Israël - 29 juillet 2010

- Haneen Zoabi : « la pire des menaces pour le sionisme, c’est la démocratie »

16 août 2010 - Cet article peut être consulté ici :
http://maxblumenthal.com/2010/08/ed...
Traduction : Anne-Marie Goossens

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