17 août 2010

Comment tomber amoureux de la Palestine !

La Palestine vient d’avoir son dictionnaire amoureux. 481 pages composées d’articles classés par ordre alphabétique qui racontent l’histoire, la beauté, les couleurs, les odeurs, les bonheurs, les amitiés, les malheurs, les tragédies de la Palestine et de son peuple qui se retrouvent prisonniers d’Israël, "cette machine à fabriquer de l’absence palestinienne". Cet ouvrage au contenu à caractère à la fois subjectif et objectif a pour objet la Palestine, un pays situé « hors du lieu », « hors du temps » ; une terre à « la géographie explosée » qui prend l’allure d’une « passion désirée » devenue par la force des choses une passion « héritée ».

Un livre écrit par Elias Sanbar, l’enfant du pays qui puise dans la mémoire collective et personnelle ; Un Palestinien, sans terre, exilé de son état, contraint à quitter sa terre natale, Haïfa, en 1948, l’année de la Nakba (catastrophe/défaite), alors qu’il était âgé à peine de quinze mois ; un homme engagé, solidaire de ses semblables, ces êtres « suspendus aux cordes du vent » (J. Genet) ; un être amoureux de sa terre confisquée, « captif de la question de la Palestine », cette enclave, qui, au fil des années, se retrouve enfermée dans un conflit qui prend l’allure d’une éternité.

Tout au long de ce dictionnaire qui propose une mémoire vivante de la Palestine, l’auteur fait découvrir aux lecteurs/trices une « Palestine intime », "réelle" et ainsi une « autre Palestine », celle qu’il connaît de l’intérieur et celle qu’il a connu lors de ses voyages en train, en avion, par bateau, en voiture, à pied..., par les lectures, la recherche...

L’objectif principal de cet auteur, « interdit de toute autre passion, de tout autre sujet d’intérêt » consiste à « démystifier un pays » en mettant en scène « une réalité autre » que celle relayée par les médias et les représentations dominantes qui portent préjudice à la Palestine et à son peuple contraint à l’errance et à l’oubli. Pourquoi la Palestine est-elle racontée sous forme d’un dictionnaire ? Pour expliquer ce choix, Elias Sanbar ose une métaphore dans laquelle il énumère les points communs entre sa terre natale, la Palestine et le dictionnaire. Ainsi il écrit : « les dictionnaires, leur structure, « la forme dictionnaire » - écrit-il - ont la qualité d’être accordés au sujet palestinien ».

De quelle manière ? « Par l’aspect fragmenté de leur construction » (...), « leur-multiplicité qui sont comme l’empreinte sur le papier de l’éclatement du réel palestinien, de sa dispersion, de ses profondes liaisons... »

Des souvenirs d’enfance, des analyses sur les colonies israéliennes, la complexité des papiers d’identité des Palestiniens, les deux Intifadas, des réflexions politiques sur la Palestine et les Palestiniens, les personnalités pro-palestiniennes et bien d’autres sujets sont à lire dans cet ouvrage agrémenté de dessins d’Alain Bouldouyre.

Alors dès à présent, immergez-vous au coeur de la Palestine, de son histoire, de sa géographie, de son archéologie, son cinéma, sa politique, sa littérature, ses recettes de cuisine, ses anecdotes ; l’histoire de son enfermement, de sa destruction et beaucoup d’autres éléments qui vous feront découvrir un pays ! Un peuple ! Errant ! Dispersé ! Eparpillé ! Etouffé ! Méprisé ! Emprisonné ! L’ histoire à la fois simple et complexe d’une terre et de ses enfants blessés à jamais dans le plus profond de leur être. Et ce sont quelques éléments de la facette complexe de ce pays, de son histoire et de son peuple privé d’un foyer à soi que nous avons choisi de mettre en lumière à travers cet article et ce, afin que nul ne pourra dire « je ne savais pas ! ».

A comme Absence, Ghurba, Gharîb et Mughtarib, Manfâ et Manfî (Exil)....

L’absence dans le contexte palestinien équivaut à une double absence. D’une part, "l’absence de chez soi", c’est-à-dire de sa terre, de son pays, de son territoire de naissance, de son lieu de vie naturel. Cette absence est essentiellement spatiale, territoriale faisant référence à "l’absence du nom" et à "l’effacement des cartes géographiques de plus de quatre cents localités" en terre palestinienne. L’absence palestinienne est également temporelle car le présent dominé par l’absence, l’effacement et la disparition des villes et des villages palestiniennes "a pris le pas sur la présence du passé disparue".

Le second type d’absence concerne "l’absence à soi" qui renvoie à son être, à son intériorité, à son intimité et donc à l’identité personnelle de chaque Palestinien, femmes, hommes, enfants. Ainsi, le Palestinien est essentiellement un "exilé" soit un "absent de son état", selon E. Sanbar. Il est un "réfugié"qui fait vivre dans sa mémoire sa Palestine" réduite à l’état de souvenir par l’occupation". Par ailleurs, les palestiniesn-ne-s sont considéré-e-s comme des Manfiyyûn", c’est-à-dire des "exilés bannis" dont la situation les contraint à vivre une "ghurba" qui signifie en langue arabe émigration, terme associé à la notion d’étranger qui revêt une importance capitale dans la compréhension de l’absence palestinienne. Cependant, cette notion d’étranger fait l’objet d’un paradoxe. Car bien qu’au moment de la Nakba les Palestiniens aient cherché refuge dans les pays arabes et non dans des pays étrangers, ils ont malgré tout le statut de "résidents de la Ghurba". Par la force des choses, les territoires arabes sont considérés comme des territoires "de l’étrangéité". Car les Palestinien-ne-s se sont retrouvés dans une situation " d’injonction d’oubli", un état de fait où ils étaient contraints "d’apprendre à oublier", selon l’expression d’Anton Shammas.

Mais si les Palestinien-ne-s, ces hommes et ces femmes « banni-e-s », qui habitent « leur ghurba » oublient, ils deviendront des « Ghurab » et leur absence revêtira alors une dimension bien particulière pour devenir « celle de l’effacement de leur nom et des noms de leur terres ».

A comme Al-’Awda, le Retour

La question du retour est centrale dans le conflit israélo-palestinien car elle suppose la recherche d’une solution pour les réfugiés palestiniens. Et d’autre part, elle pose la question de la légitimité ou pas de la création de l’Etat d’Israël. Du point de vue palestinien, la question du retour est associée à l’injustice et à la négation de leur droit de vivre chez eux qui est à l’origine de leur expulsion de leur terre, explique E. Sanbar. Pour les Israéliens, la question du retour est source d’angoisse car elle renvoie à un "danger existentiel" qui risque de « délégitimer leur droit de vivre" en Israël.

Afin d’illustrer son propos, l’auteur cite deux résolutions adoptées par l’Organisation des Nations Unies en l’occurrence le droit des Palestinien-ne-s « d’exercer le droit au retour dans leurs foyers » et leur « droit de ne pas l’exercer et d’obtenir en échange une compensation ». Dans la résolution 194 (III) paragraphe 11, la clause relative au droit au retour met en exergue quatre idées essentielles : la possibilité des Palestinien-ne-s de retourner dans « leurs foyers » ; l’idée de compenser les pertes de ceux et celles qui ne souhaitent pas retourner en Palestine ; l’inscription du retour dans la perspective « d’une réparation d’un tort » et du rétablissement d’un « droit naturel antérieur » et enfin l’idée que le droit au retour est un droit collectif » pendant que son application est essentiellement individuelle.

La seconde résolution adoptée le 11 mai 1949 porte sur « l’engagement d’Israël d’appliquer les résolutions 181 (II) du 20 novembre 1947 et 194 (III) lesquelles affirment le droit au retour et au partage de la Palestine entre deux Etats. « Ces résolutions soulignent la reconnaissance d’Israël du partage de la Palestine et le Droit au retour des réfugiés dans leurs foyers », écrit E. Sanbar. Et c’est précisément sur la base de ces résolutions que Israël a été admis au sein de l’Organisation des Nations Unies.

Cependant, ces résolutions sont restées lettres mortes car Israël ne les a jamais appliquées.

Mais alors que proposent les Palestiniens pour faire en sorte qu’Israël applique ce droit ?

La proposition de la diplomatie palestinienne a notamment mis l’accent sur la nécessité de « se dégager des carcans des dénis réciproques pour aboutir à ce qui serait plus qu’une paix des armes, une paix des coeurs ». Par ailleurs, elle pose le postulat que le droit au retour est « un droit naturel » voire « un droit humain inaliénable » qui permet à tout Palestinien de « vivre chez lui, en paix, dignité, liberté, respect et harmonie avec ses voisins ». C’est un droit qui « ne peut être négocié -alors que- son application, sa mise en pratique peuvent l’être », explique E. Sanbar . Cette proposition de la diplomatie palestinienne qui met en perspective « un nouvel ordre de séquence » met l’accent sur les conditions sine qua non pour sortir de l’impasse actuelle. D’une part, l’idée que « le principe de la reconnaissance du droit de retour » des Palestiniens implique inévitablement « la reconnaissance par Israël de sa responsabilité concrète et morale de la Nakba (l’expulsion en 1948) ». Et d’autre part, l’idée qu’Israël doit admette le fait que les Palestiniens furent des victimes au cours de cet épisode tragique de l’histoire de cette région du monde.

I comme Intifada, la guerre des pierres

Le vocable Intifida a été intégré dans les dictionnaires. Que recouvre ce terme qui est associé à la Palestine et qui signifie en arabe populaire palestinien, guerre des pierres ? C’est en décembre 1987, dans les camps de réfugiés à Gaza que commence l’intifada, c’est-à-dire des vagues de soulèvements, de révoltes, assimilés à des actes de révolution. Les acteurs : « Les enfants de la pierre ?

Selon E. Sanbar, l’Intifada est la conséquence de « vingt ans d’oppression, de répression, d’humiliation par une armée d’occupation, du refus permanent de reconnaître l’Organisation de Libération de la Palestine comme le représentant unique t légitime des palestiniens ». C’est une résistance menée par les Palestiniens « occupés », dans les territoires occupés et par les réfugiés exilés.

L’Intifada a émergé de l’intérieur, c’est-à-dire en Palestine et non des lieux de l’exil « où le mouvement national s’était fixé, de longues années durant, d’accomplir le « saut vers l’intérieur ». Et en effet, il a fallu plus de vingt ans pour que des Palestiniens qui vivent en Palestine prennent part à la résistance contre l’occupant.

Cette révolution de la pierre menée par des enfants a mis davantage en lumière le caractère inégal et injuste de la situation entre Israël et les palestiniens en matière notamment de moyens de défense : des pierres contre des moyens armés sophistiqués.« la guerre des pierres accentuera le sentiment d’une guerre inégale, injuste, opposant de jeunes adolescents à une armée redoutable », écrit E. Sanbar.

l’intifada a impliqué toute la société palestinienne. Par ailleurs, elle a permis l’organisation de la société civile en associations, syndicats ainsi que la mobilisation de la société civile. En 1991, sur ordre des autorités locales et nationales, l’Intifada s’arrêta. C’était le temps des négociations dans le cadre du processus de paix.

Pourtant, des événements tragiques (assassinat de Yitzhak Rabin en 1995), des attentats suicides palestiniens et bien d’autres facteurs viendront contribuer à la dégradation de la situation. La croyance en la paix s’amenuisa dans les deux camps. Ce climat a favorisé l’échec des négociations de paix.

La seconde Intifada éclata en 2000. Contrairement à la première intifada qui fut une guerre des pierres, la seconde intifada se caractérise essentiellement par l’utilisation des armes à feu. Elle « permettra à Israël de « récupérer » et d’affirmer à nouveau qu’il ne faisait que se défendre et protéger légitimement ses citoyens », écrit E. Sanbar

M comme Mur

En novembre 2000, Ehud Barak lance le projet de la construction d’un Mur de séparation au Nord et au Centre de la Cisjordanie. L’idée est reprise par son successeur, Ariel Sharon en 2001. Le projet abouti à un tracé plus étendu, incluant une « zone de suture », contiguë aux lignes d’armistice de 1049, « la ligne verte », celle-là même censée devenir la future frontière entre les Etats palestiniens et israéliens ».

Les travaux ont débuté 2002. Le mur est construit sur des terres qui ont appartenu aux Palestiniens. Celles-ci ont été confisquées voire « réquisitionnées par ordonnances militaires notifiées aux propriétaires palestiniens ». La construction du mur est prévue sur une longueur de 709 km, ce qui signifie que « 85% se retrouvera à l’intérieur des Territoires palestiniens et de Jérusalem-Est ». Et ainsi, « 9,5% de ces territoires seront passés en territoire israélien », écrit E. Sanbar.

Les conséquences pour les Palestiniens et leur territoire sont catastrophiques voire dévastateurs. En effet, ce projet a perturbé le réseau des voies de communication rurales, a supprimé des routes, des chemins, des champs agricoles et à réduire les terres palestiniennes. Autrement dit, le mur a contribué à amplifier « la fragmentation territoriale de la Cisjordanie » la réduisant « à une série de parcelles coupées les unes des autres « porte préjudice « au principe de la « continuité territorial », l’une des bases de la souveraineté, indispensable à tout Etat palestinien futur ».

La construction du mur qui « traverse huit des onze gouvernorats palestiniens de la Cisjordanie » a réduit cette région de la Palestine à une enclave. Il constitue une atteinte au droit des Palestiniens de vivre dignement car ce mur et ses conséquences ravageuses ne cessent de compromettre l’accès des Palestiniens aux soins et au travail. Leur liberté de mouvement et de circulation dans les zones urbaines notamment est largement réduite. Les Palestiniens ne disposent plus que de trois point de passage sur seize pour accéder à Jerusalem-Est, l’autre côté du mur. La traversée à pied s’avère être une entreprise quasi impossible puisque les autorités israéliennes les contraignent à se munir de permis d’autorisation de circuler généralement difficiles à obtenir.

Afin de protester contre « cette barrière de séparation israélienne », deux localités palestiniennes, Bil ’în et Ni’în organisent, chaque année, des journées de protestation auxquelles participent des pacifistes palestiniens, israéliens et des militants du monde entier.

P.S.

Elias Sanbar, "Le Dictionnaire amoureux de la Palestine", Editions Plon, Avril 2010, 496 P., 24,50 €

lu sur ELKHADRA

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