20 octobre 2010

Nègre je suis, nègre je resterai

mercredi 20 octobre 2010, par Audrey Pulvar
L’arabe menteur, l’arabe voleur, le chinois travailleur mais sale, le juif cupide, la française sexuellement libre, le latino chaud lapin, la négresse panthère, la négresse lascive, le nègre danseur, le nègre rieur, le nègre footballeur, le nègre paresseux… strike ! En cherchant un peu, on pourrait en trouver d’autres, des idées à fournir à monsieur Jean-Paul Guerlain pour son petit précis de clichés racistes. C’est donc celui du nègre fainéant, bon à rien, qu’il aura choisi de nous servir, dans un silence sidérant, sur le plateau du 13 heures de France 2 vendredi dernier.
« J’ai travaillé comme un nègre, je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… ». C’est la deuxième partie de la phrase, 13 mots, qui lui valent... quoi au juste ? On a bien cherché, on a bien attendu pendant tout le week-end, dans la bouche de tous ces responsables politiques, un début de condamnation, d’émoi, d’indignation. Seule Christine Lagarde a réagi. Pour les autres, on attend encore. En France, on peut donc prononcer des paroles racistes à une heure de grande écoute, sur un média national sans qu’aucune grande voix, politique, intellectuelle ou artistique ne s’en émeuve. Oh, les associations font leur job, qui menacent de porter plainte. Mais qui parle de racaille ? De scandale ? De honte ? D’obscénité ? De crachat ? Le crachat, que ce très distingué Monsieur Guerlain a jeté non seulement à la figure de tous les Noirs d’aujourd’hui, mais surtout, cher Monsieur Guerlain, sur la dépouille des millions de morts, à fond de cale, à fonds d’océan, déportés de leur terre natale vers le nouveau monde. Ces millions de personnes asservies, avilies, déshumanisées, pendant quatre siècles, réduites au rang de bras et de mains destinées aux champs de coton, aux champs de canne, à la morsure du fouet ou celle du molosse, tous ces esclaves, vendus comme une force de... travail ! Pas des hommes, non, ni des pères, ni des mères à qui l’on arrachait leurs enfants pour en faire d’autres bêtes de sommes, pas des humains, mais des outils, du matériel. Des marchandises.
Cher monsieur Guerlain, vous dont l’un des parfums suffisait, à lui seul, à rassurer l’enfant que j’étais quand sa mère s’absentait, vous dont le nom m’a accompagnée, de mère en fille, de sœur en sœur, aussi loin que remontent mes souvenirs et dont je ne pourrai plus, jamais, porter la moindre fragrance, moi négresse, je vous relis, je vous dédie ces quelques lignes, signées Aimé Césaire : « Vibre… vibre essence même de l’ombre, en aile en gosier, c’est à forces de périr, le mot nègre, sorti tout armé du hurlement d’une fleur vénéneuse, le mot nègre, tout pouacre de parasites… le mot nègre, tout plein de brigands qui rôdent, de mères qui crient, d’enfants qui pleurent, le mot nègre, un grésillement de chairs qui brûlent, âcre et de corne, le mot nègre, comme le soleil qui saigne de la griffe, sur le trottoir des nuages, le mot nègre, comme le dernier rire vêlé de l’innocence, entre les crocs du tigre, et comme le mot soleil est un claquement de balle, et comme le mot nuit, un taffetas qu’on déchire… le mot nègre, dru savez-vous, du tonnerre d’un été que s’arrogent des libertés incrédules ».

Aimé Césaire qui, à l’insulte, répondit aussi un jour : « Eh bien le nègre, il t’emmerde ! ».
( Audrey Pulvar - France-Inter, lundi 18 octobre 2010 )

*Nègre je suis, nègre je resterai
Extraits du poême "Mots", du recueil Cadastres, d’Aimé Césaire.
Aimé Césaire, entretiens avec Françoise Vergès,
éditions Albin Michel, 2005
Ecoutez Aimé Césaire sur : Lien
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Si Audrey Pulvar se plaint de l’absence de réaction politique, le CSA, lui, n’a pas tardé à sanctionner France 2 suite aux propos de Jean-Paul Guerlain concernant les "nègres". La chaîne écope d’une mise en demeure pour "non-maîtrise de l’antenne" de la part d’Élise Lucet qui, en recevant le parfumeur à la fin de son JT, vendredi 15 octobre, n’a pas réagi en direct lorsque celui-ci s’est laissé aller à dire : "Je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin..."
La décision des sages a été prise à l’unanimité lors de la plénière qui s’est déroulée mardi 19 octobre. Les Sages n’ont pas pris en considération les excuses d’Élise Lucet formulées dès vendredi sur le site Internet de France 2 (et réitérées dans son JT lundi 18 octobre). "J’ai été surprise par ces propos qui n’avaient rien à voir avec le thème de l’entretien. Je suis désolée de ne pas avoir réagi instantanément", déclarait la journaliste.

(Mercredi, 20 octobre 2010 - Avec les agences de presse)

Pétition
Non au terrorisme de l’Etat d’Israël
 

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