04 juin 2012

Entretien avec Angela Davis, militante historique pour les droits civiques et compagnon de route des communistes: « Malgré les espoirs déçus, on continue le combat » 

 

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Angela Davis: Des espoirs déçus, de la solidarité et du combat qui continue


En tant que symbole et icône du mouvement pour les droits civiques américains, elle est aussi connue que Martin Luther King et Malcolm X., Mais, au contraire des deux personnages précités, Angela Davis a survécu aux années 1960 et, aujourd’hui, elle est toujours aux avant-postes de la lutte pour l’égalité des droits, sans distinction de race, de sexe ou de classe. La semaine dernière, elle a reçu les insignes de Docteur honoris causa de l’ULB.



Entretien réalisé par Nick Dobbelaere pour le Parti du travail de Belgique (PTB) repris par http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/


À l’occasion de sa venue à Bruxelles pour recevoir les insignes de Docteur honoris causa à l’ULB, l’emblématique figure du militantisme aux États-Unis a rencontré quelques journalistes, pour évoquer le monde d’aujourd’hui. Voici un bref compte-rendu de cette rencontre.

Sur Obama



« En fait, il était inévitable que nous soyons déçus, surtout vu la façon dont, il y a quatre ans, la campagne pour Obama a été menée. Bien des gens, partout dans le monde, ont projeté leur espoir sur ce seul individu. Et le fait que, pour la première fois, un Noir soit devenu le président des États-Unis est historique. Mais le pays dont il est devenu le président est resté le même. Son élection n’a rien changé à la nature des États-Unis. Les États-Unis sont un pays impérialiste. En fait, Obama ne pouvait que nous décevoir.


Il aurait cependant pu faire certaines choses qu’il n’a pas faites. Nous avions espéré, par exemple, qu’il allait fermer immédiatement la prison de Guantanamo. Nous n’aurions certainement pas pensé non plus qu’il allait entamer une guerre en Afghanistan, après s’être exprimé contre la guerre en Irak. Mais, malgré ces déceptions, son élection reste historique et sa victoire n’a été possible que parce que beaucoup de gens — surtout des jeunes — ont refusé de croire qu’il était impossible que quelqu’un comme Obama puisse être élu comme président.


L’erreur que nous avons commise après avoir élu Obama, c’est que nous n’avons pas maintenu la pression. Directement après sa prestation de serment, nous aurions dû mobiliser et exercer des pressions sur lui afin de ramener les soldats dans leurs foyers, de fermer Guantanamo, d’améliorer les soins de santé… Alors, il se serait trouvé dans une meilleure position pour réaliser plus de choses qu’il n’en a réalisé.


Le défi pour les prochaines élections présidentielles est donc de créer à nouveau un enthousiasme comme il y a quatre ans. Mais, cette fois, nous ne pouvons pas concentrer cet enthousiasme sur la personne d’Obama. Nous devons susciter un enthousiasme pour créer un mouvement qui se battra pour les droits des travailleurs, des femmes, l’égalité, la fin de l’exclusion massive aux États-Unis, etc. »

Sur le système carcéral aux États-Unis



« Une grande partie de mon travail militant concerne aujourd’hui le “complexe industriel carcéral” (le fait qu’en raison de l’influence politique des entreprises carcérales privées, le secteur américain des prisons est devenu un secteur industriel qui a besoin d’un nombre sans cesse croissant de détenus, NdlR). Un adulte américain sur 100 est derrière les barreaux. Un adulte sur 31, aux États-Unis, est contrôlé d’une façon ou d’une autre par l’appareil judiciaire. Et une majorité écrasante de ces prisonniers sont des Noirs, surtout des hommes. Il y a aujourd’hui plus de Noirs dans les prisons et sous contrôle de l’appareil judiciaire qu’il n’y avait d’esclaves en 1850. Voilà l’exemple le plus dramatique de la façon dont l’héritage de l’esclavage est toujours bien vivant.
La grande majorité des gens en prison — et pas seulement aux États-Unis — y sont parce qu’ils sont pauvres ou illettrés, parce qu’ils n’ont pas eu la chance de bénéficier des services que la société est censée leur proposer. Des choses comme l’enseignement pour tous, les soins de santé, un toit, un boulot…
Nous pouvons également nous poser la question de savoir comment nous pouvons créer un système juridique qui résoudrait vraiment les problèmes. Prenons la violence contre les femmes. Au cours des trois ou quatre dernières décennies, la violence contre les femmes est devenue une chose perçue comme un méfait dont les auteurs doivent aller en prison. Mais que constatons-nous ? La violence contre les femmes n’a pas diminué ! Fourrer les gens en prison n’a donc rien fait pour résoudre ce problème. Si nous voulons bannir cette sorte de violence de notre société, nous ne devons pas reporter nos espoirs sur les prisons, car, alors, on répond à la violence par encore plus de violence. »

Sur le racisme



« Le racisme est toujours une force très active dans la vie politique et sociale des États-Unis. Les gens pensent que le racisme concerne un comportement individuel ou des limitations légales, mais la plupart des lois qui étaient explicitement racistes ont été abrogées entretemps. C’est tout le mérite du mouvement pour les droits civiques.

Mais ce que nous appelons aujourd’hui le mouvement pour les droits civiques était appelé à l’époque “freedom movement” (mouvement pour la liberté) par les militants. Les droits civiques n’étaient qu’un aspect de la lutte. Ceux-ci se sont concrétisés — bien que pas encore pour tous —, mais le racisme, lui, est toujours présent dans les soins de santé, l’enseignement, le logement, les services sociaux… Il existe un racisme structurel, institutionnalisé, indépendamment du préjugé raciste individuel, ou même sans qu’il y ait une loi qui discrimine les Noirs ou les Latinos.

Prenons la mort de Trayvon Martin (adolescent noir abattu par un garde civique en Floride en février dernier, NdlR). La plupart des gens semblent considérer ce meurtre comme un incident exceptionnel. Ils concentrent leur attention sur les personnes impliquées à titre individuel. Mais, même si l’auteur est condamné à perpétuité — ce qui ne sera sans doute pas le cas —, le problème de la violence des gardes civiques ou de la police n’en sera pas résolu pour autant. Cela prouve que les peines de prison ne fonctionnent pas, car arrêter l’auteur et l’enfermer n’empêche pas que des crimes similaires se reproduisent.

Nous devons trouver une stratégie d’éradication du racisme. Mais, avant cela, nous allons encore devoir mobiliser et lutter très longtemps. Cela ne se fera pas en un mois, ni en un an, dix ans ou toute une génération. Cela prendra plusieurs générations. Aux États-Unis, nous n’avons pas encore abordé cet effort à long terme. C’est pourquoi le racisme continue de se présenter sous tant de formes différentes. »

Sur les mouvements de protestation actuels



« Je ne suis pas une spécialiste, vous savez. Les mouvements radicaux se constituent pendant qu’ils opèrent. Je ne voudrais pas freiner un mouvement en donnant des conseils sur la base de mon vécu. Mais il est quand même important de tirer des leçons des expériences du passé. Ainsi, en Palestine occupée, des jeunes ont emprunté des bus qui étaient réservés aux seuls colons israéliens, tout comme les jeunes Noirs des années 1960 le faisaient avec les bus réservés aux Blancs et, à l’instar des militants de l’époque, ils se font appeler les “Freedom riders” (usagers de la liberté). Cette sorte de solidarité par-delà les frontières du temps et de l’espace peut être très importante. Je ne suis ici aujourd’hui que parce que des gens en Belgique et dans toute l’Europe, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine, sont descendus dans la rue pour défendre ma liberté. La solidarité internationale est essentielle.


Personne n’aurait pu prédire que le mouvement Occupy allait avoir un tel impact sur la façon dont les gens perçoivent notre système économique mondial. Grâce à ce mouvement, un nouveau terrain est né pour le débat politique. C’est le plus grand mérite du mouvement. “Nous sommes les 99 %” est un slogan important. Mais nous devons percevoir ces 99 % comme un groupe très hétérogène. Ceux qui se trouvent dans la couche supérieure de ces 99 % sont bien plus près des “1 %” que de la couche inférieure des 99 %. Comment crée-t-on une unité entre des gens dont les intérêts matériels et les contextes idéologiques sont différents ? Comment convaincre les gens de la classe moyenne de lutter pour des détenus qui, souvent, proviennent des couches inférieures des 99 % ? Comment intégrer les problèmes de la population native américaine ou des Palestiniens au mouvement Occupy ? Le véritable défi consiste à placer tous ces thèmes à l’intérieur d’un cadre dans lequel tout le monde luttera pour les droits des travailleurs du monde entier. »

 

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