La pasionaria arabe israélienne
LE MONDE GEO ET POLITIQUE | 29.05.2012 à 19h22 • Mis à jour le 29.05.2012 à 19h22
Par Laurent Zecchini
Même pas peur : de rien et de personne. Elle l'a montré en moult
occasions, mais surtout le 31 mai 2010, à bord du Mavi-Marmara,
ce paquebot turc de la "flottille pour Gaza", abordé par les commandos
israéliens au cours d'un assaut sanglant. Fait d'armes ? Cicatrice en
tout cas. Depuis, elle n'a cessé d'être vilipendée, devenant la bête
noire de la droite et de l'extrême droite, qui rêvent de la juger pour "trahison".
Haneen
Zoabi s'en est tirée avec la suspension de ses privilèges
parlementaires et la confiscation de son passeport diplomatique. Mais
elle a puisé dans cet épisode une combativité renouvelée, pour dénoncer
l'"apartheid" israélien, continuer les provocations, enfin... pour
se battre en faveur de ses idées ! S'il le faut, elle recommencera à participer à d'autres équipées militantes, confiante dans sa baraka.
La preuve ? Le 7 mai, le très radical député du Likoud, Danny Danon, annonce une pétition parlementaire pour interdire à Haneen Zoabi de participer aux prochaines élections. "Elle n'a rien à faire à la Knesset, sa place normale est en prison",
martèle-t-il. Manque de chance, le 8 mai, Benyamin Nétanyahou, le
premier ministre, annule les élections anticipées ! Elle va donc poursuivre
ses diatribes, son militantisme exacerbé, qui découle de son identité
écartelée : arabe, musulmane (mais non pratiquante), "palestinienne"
mais citoyenne de l'Etat juif, bien des contraires à
gérer...
A 12 ans, elle insistait (on imagine...) auprès de sa mère : "Tu
me dis que je suis palestinienne, mais où est la Palestine ? Tu me dis
que je suis israélienne, mais est-ce que ce drapeau me représente ?" Célibataire, Haneen Zoabi
a 43 ans, et elle n'a pas toutes les réponses. C'est une petite femme
brune et jolie, qui se passionne très vite. Elle est née et vit à
Nazareth. Pourquoi avoir étudié la psychologie, la philosophie, puis le journalisme ?
"Parce que je voulais influencer la société, je voulais des outils pour éveiller la conscience des gens, parce que je veux une société qui puisse lutter pour ses droits."
Par
chance, dans sa famille, on insiste sur les "valeurs" :
l'accomplissement de soi, l'éducation, la fierté, l'égalité (entre
hommes et femmes autant qu'entre Juifs et Palestiniens), et surtout la
justice. En 1996, elle commence à militer à Balad
(parti arabe israélien), dont elle deviendra l'une des trois députés en 2009.
Elle trouve vite ses marques. Et
revendique aujourd'hui un demi-succès : "Nous avons souligné la contradiction entre sionisme et démocratie : un Etat, c'est fait pour tous ses citoyens ; or, en Israël, l'Etat est d'abord pour les Juifs. Un Etat qui se veut "juif" ne peut pas être démocratique", assure-t-elle en faisant référence aux 20,6 % de la population arabe israélienne d'Israël.
Son discours est-il proche de celui du Hamas ? Moins qu'on ne le croit : "Si je veux la démocratie, c'est pour que, Juifs et Arabes, nous puissions vivre ensemble. Or, comme citoyenne israélienne, je n'ai pas le droit d'exprimer mon identité de Palestinienne." Quant à l'Etat palestinien, c'est autre chose. En tout cas, ce n'est pas, pour elle, l'enjeu essentiel. "Je ne crois pas à une pureté ethnique au nom de laquelle les Juifs doivent vivre dans un Etat séparé des Palestiniens, qui eux-mêmes doivent avoir un Etat sans Juifs."
Haneen Zoabi reprend son souffle, et se lance de plus belle : "Je n'ai pas immigré : je ne suis pas une Algérienne en France ! C'est Israël qui a émigré vers moi : ils ont
expulsé 85 % de mon peuple en 1947-1948." A l'époque, insiste la pasionaria de Nazareth, "ma patrie, la Palestine, a été violée, mais, concède-t-elle, aujourd'hui, nous devons traiter les Juifs israéliens, même s'ils sont là à la suite d'un viol, comme nos égaux".
A la Knesset, le discours de Haneen Zoabi est rejeté en bloc, ce qui ne l'empêche pas de continuer à croire aux "outils de la
démocratie". Des députés d'extrême droite sont allés manifester devant son domicile pour demander son expulsion du Parlement, d'autres ont exigé qu'elle soit déchue de sa citoyenneté israélienne.
Les motifs de cette hargne ? L'activisme sans limites de Haneen Zoabi : elle se rend en Libye, pays "ennemi" s'il en est ; en Afrique du Sud, pour y dénoncer "le racisme d'Israël", à Hébron, pour protester
contre la présence d'une poignée de colons juifs en pleine ville arabe.
Elle demande que les émeutes d'octobre 2000 (début de la seconde
Intifada) soient enseignées dans les écoles, elle refuse de rester dans l'Hémicycle lorsque la Hatikva (l'hymne israélien) se fait entendre, et traite Benyamin Nétanyahou et
les chefs des partis israéliens de "bande de fascistes"...
Mais elle balaie les accusations de déloyauté envers l'Etat : "Si la loyauté signifie effacer
mon honneur, ma personnalité, mes droits et mon identité, alors je ne
suis pas loyale. Si l'Etat confisque nos terres, détruit nos maisons,
nous interdit d'étudier notre histoire dans nos écoles, c'est qu'il
n'est pas loyal envers ses citoyens. Si la seule manière de ne pas être
considérée comme antisémite, c'est de dire "d'accord, vous êtes chez vous, nous n'étions pas là avant 1948, vous êtes venus sur une terre qui était vide...", je ne serai jamais loyale envers le sionisme."
Lorsque
plusieurs députés tentent de l'éjecter par la force de la tribune de la
Knesset, elle résiste, y compris face à un huissier. La paix,
souligne-t-elle, doit être la fin
d'un processus, "mais d'abord il y a la justice". Haneen Zoabi reçoit des menaces de mort, les ignore, se félicite presque que "100 députés" (sur 120) demandent son expulsion, et conclut avec défi : "On ne me fera pas taire !" On n'en doute pas...
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