Un avion turc abattu par l’armée syrienne. Quid des milliers de Syriens abattus par les forces pro-turques ?
Ce vendredi 22 juin à 11h58 précises, un avion de type F4 Phantom parti de la base aérienne d’Erhaç à Malatya (Est de la Turquie) a disparu en Méditerranée, au large des côtes syriennes.
Il aurait été abattu par la défense
anti-aérienne syrienne au moment où celui-ci aurait franchi son espace
aérien d’au moins un kilomètre.
La version syrienne des faits n’est pas
dénuée de sens puisque l’épave de l’avion se trouve actuellement dans
les eaux territoriales syriennes.
Autre détail important : l’avion de
reconnaissance (et donc non équipé de missiles) aurait été abattu après
qu'il ait disparu des écrans radars turcs. L'avion a probablement
disparu parce qu'il aurait violé l'espace aérien syrien.
Par ailleurs, l’endroit où l’avion de
reconnaissance turc a été abattu se situe aux confins de la frontière
turque, dans les eaux qui font face à la ville turque de Samandag mais
qui se situent à une jetée de pierre du village côtier syrien de Ras El
Bassit.
D’autant que les pêcheurs et certains
riverains de Samandag (ville turque majoritairement arabophone) disent
avoir entendu trois déflagrations en provenance de la frontière.
Ces témoins « auditifs » ont d’abord
pensé qu’il s’agissait de tirs entre soldats et rebelles syriens. Ce
n’est qu’après avoir aperçu un zodiac des garde-côtes turcs et deux
frégates en provenance de la base navale d’Iskenderun que les habitants
de Samandag ont pensé à un « naufrage ».
De retour du sommet de Rio+20 au Brésil,
le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a convoqué vendredi soir, une
réunion d’urgence dont le sujet principal devait être le « terrorisme
séparatiste » et l'attaque menée par le PKK à Daglica dans la
zone montagneuse de Hakkari.
Selon la chaîne turque NTV, l’état-major
turc n’aurait pas soufflé mot sur les pertes humaines essuyées par son
armée. Ainsi, pendant 2h10 minutes, le seul sujet de discussion aurait
été la disparition du F4 et la responsabilité syrienne dans cette perte.
Dans un communiqué de presse très
laconique émis à l’issue de la réunion de crise, le premier ministre
Erdogan a confirmé que l'avion a été abattu par la défense syrienne. Il a
par ailleurs annoncé que les recherches de l’épave sont menées
conjointement avec les autorités syriennes et que « la Turquie fera
connaître sa position finale une fois que toute la lumière aura été
faite sur cette incident. »
Aucune information n’a été communiquée concernant le sort des deux pilotes qui se trouvaient à bord de l’avion abattu.
Entretemps, la plupart des analystes
interrogés par les chaînes satellitaires turques tiennent un discours
plus que dangereux, se référant à tous les articles de la charte des
Nations Unies et de l’OTAN qui permettraient de contourner le véto
sino-russe pour intervenir militairement en Syrie, expliquant que le
« crime » commis par la Syrie est très grave et relève du « casus
belli ».
Ils démentent, par ailleurs, les allégations de soutien militaire de la part de la Turquie aux insurgés syriens.
Sur ce dernier point, l’administration Erdogan et ses panégyristes médiatiques sont peu convaincants.
Rappelons d’abord quelques faits avérés :
- les Frères musulmans syriens et l’Armée
syrienne libre (ASL) sont les invités de marque du gouvernement turc et
les principaux acteurs pro-turcs de l’opposition syrienne.
- l’ASL dispose de camps d’entraînement
dans la province turque du Hatay, à quelques kilomètres de l’endroit où
l’avion turc est tombé.
- certains camps de réfugiés syriens sont
utilisés comme couverture pour les insurgés syriens. Durant l’été
dernier, des opposants syriens ont été arrêtés en territoire turc par
les services secrets de la MIT pour avoir dénoncé le détournement des
camps de réfugiés à des fins militaires notamment par des groupes
djihadistes.
- l’ASL lance des attaques en territoire
syrien depuis ses bases turques en s’infiltrant vers les provinces de
Lattaquié et d’Idlib via le Djebel Zawiya. L’ASL revendique des
attentats depuis le territoire turc. Des milliers de soldats et de
civils syriens ont été tués dans ces attentats.
- tous les militants maghrébins d’Al
Qaida capturés par l’armée syrienne et passés aux aveux parlent de la
piste Istanbul-Antakya dans leur itinéraire vers le djihad en Syrie. Il
est impossible que ces militants traversent toute la Turquie de haut en
bas, rencontrent des insurgés syriens agissant sous contrôle de l’armée
turque et franchissent une zone frontalière militarisée sans que les
autorités turques ne soient au courant.
- le New York Times (article d’Eric
Schmitt) du 21 juin évoque des opérations secrètes de la CIA qui
coordonnerait le trafic d’armes en provenance des pays du Golfe avec
l’aide des Frères musulmans syriens.
- dans une interview réalisée le même
jour avec Reuters, le ministre US de la défense Leon Panetta a révélé
que des militants d’Al Qaida actifs en Syrie étaient munis de MANPAD.
Cet armement capable d’abattre des avions civils ou des hélicoptères
proviendraient selon lui de l’ancienne armée libyenne. En même temps,
des rumeurs circulent concernant l’arrivée dans les villes portuaires du
Sud de la Turquie (Iskenderun) des bateaux remplis d’armes en
provenance de Libye. A l’insu de l’armée turque ? Ces rumeurs sont
invérifiables car la TSK n’a procédé à aucune saisie d’armes. En
revanche, l’armée libanaise a effectué plusieurs prises, notamment la
cargaison du Lutfullah II battant pavillon sierra-léonais avec une
cargaison d’armes libyennes.
En 1998, l’armée turque avait menacé de
marcher sur Damas en raison de la présence du leader kurde Abdullah
Öcalan sur son territoire. En novembre 2011, elle a organisé des
exercices de mobilisation baptisés « Yildirim » (la foudre) à ses
frontières avec la Syrie. En mars dernier, un journal émirati rapportait
que l’armée turque se préparait à entrer de 15 km en territoire syrien
pour y créer une zone-tampon[1] Cette info avait auparavant été évoquée
par Reva Bhalla le directeur de l’agence privée de renseignement
américain STRATFOR.[2]
A l’aune de ces multiples indications
concernant le bellicisme turc, Ankara semble mal placée pour accuser
Damas de « menaces » et de « provocations ».
Finalement, que vaut une carcasse d’avion
face aux milliers de victimes syriennes tombées sous les balles et les
bombes des insurgés sponsorisés par Erdogan ?
Le 22 juin 2012
Bahar Kimyongür
Auteur de Syriana, la conquête continue, Ed. Investig’action et Couleur Livres, Charleroi, 2011
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