26 juillet 2010

Défis citoyens face à une république confisquée

par Omar Mestiri et Sihem Bensedrine


Frustrés de voir leurs aspirations profondes à une citoyenneté effective décues, les Tunisiennes et Tunisiens commémorent dans l’indifférence l’avènement d’une République réduite à une façade institutionnelle.
Aujourd’hui, ils vivent cette célébration folklorique comme une véritable humiliation. Le général Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans, a choisi cette commémoration pour faire annoncer une énième manipulation de la Constitution qui lui permet de s’y maintenir après 2014 en relevant l'âge maximum limité à 75 ans. Déjà en 2002, la réforme constitutionnelle avait aboli la limitation à trois mandats successifs, introduite lors de la réforme de 1988.

La trahison de Ben Ali


Durant ces 23 ans de pouvoir absolu, Ben Ali s’est appliqué à trahir ses engagements.En s’emparant du pouvoir le 7 novembre 1987, il prétendait «sauver» la République du naufrage d’une «monarchie présidentielle». Ces termes usités dans la rhétorique officielle font référence à la dérive qu’a connue la Tunisie sous le règne de son prédécesseur, Habib Bourguiba. Il avait proclamé alors solennellement : «L'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie, ni succession automatique à la tête de l'Etat desquelles le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse.»
Quand on parle de valeurs républicaines, on évoque des élections sincères par lesquelles s’exprime la volonté populaire ; la séparation des pouvoir et leur indépendance; Or dans la république de Ben Ali, l’exécutif a phagocyté tous les pouvoirs et vidé la constitution de sa fonction de loi fondamentale et des valeurs républicaines qu’elle fonde. Il a remplacé les institutions républicaines par une institution unique, la police.

Une constitution manipulée à souhait


Sous son régime, la constitution n’a jamais eu cette force morale qui dissuade ceux qui s’affranchissent de ses principes; pour ce régime, elle n'a jamais été la référence qui régit les institutions du pays de façon permanente. Bien au contraire, elle a pesé si peu dans la vie publique et subi des manipulations fréquentes au gré des desseins auxquels on l’adaptait ; Le conseil constitutionnel fut instauré par décret présidentiel avant d’être inscrit dans la Constitution. Aucune cour de justice n’a usé de ses pouvoirs pour rejeter la référence aux lois inconstitutionnelles.
Les pseudos élections que Ben Ali organise régulièrement pour donner un semblant de légitimité à son pouvoir absolu, sont devenues une sujet de moquerie internationale; lorsqu’on veut signifier des élections frauduleuses avec des scores peu convaincants, on parle d’élections « à la tunisienne » !

Un parlement docile


Le parlement est un modèle de chambre d’enregistrement; ses membres doivent leurs attributions davantage à la volonté du prince qu’aux suffrages des électeurs; en 53 ans d’existence, il n'a pas rejeté le moindre projet gouvernemental, pas plus qu'il n'a eu l’initiative d’une seule loi, ni entrepris de mener une seule enquête parlementaire. Une chambre haute est venue en 2002 parachever le décor parlementaire et élargir le champ de la concussion politique.
Une justice aux ordres

« Nous veillerons à la bonne application de la loi de manière à bannir toute iniquité et injustice. » avait promis Ben Ali dans cette fameuse « déclaration du 7 novembre ». Pourtant, jamais l’institution judiciaire n’a été autant éloignée du concept même de justice. Le juge Mokhtar Yahiaoui qui avait osé écrire en 2001 une lettre au président du Conseil de la magistrature, qui se trouve être Ben Ali lui-même, pour attirer son attention sur les graves dysfonctionnements de cette institution, a été révoqué de ses fonctions et il continue de subir à ce jour une répression policière et économique qui s’étend à l'ensemble de sa famille.
Quant à l’Association des magistrats tunisiens (AMT) qui avait de son côté osé adopter une motion lors de son congrès de 2004 où elle exige la mise en conformité du statut des magistrats avec les standards internationaux en matière d'indépendance du judiciaire, a subi un putsch et sa direction sanctionnée; une politique de harcèlements continus s’est abattue sur les membres de la direction légitime qui va de la privation de salaires aux agressions en passant par les mutations disciplinaires et les convocations fréquentes au ministère de tutelle. La méthode est rodée dans les dictatures soft comme dans l’ex-RDA; en punissant les plus actifs et ceux qui bénéficient d’une notoriété, on obtient le silence des autres ! Ce faisant, une justice aux ordres fonctionne et applique les sanctions décidées par l’exécutif aux récalcitrants qui osent contester l’ordre établi.

Une société rétive à l'absolutisme véreux


Il faut relever cependant que ce pouvoir n'a pas réussi à réduire au silence la société tunisienne. L’attachement des Tunisiens aux valeurs républicaines et leur rejet de l’absolutisme véreux n’a jamais été aussi prononcé, y compris parmi certains cercles du parti au pouvoir.
Cela devrait se refléter dans des déclarations de principes convergentes des différents acteurs (partis, associations, personnalités…) au delà des traditionnelles différences de ton entre «modérés» et «radicaux», à l’instar de ce qui s’était produit en 2002 avec l’organisation de conférences communes.
Il semblerait pourtant que, pas plus qu’elle ne l’était il y a huit ans, l’heure n’est pas aux proclamations solennelles, ne suscitant qu’un intérêt limité de l’opinion. Les Tunisiennes et les Tunisiens attendent de leurs élites des actes concrets et la mise en place d’une large mobilisation face au défi.
L’usurpation de notre république n’est pas une fatalité ; la reconquête est possible et les luttes de clans des proches de Ben Ali qui se disputent ce qui reste des biens publics augurent d'une fin de règne et constitue une opportunité pour faire émerger les alternatives salutaires. Il suffit de croire en la vitalité de la société civile et d’oser défier la peur.

25 juillet 2010

(sur elkhadra)

Aucun commentaire: