26 juillet 2010


IL EST TEMPS DE REGARDER DU COTE DE TEL AVIV...

Rannie Amiri, 23 juillet 2010



Au Moyen-Orient, les corrélations entre machination politique, espionnage et assassinat sont soit limpides comme de l’eau de roche, soit une bouteille à l’encre.



Quant à l’affaire toujours en suspend de l’assassinat en février 2005 du premier ministre libanais Rafic Hariri, les fondements de cette opération secrète, incluant le rôle d'Israël, ont à présent fait surface.



Les mesures énergiques prises contre les réseaux d'espionnage israéliens opérant au Liban ont abouti à plus de 70 arrestations dans les 18 derniers mois. Il y avait parmi elles quatre officiers de haut rang de l'armée libanaise et de la Sécurité générale. L'un d’eux espionnait pour le compte du Mossad depuis 1984.



Une percée importante survenue fin juin dans le cours de l'enquête a mené à l'arrestation de Charbel Qazzi, chef de transmission et de diffusion chez Alpha, l'un des deux fournisseurs de services de téléphonie mobile appartenant à l'État du Liban.



Selon le quotidien libanais As-Safir, Qazzi a avoué avoir installé des programmes informatiques et implanté des chips électroniques dans les émetteurs d’Alfa. Ceux-ci pouvaient être utilisés par les services secrets israéliens pour surveiller les communications, localiser et cibler les individus à assassiner, et déployer potentiellement des virus capables d'effacer les informations enregistrées lors des communications. La collaboration de Qazzi avec Israël daterait de 14 ans.



Le 12 juillet, une seconde arrestation a été opérée chez Alfa. Tarek al-Raba'a, un partenaire ingénieur de Qazzi, a été arrêté sur charges d'espionnage pour Israël et de préjudice à la sécurité nationale. Quelques jours plus tard, un troisième employé d’Alfa était arrêté de la même façon.



Les Israéliens ont refusé de commenter ces arrestations. Néanmoins, leur capacité évidente à pénétrer les domaines militaire et des télécommunications du Liban a secoué le pays et soulevé de toute urgence des inquiétudes pour la sécurité.



Qu'est-ce que tout cela a à voir avec l'assassinat de Rafic Hariri ?



En dehors des ramifications délétères évidentes du travail d’officiers de hauts rangs de l'armée libanaise pour Israël, la légitimité même du Tribunal spécial pour le Liban (STL) est désormais en question. Le STL est un machin ratifié par l'ONU, chargé de poursuivre les auteurs de l'assassinat de l'ancien premier ministre. Le 14 février 2005, une tonne d'explosif a éclaté près du convoi de M. Hariri qui passait, le tuant ainsi que 21 autres personnes.



On pense que le STL formulera son acte d'accusation sur l’affaire dès septembre, en s'appuyant lourdement pour le faire sur des enregistrements téléphoniques et des transmissions de téléphonie mobile.



Selon l'AFP, « Un rapport préliminaire de l'équipe d’enquêteurs des Nations unies a déclaré avoir recueilli comme preuve des données d’appels de téléphonie mobile effectués le jour de l'assassinat d’Hariri. »



The National a aussi signalé, « L'enquête internationale, qui pourrait présenter les actes d'accusation ou les conclusions dès septembre, d’après des articles non-vérifiés de médias, s’est servie d’enregistrements téléphoniques pour tirer ses conclusions sur le complot du meurtre d’Hariri, qui a été largement imputé à la Syrie et ses alliés libanais... »



Le 16 juillet, lors d’un discours télévisé, le secrétaire général du Hezbollah, Sayyid Hassan Nasrallah, a spéculé que le STL utilisait des informations glanées dans des communications falsifiées par les Israéliens pour impliquer faussement le groupe dans l’assassinat du premier ministre :

« Dans leur analyse, quelques-uns comptent sur les témoignages de l'acte d'accusation (du STL), dont certains se sont avérés être des faux, et sur les réseaux de télécommunications qui ont été infiltrés par des espions capables de changer et manipuler les données.



Avant la guerre (de 2006), des espions ont donné des informations importantes à l'ennemi israélien, et sur la base de ces données, Israël a bombardé certains immeubles, maisons, usines et institutions. Beaucoup de martyrs sont morts et de nombreux autres ont été blessés. Ces espions sont complices des massacres, des crimes, des menaces et du déplacement [de l’exode sur les routes des gens mitraillés par les chasseurs israéliens, ndt]. »



Nasrallah a qualifié la manipulation du STL de « projet israélien » destiné à « créer une vague de protestations (uproar) au Liban. »



À vrai dire, le Liban a connu un avant-goût de cela en mai 2008. À l’apogée d'une impasse de 18 mois lors de la formation du gouvernement d'unité nationale du premier ministre Fouad Siniora, la décision de son cabinet de déclarer unilatéralement illégal le système de téléphonie fixe du Hezbollah a poussé le pays au bord de la guerre civile.



Reconnaissant l’importance de sécuriser leurs lignes de communication dans la lutte contre l’invasion israélienne de juillet 2006, et soupçonnant que les télécommunications publiques étaient peut-être perverties, le Hezbollah a résisté au projet de Siniora de démanteler son réseau. Dans un mouvement rapide et uni, ses hommes ont avancé à l'ouest de Beyrouth et mis rapidement un terme au plan du gouvernement. Deux ans plus tard, leurs soupçons se montrent justifiés.



Michel Aoun, député de l'opposition et patron du Mouvement patriotique libre, avait déjà informé Nasrallah que le STL inculperait probablement les membres « incontrôlés » du Hezbollah pour avoir exploité « ...la tension libano-libanaise et libano-palestinienne, et la guerre israélienne contre le Liban. »



Donnant du crédit à Nasrallah et aux assertions d’Aoun, le commandant en chef des Forces de défense israéliennes Gabi Ashkenazi, a prédit « avec beaucoup d’espoirs, » que la situation se détériorerait au Liban en septembre, après que le STL inculpe le Hezbollah pour l'assassinat d’Hariri.



La joyeuse déposition prémonitoire d’Ashkenazi devant la commission des Affaires étrangères de la Knesset, trahit ce qu’Israël espère des retombées des conclusions du STL, qui seront : fomentation de guerre civile et de discorde au sein des groupes sectaires du Liban, divisés en général en factions pro et anti-syriennes. Ashkenazi anticipe cela car il connaît bien sûr l’accès libre d'Israël aux enregistrements téléphoniques critiques, qui permettra de monter un coup contre le Hezbollah pour le faire accuser du crime.



Les argousins et les agents secrets d'Israël au Liban et leur infiltration du réseau de télécommunication ont été éventés. Le STL devrait tout au moins reconnaître que la preuve de la présumée implication du Hezbollah dans la mort d’Hariri (un groupe qui jouissait historiquement de bonnes relations avec le premier ministre défunt) est entièrement polluée et vraisemblablement falsifiée.



L'arrestation de Qazzi et al-Raba'a lors du démantèlement du réseaux d'espionnage israélien, devraient inciter le STL à porter son attention vers le seul acteur régional qui a bénéficié de l'assassinat de Rafic Hariri ; celui qui continuera tant que son dessein de compromettre le Hezbollah ne sera pas réalisé.


Il est temps de regarder vers Tel-Aviv.

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