26 juillet 2010

Les secrets de fabrication des «carnets de guerre» de WikiLeaks


Par LIBÉRATION.FR

Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, le 26 juillet 2010

Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, le 26 juillet 2010 (REUTERS/Andrew Winning)

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La guerre ordinaire en Afghanistan. Embuscades, bombes artisanales, échanges de tirs entre soldats «amis», corruption... la publication par le site WikiLeaks et trois titres mondialement connus (New York Times, Guardian et Spiegel) des «carnets de guerre» du conflit afghan passionne. Retour sur les secrets de fabrication de ce scoop à grande échelle.

L'ampleur de la fuite

Pour de nombreux observateurs, il s'agit de la plus grande fuite de l'histoire militaire, plus importante encore que l'affaire des «papiers du Pentagone» en 1971. Les autorités américaines savaient d'ailleurs qu'elles avaient été victimes d'une fuite majeure.

Au total, 92.201 fichiers, datant de janvier 2004 à décembre 2009, ont été mis en ligne sur WikiLeaks. Ils proviennent notamment de l'ambassade américaine à Kaboul. Ces rapports de routine sont «utilisés par des officiers du Pentagone et par les troupes sur le terrain». Pour le Guardian, ils soulignent le «fossé entre un compte-rendu soigneusement policé pour les opinions publiques et la réalité bien plus compliquée du terrain»

Le mode opératoire

WikiLeaks aurait-il atteint l'âge de raison? C'est ce que semble penser Blake Hounshell, dans un billet traduit par le blog Déclassifiés. Le site, fondé en 2006, se veut «la première agence de renseignement du peuple». Il avait déjà défrayé la chronique en mettant en ligne début avril la vidéo d'une bavure de l'armée américaine en Irak.

Critiqué pour sa propension à publier des informations «brutes» et manquant de mise en perspective, WikiLeaks a cette fois travaillé de concert avec trois grand journaux, de trois pays différents, engagés dans la guerre en Afghanistan. Le site prend contact, il y a quelques semaines, avec les rédactions concernées et leur fournit l'intégralité des données à sa disposition.

Les journalistes du New York Times ont ainsi pu enquêter un mois sur le dossier, vérifier les informations, démêler l'essentiel de l'anecdotique. L'accord avec WikiLeaks prévoit aussi une publication simultanée. Elle a lieu ce lundi. Chacune des rédactions a pu effectuer un travail de mise en valeur des données, souvent arides.

Cette stratégie permet à WikiLeaks de jouer sur deux tableaux: elle donne d'abord un retentissement bien plus important à son travail, mais lui permet également de se «protéger» des remontrances de l'administration américaine. Au final, note le Washington Post, on perçoit une «puissance et une sophistication grandissante du site». Celui-ci, rappelons-le, était au bord du dépôt de bilan il y a quelques mois.

Quid des informations sensibles?

WikiLeaks assure avoir pris toutes les précautions pour ne pas mettre en danger de vies humaines. Les noms de personnes dont l'identité devait être protégée ont été effacés et près de 15.000 documents n'ont pas été mis en ligne.

De même, seule une partie des 92.000 fichiers a été reprise par les trois journaux. Quand des éléments mettaient en danger la «sécurité nationale», ils n'ont été publiés que partiellement. Si les données sont classées au rang de «secret», elles ont un «niveau de sécurité relativement faible», relève le Guardian.

Quelles réactions?

WikiLeaks est un «ennemi» bien connu de l'administration américaine. Dès 2008, la CIA écrivait: «WikiLeaks représente une potentielle menace pour l'armée américaine [...], ses informations pourraient être de grande valeur pour les insurgés étrangers et groupes terroristes planifiant des attaques contre le pays et ses ressortissants». Quant au soldat responsable de la fuite sur la bavure de 2007 en Irak, il a déjà été inculpé.

Sans confirmer ni démentir la véracité des documents, les Etats-Unis n'ont pas manqué de «condamner fermement la publication d'informations confidentielles par des personnes et des organisations qui pourraient mettre en péril la vie d'Américains et de nos alliés, et menacer notre sécurité nationale». L'ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis a lui jugé «irresponsable» la publication des documents confidentiels, les qualifiant même de «rumeurs».

De son côté, Julian Assange, fondateur de WikiLeaks et militant contre la guerre en Afghanistan, a affirmé que «le bon journalisme est controversé par nature». L'homme, qui vit quasi-caché et à qui ses avocats recommandent de ne pas se rendre aux Etats-Unis, invoque l'intérêt du public pour justifier la publication des fichiers: «Ils montrent non seulement les événements graves mais aussi le côté sordide de la guerre, de la mort d'un enfant aux opérations majeures qui tuent des centaines de personnes.»

«Il revient à un tribunal de dire clairement si on est en présence ou non d'un crime. Cela dit, à première vue, il semble qu'il y ait des preuves de crimes de guerre dans ces documents», a-t-il déclaré.

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onde 26/07/2010 à 17h54

Afghanistan: «Les civils et une solution politique ne sont pas la priorité des Américains»


Recuelli par Sylvain Mouillard

(REUTERS/Nikola Solic)

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Mariam Abou-Zahab, chercheuse rattachée au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri), analyse la divulgation par le site Wikileaks de plus de 90.000 fichiers classés sur la guerre en Afghanistan.

Quels éléments ont retenu votre attention dans la gigantesque quantité de données révélées par le site Wikileaks?

Pour ceux qui suivent le conflit en Afghanistan, on n'apprend pas grand chose dans ces «carnets de guerre». Ils viennent confirmer beaucoup d'éléments sur les pertes civiles, et nous révèlent de nouveaux incidents dont on n'avait jamais fait état. Mais beaucoup de cas restent inconnus. Il se passe des choses au fin fond de l'Afghanistan qui ne remontent même pas. Selon les données réunies par le Guardian , au moins 195 civils ont été tués par les soldats de la coalition, en majorité américains. C'est un chiffre sous-estimé.

Les médias, notamment français et américains, mettent en avant le rôle du Pakistan pour ne pas parler du reste (l'allié de Washington est accusé d'autoriser des membres de ses services de renseignement à traiter directement avec les talibans, ndlr). Il est très facile de dire que c'est de la faute des Pakistanais, mais il y a beaucoup d'intox là-dedans. Selon cette version, l'insurrection serait menée de l'extérieur. L'objectif est de justifier les attaques des Américains au Pakistan, notamment avec les drones. Il faut noter que celles-ci sont deux fois plus nombreuses sous Obama que sous Bush.

Je reste donc prudente sur ce qui relève du renseignement. En revanche, il y a des éléments factuels que l'on ne peut pas nier.

Lesquels vous semblent les plus déterminants pour expliquer les difficultés de la coalition en Afghanistan?

D'abord, la question des bombardements aériens. Les troupes y ont recours dès qu'elles sont en difficulté. Le problème, c'est qu'on ne sait pas très bien où les bombes vont tomber. Ce scénario s'est d'ailleurs encore produit dans le Helmand vendredi (au moins 45 civils auraient été tués dans une attaque à la roquette menée depuis un hélicoptère, ndlr). Dans ce genre de cas, la coalition dit au début: «on ne sait pas». Puis, elle détaille et affirme avoir «tué des talibans».

Mais désormais, les journalistes afghans se rendent sur place et peuvent recueillir des témoignages circonstanciés. Cela entraîne une protestation du gouvernement d'Hamid Karzaï. Une enquête est déclenchée, mais elle traîne, et la coalition conclut finalement que les pertes civiles sont de la faute des talibans. Parfois, la coalition propose de l'argent comme dédommagement. Cela mine les relations avec les civils, car c'est reconnaître qu'il y a bien eu bavure.

Les raids de nuit des forces spéciales, notamment ceux de la Task Force 373 (lire l'article du Guardian sur le sujet), posent aussi problème. Leur mission est de tuer - même pas capturer - insurgés, talibans, ou membres d'Al-Qaeda. Ces commandos débarquent de nuit dans les maisons. Mais ils se trompent parfois, car les renseignements ne sont pas toujours fiables. Il peut très bien s'agir d'un règlement de comptes entre voisins. Pour les Afghans, ce genre d'opération est culturellement insupportable. Le traumatisme et l'humiliation provoquent des désirs de vengeance.

Il y avait pourtant eu un changement de stratégie restreignant les règles d'engagement pour les soldats de la coalition, non?

Entre ce qui se décide au niveau du commandement et le terrain, ça ne suit pas forcément. Dans le sud du pays, les Américains et même les Canadiens sont très frustrés de ne pas pouvoir ouvrir le feu quand on leur tire dessus. Et désormais, la priorité de Petraeus (le nouveau commandant en chef de la coalition en Afghanistan, ndlr) semble être de gagner la guerre...

Quel impact ces fuites peuvent-elles avoir?

La sortie des ces informations risque d'ennuyer les Américains, qui ont déjà des relations délicates avec le Pakistan. Cela arrive à un moment où les opinions publiques sont de plus en plus hostiles à cette guerre, en tout cas dans les pays où il y a un débat. Aux Etats-Unis, on s'interroge de plus en plus sur le coût de ce conflit, et il y a fort à parier que certains vont se dire: «voilà une raison de plus pour s'en aller».

D'autant que l'on se rend bien compte que l'armée et la police afghanes ne sont pas du tout au point, et qu'elles sont loin d'être fiables. Aujourd'hui, les Américains cherchent une porte de sortie qui ne dit pas son nom. L'«afghanisation» du conflit, c'est un terme différent, mais ça n'a rien de nouveau: cela veut dire réarmer des milices. On se rend compte que la protection des civils et la recherche de solutions politiques sont loin d'être la priorité des Américains.

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Wikileaks évoque des "preuves de crimes de guerre" dans les rapports sur l'Afghanistan

A Kandahar, le 8 mai 2006, des soldats canadiens surveillent des prisonniers suspectés d'être des talibans.
AFP/JOHN D MCHUGH
A Kandahar, le 8 mai 2006, des soldats canadiens surveillent des prisonniers suspectés d'être des talibans.

Le fondateur et porte-parole de Wikileaks, Julian Assange, a estimé lundi lors d'une conférence de presse que les dizaines de milliers de rapports de soldats en Afghanistan contenaient des "preuves de crimes de guerre". Le site Wikileaks, spécialisé dans la publication anonyme de documents confidentiels, a publié dimanche soir, en collaboration avec le Guardian, le New York Times et le Spiegel, 90 000 rapports des forces alliées en Afghanistan.


Patrouille de soldats américains dans la vallée de l'Arghandab, près de Kandahar 'Afghanistan, lundi 26 juillet.

Allant des opérations les plus banales aux engagements les plus meurtriers, les rapports montrent la multiplication des attentats utilisant des engins explosifs rudimentaires, les erreurs qui conduisent à des tirs contre des civils ou des alliés, et les rapports conflictuels entre les services de renseignement américains et leurs homologues pakistanais.

Lors d'une conférence de presse à Londres, Julian Assange a estimé que la publication de ces documents était "comparable à l'ouverture de la Stasi", l'ancienne police politique de l'Allemagne de l'Est. Il a également appelé à un contrôle général de l'action des forces armées, estimant qu'il était impossible de laisser l'armée faire seule la lumière sur les actions. "Ce serait comme de laisser un policier enquêter sur un meurtre dont il est le principal suspect", a estimé M. Assange.

Les documents publiés ce lundi contiennent des informations qui n'avaient jamais été rendues publiques, notamment à propos d'incidents ayant abouti à la mort de civils. La Maison Blanche a vivement critiqué la publication de ces textes, estimant qu'elle "met les vies d'Américains et d'alliés en danger". Les rapports publiés portent sur la période 2004-2009, soit avant le lancement d'une nouvelle stratégie demandée par Barack Obama en décembre 2009.

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Des documents révèlent que les services secrets pakistanais aideraient les talibans afghans


Les services secrets pakistanais soutiendraient secrètement les talibans afghans, avec lesquels ils organiseraient "des réseaux de groupes d'insurgés qui combattent les soldats américains en Afghanistan".
AFP/JOHN D MCHUGH

Les services secrets pakistanais soutiendraient secrètement les talibans afghans, avec lesquels ils organiseraient "des réseaux de groupes d'insurgés qui combattent les soldats américains en Afghanistan".

Des documents militaires américains confidentiels, publiés par le site Wikileaks, révèlent que les services secrets pakistanais soutiendraient secrètement les talibans afghans, avec lesquels ils organiseraient, selon le New York Times, "des réseaux de groupes d'insurgés qui combattent les soldats américains en Afghanistan, et même montent des complots visant à assassiner des dirigeants afghans". Une révélation très embarrassante pour les Etats-Unis, dont le Pakistan est censé être l'allié dans cette guerre d'Afghanistan engagée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.


Selon le New York Times, ces documents explosifs "laissent entendre que le Pakistan, officiellement un allié des Etats-Unis, permet à des membres de son service de renseignement de traiter directement avec les talibans" lors de "sessions de stratégie secrète". Le quotidien britannique The Guardian ainsi que l'hebdomadaire allemand Der Spiegel ont également reçu il y a plusieurs semaines les documents obtenus par Wikileaks, un site spécialisé dans la publication anonyme de documents confidentiels.

La source de la fuite n'a pas été identifiée. Ces journaux ont accepté de publier ces informations, provenant de quatre-vingt-onze mille documents "utilisés par des officiers du Pentagone et par les troupes sur le terrain", parce qu'elles allaient être diffusées sur Internet.

"UNE GUERRE EN ÉTAT D'ÉCHEC"

"La plupart des rapports sont des rapports de routine, mêmes banals, mais beaucoup ont un caractère percutant sur une guerre qui dure depuis près de neuf ans", relève le New York Times.
Le Guardian affirme quant à lui que les documents, qui révèlent le nombre croissant de civils tués par les forces de la coalition et les talibans, "donnent une image dévastatrice de la guerre en état d'échec en Afghanistan".

Dès dimanche, la Maison Blanche s'est empressée de "condamner fermement" la publication de ces "informations confidentielles par des personnes et des organisations qui pourraient mettre en péril la vie d'Américains et de [leurs] alliés, et menacer [la] sécurité nationale", selon les termes d'un communiqué du conseiller à la sécurité nationale du président Barack Obama, le général James Jones.

"Wikileaks n'a pas essayé de nous contacter à propos de ces documents, les Etats-Unis n'ayant appris que par la presse la diffusion de ces documents", précise James Jones. "Ces fuites irresponsables n'auront pas de conséquence sur notre engagement en cours, visant à renforcer notre alliance avec l'Afghanistan et le Pakistan ; pour battre nos ennemis communs ; et soutenir les aspirations des Afghans et des Pakistanais", assure-t-il.

CHANGEMENT DE STRATÉGIE

Le général Jones, qui n'a ni confirmé ni démenti la véracité des documents, a souligné qu'ils couvraient "une période allant de janvier 2004 à décembre 2009" et que le 1er décembre 2009, le président Barack Obama avait "annoncé une nouvelle stratégie" en Afghanistan.

L'ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis a lui aussi jugé "irresponsable" la publication des documents et confirmé que son pays était pleinement engagé dans la lutte contre les insurgés islamistes. M. Husain Haqqani a estimé qu'ils contenaient des informations inexactes, ajoutant que "les Etats-Unis, l'Afghanistan et le Pakistan sont des partenaires stratégiques et tentent ensemble de battre militairement et politiquement Al-Qaida et ses alliés talibans".

Sous couvert de l'anonymat, un responsable américain a estimé qu'il n'était pas "surprenant qu'il y ait des inquiétudes concernant l'ISI" (services de renseignement pakistanais). C'est pour cette raison notamment, a-t-il ajouté, "que le président a ordonné un réexamen de la politique [menée en Afghanistan] et un changement de stratégie".


(notre gratitude à tous les amis d'Elkhadra)

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