05 mai 2011

Réflexions sur l’annonce officielle de la mort d’Oussama Ben Laden
 
par Thierry Meyssan*

L’annonce officielle de la mort d’Oussama Ben Laden donne lieu à toutes sortes de polémiques. Elles focalisent l’attention sur des détails de la narration pour mieux masquer les décisions stratégiques de Washington. Pour Thierry Meyssan, cette annonce était devenue indispensable depuis que les hommes de Ben Laden ont été incorporés aux opérations de l’OTAN en Libye et à celles de la CIA en Syrie. Seule la disparition de leur ancien chef virtuel permet de leur restituer le label de « combattants de la liberté » dont ils jouissaient à l’époque soviétique.










JPEG - 18.1 ko
Pour annoncer la mort officielle d’Oussama Ben Laden, « Time Magazine » reprend le concept de sa couverture annonçant la mort d’Adolf Hitler : un visage barré de rouge (édition du 7 mai 1945). Le même concept avait été utilisé pour la mort de Saddam Hussein (édition du 21 avril 2003) et celle d’Abou Moussab al-Zakaoui (édition du 19 juin 2006).
Le président Barack Obama, a annoncé solennellement la mort d’Oussama Ben Laden, le 1er mai 2011. Avant d’analyser la signification symbolique de cette annonce, il convient de revenir à la réalité.

Préambule

En 2001, Oussama Ben Laden était gravement malade des reins et placé sous dialyse. Il devait suivre des soins en milieu hospitalier au moins un jour sur deux. À l’été 2001, il a été accepté à l’hôpital américain de Dubaï (Émirats). Début septembre 2001, il a été transféré à l’hôpital militaire de Rawalpindi (Pakistan). Quelques jours après les attentats, il a accordé un entretien dans un lieu tenu secret à un journaliste d’Al-Jazeera. En décembre 2001, sa famille a annoncé son décès et ses amis ont assisté à ses funérailles. Cependant, le département US de la Défense a considéré que cette nouvelle était un leurre visant à lui permettre d’échapper à la justice états-unienne. Pourtant, de 2001 à 2011, aucun témoin digne de foi n’a rencontré Oussama Ben Laden. Durant cette période, des cassettes vidéo et audio attribuées à Oussama Ben Laden ont été diffusées, soit par le département de la Défense, soit par des médias (principalement Al-Jazeera), soit par les sociétés privées de renseignement (IntelCenter, SITE Intelligence Group). La plupart de ces enregistrements ont été authentifiés par la CIA selon une méthodologie non précisée. Toutefois la totalité de ces enregistrements a été invalidée par la communauté des experts en intelligence artificielle, y compris le Dalle Molle Institute qui est la référence mondiale en matière d’expertise judiciaire. En d’autres termes, Oussama Ben Laden est bel et bien mort en décembre 2001. Ce dont on nous parle aujourd’hui relève du mythe.

L’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden

L’annonce faite par Barack Obama ne donnait pas de détail sur l’opération. « Aujourd’hui, sous ma direction, les États-Unis ont lancé une opération ciblée contre ce complexe à Abbottabad, au Pakistan. Une petite équipe d’Américains a mené cette opération avec un courage et une habileté extraordinaires. Aucun Américain n’a été blessé. Ils ont pris soin d’éviter qu’il n’y ait de victimes civiles. Après un échange de coups de feu, ils ont tué Oussama Ben Laden et ont récupéré son corps » [1]. Le message présidentiel était en trois points : - Premièrement, « En des nuits telles que celle-ci, nous pouvons dire aux familles qui ont perdu des êtres chers à cause du terrorisme d’Al-Qaïda : justice est faite » : c’est-à-dire le dossier est clos, il n’y aura jamais de procès qui puisse établir la vérité sur les attentats attribués à Oussama Ben Laden, dont ceux du 11 septembre 2001. - Deuxièmement, les États-Unis ont pu procéder à cette exécution extra-judiciaire, non pas parce qu’ils sont les plus forts, mais parce qu’ils ont été choisis par Dieu pour appliquer Sa justice : « Rappelons-nous que nous pouvons accomplir ces choses non pas seulement pour des raisons de richesse ou de puissance, mais à cause de ce que nous sommes : une seule nation bénie de Dieu, indivisible et vouée à la liberté et à la justice pour tous » (traduction officielle). - Troisièmement, tous les gouvernements de la planète —et prioritairement ceux des États musulmans— sont sommés d’applaudir cette exécution extra-judiciaire qui marque le triomphe de l’Empire du Bien sur l’incarnation du Mal : « Sa fin devrait être saluée par tous ceux qui croient en la paix et en la dignité humaine ».

Les réactions à l’annonce

Sur Fox News, Geraldo Riveira s’est écrié : «  Ben Laden est mort ! Confirmé ! Confirmé ! Ben Laden est mort (…) Quelle belle journée ! Quel grand jour pour tous ! C’est la plus belle nuit de ma carrière ! (…) L’enfoiré est mort ! Le sauvage qui nous a tant blessés. Et c’est un véritable honneur, une bénédiction pour moi d’être à ce bureau pour ce moment ». La populace est alors descendue dans les rues pour faire la fête aux cris de « U-S-A !, U-S-A ! ». De leurs côtés, la quasi–totalité des chefs d’État et de gouvernement ont fait allégeance à leur suzerain, comme cela était exigé d’eux. Intervenant à la télévision, David Cameron s’exclame : « Je voudrais féliciter les forces US qui ont conduit cette action. Je voudrais remercier le président Obama de l’avoir ordonnée » [2]. Benjamin Netanyahu déclare également à la télévision : « C’est un jour historique pour les États-Unis d’Amérique et pour tous les pays engagés dans la bataille contre le terrorisme. Je tiens à féliciter le président Obama et le peuple américain. Je tiens à féliciter les soldats de l’Amérique, et son personnel du renseignement pour une réalisation vraiment remarquable. Il a fallu dix ans pour traquer Oussama ben Laden. Il a fallu dix ans pour apporter la justice à ses victimes. Mais la bataille contre le terrorisme est longue, impitoyable et résolue. Il s’agit d’un jour de la victoire - une victoire pour la justice, pour la liberté et pour notre civilisation commune. » [3] Nicolas Sarkozy publie un communiqué : « L’annonce par le Président Obama de la mort d’Oussama Ben Laden à la suite d’une remarquable opération de commando américaine au Pakistan, est un événement majeur de la lutte mondiale contre le terrorisme. La France salue la ténacité des États-Unis qui le recherchaient depuis 10 ans. Principal responsable des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden était le promoteur d’une idéologie de haine et le chef d’une organisation terroriste qui a fait des milliers de victimes dans le monde entier, notamment dans les pays musulmans. Pour ces victimes, justice est faite. Ce matin, la France pense à elles et à leurs familles. » Berlin publie un communiqué : « Avec l’action commando contre Ossama Ben Laden et son exécution, l’armée des Etats-Unis a porté un coup décisif à Al-Qaïda qui a été couronné de succès. La chancelière fédérale Angela Merkel a exprimé au président Obama son soulagement à l’annonce de cette nouvelle. La nuit dernière, les forces de la paix ont emporté une victoire. » [4] Etc.

Pourquoi cesser de faire vivre Oussama Ben Laden ?

La question politique principale est de savoir pourquoi les États-Unis ont décidé de cesser de faire vivre le personnage mythique qu’ils avaient créé —l’homme étant quand à lui mort depuis une décennie— ? Simplement parce que les combattants de Ben Laden sont mobilisés depuis plusieurs mois dans des opérations où ils ne doivent plus apparaître comme des ennemis des États-Unis, mais au contraire comme des alliés. Il n’y avait pas d’autre moyen de justifier cet apparent revirement que d’éliminer leur commandant virtuel. Sans aucun doute, dans les prochains mois, les chaînes de télévisions internationales nous expliqueront que les jihadistes qui combattaient jadis aux côtés de la CIA en Afghanistan, en Bosnie et en Tchétchénie contre Soviétiques et Russes, se sont égarés dans le terrorisme international ; que leurs yeux se sont ouverts à la mort de Ben Laden, et qu’ils peuvent poursuivre sereins leur combat aux côtés de « l’Amérique », en Libye, en Syrie, au Yémen et à Bahreïn. Il ne sera donc plus nécessaire d’expliquer le dessous des cartes à des gens un peu primaires comme ce brave général Carter Ham. On se souvient du désarroi du commandant en chef de l’US AfriCom, aux premiers jours de l’opération « Aube de l’Odyssée » : il avait refusé de livrer des armes aux rebelles libyens parce que nombre d’entre eux étaient des membres d’al-Qaeda revenant d’Irak. Son autorité avait immédiatement été transférée à l’OTAN, habituée à gérer les opérations secrètes incluant des combattants de Ben Laden. Dans la contre-révolution en cours au Proche-Orient, les États-Unis et Israël rejouent la carte de tous les empires coloniaux avant eux : s’appuyer sur l’intégrisme religieux pour mater le nationalisme. La seule nouveauté du dispositif est qu’ils veulent à la fois utiliser les combattants wahhabites de Ben Laden comme bras armé et des takfiristes recrutés au sein des Frères musulmans comme vitrine politique. Cette fusion sera complexe, notamment pour inclure la branche palestinienne des Frères musulmans, le Hamas, qui —pour le moment— ne l’entend pas de cette oreille. Ils ont confié le leadership de ce nouveau mouvement au « consultant religieux » d’Al-Jazeera, le cheikh Youssef al-Qardaoui, qui appelle tous les jours sur les ondes au renversement de Mouammar Khadafi et de Bachar el-Assad.
JPEG - 19.1 ko
Le cheikh Youssef al-Qardawi lors de la manifestation de la victoire, le 18 février 2011 sur la place Tahrir du Caire. Partisan d’une sorte d’alliance du sabre et du goupillon, il préconise un pacte entre les Frères musulmans et l’armée, et une application obscurantiste de la Sharia et de ses châtiments.
Dans cette perspective, ils ont organisé le retour d’Al-Qardaoui dans son pays natal. Lors de la manifestation de la victoire, le 18 février dernier, ils ont interdit de podium les héros de la place Tahrir et lui ont permis de s’exprimer à leur place devant une foule de près de 2 millions de personnes. Le prêcheur a alors eu tout le loisir de détourner la révolution égyptienne pour l’éloigner du nationalisme nassérien et de l’anti-sionisme khomeiniste. Sous son influence, les Égyptiens ont renoncé à élire une assemblée constituante et ont au contraire amendé le texte fondamental pour proclamer l’islam religion d’État.

Réorganisation à Washington

JPEG - 22.4 ko
Dans Rambo III (1988), l’icône de l’impérialisme américain va sauver le colonel Trautman prisonnier des tortionnaires soviétiques en Afghanistan. Il fait la connaissance des moujahidines de Ben Laden et fraternise avec eux dans l’anticommunisme.
Jadis les compagnons de Ben Laden étaient des « combattants de la liberté  ». C’était à l’époque où la Fondation Héritage organisait des collectes de fonds pour soutenir le jihad du milliardaire anti-communiste, l’époque où —à Hollywood— Rambo aidait Al-Qaeda à vaincre l’Armée rouge.
Aujourd’hui, ils sont à nouveaux des « combattants de la liberté » lorsqu’ils indiquent à l’OTAN les cibles à bombarder sur le sol libyen, ou lorsqu’ils tirent au hasard sur la foule et les forces de l’ordre en Syrie.
Pour coordonner leur travail et celui des forces US, des changements de fonds ont déjà eu lieu à Riyad. Le clan des Saidairis a imposé le retour du prince Bandar et l’envoi des « Aigles de Nayef » pour massacrer les manifestants de Bahreïn et raser les mosquées chiites. Mais les changements d’organigrammes les plus importants sont en cours à Washington.
Le général David Petraeus, qui commandait le CentCom et utilisait les réseaux Ben Laden pour faire assassiner les opposants irakiens, est nommé directeur de la CIA. Il faut en conclure que l’administration Obama souhaite réduire son engagement militaire au profit des actions secrètes.
Léon Panetta, le directeur sortant de la CIA, devient quand à lui secrétaire à la Défense ; un poste réservé aux anciens membres de la Commission Baker-Hamilton, dont il faisait effectivement partie avec son ami Robert Gates. Il sera chargé de limiter les engagements militaires au sol, hormis ceux des forces spéciales.
L’annonce officielle, avec près d’une décennie de retard, de la mort d’Oussama Ben Laden conclut un cycle et en ouvre un nouveau. Son personnage avait été le fer de lance de l’action secrète contre l’influence soviétique, puis russe, avant de devenir le propagandiste du choc des civilisations le 11-Septembre et d’être utilisé pour éliminer la résistance en Irak. Usé, il n’était pas recyclable alors que ses combattants l’étaient. Ils seront désormais affectés au détournement du « Printemps arabe » et à la lutte contre l’Axe de la Résistance (Iran, Syrie, Hezbollah, Hamas).



 Thierry Meyssan
Analyste politique français, président-fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace. Il publie des chroniques de politique étrangère dans la presse arabe et russe. Dernier ouvrage publié : L’Effroyable imposture 2, éd. JP Bertand (2007).



Aucun commentaire: