5 ans de résistance populaire : Manifestation du 19 février 2010
Lettre de prison d’Abdallah Abu Rahma
dimanche 21 février 2010 - 07h:16
Abdallah Abu Rahmah
Chers amis et sympathisants,
Cela fait maintenant deux mois que l’on m’a menotté, bandé les yeux et emmené de chez moi. La nouvelle d’aujourd’hui m’est parvenue à la prison militaire d’Ofer, que le mur de l’Apartheid sur les terres de Bil’in sera finalement déplacé et que les travaux du nouveau tracé ont commencé.
Cela rendra la moitié des terres qui ont été volées à notre village. Pour ceux d’entre nous, emprisonnés à Ofer pour notre participation aux manifestations contre le mur, cette victoire rend la douleur d’être enfermé plus facile à supporter.
Après avoir résisté activement chaque semaine contre le vol de nos terres par le mur de l’Apartheid et contre la colonisation israélienne, nous aspirons à être debout aux côtés de nos frères et sœurs à l’occasion de cette victoire et du cinquième anniversaire de notre lutte.
Ofer est une base militaire israélienne dans les territoires occupés, qui sert de prison et de tribunal militaire. La prison est faite de tentes délimitées par des barbelés et une clôture électrique. Chaque unité comprend quatre tentes, et chaque tente comprend 22 prisonniers. Or en hiver, le vent et la pluie s’engouffrent par les fissures et nous n’avons pas assez de couvertures, de vêtements et autres nécessités de base.
L’alimentation est une question cruciale ici et il n’y en a pas suffisamment. Nous survivons en achetant des produits à la cantine de la prison, que nous préparons dans nos tentes. Nous n’avons qu’un seul petit plat chaud, et c’est aussi notre seule source de chaleur. Certaines familles peuvent mettre de l’argent sur un compte pour acheter de la nourriture, mais beaucoup ne peuvent pas se le permettre.
L’aspect positif est que j’ai appris à cuisiner ! Ce soir, j’ai fait des falafels et des bonbons pour célébrer la nouvelle de notre victoire. Je n’ai qu’une envie, c’est de retourner dans ma maison et de cuisiner pour ma femme et mes enfants !
Quand j’ai été arrêté, j’étais en sandales et à ce jour, ma famille a été incapable d’obtenir la permission de me fournir une paire de chaussures. J’ai finalement reçu ma montre après des demandes répétées. Pour moi c’est un moyen essentiel de garder le sens des réalités, il m’était insupportable de ne pas voir le temps passer. Quand je l’ai reçue, je me sentais si heureux, comme un enfant qui reçoit sa première montre. Je peux à peine imaginer ce que ce sera le jour où je recevrai une paire de chaussures.
En raison de notre incarcération, l’armée considère nos familles comme une « menace » pour la sécurité. Il est très difficile pour nos épouses, nos enfants, de recevoir des droits de visite. Mon ami Adeeb Abu Rahma, lui aussi prisonnier politique de Bil’in, ne peut pas recevoir de visites de sa femme et d’une de ses filles. Même sa mère, une femme octogénaire qui est actuellement en mauvaise santé, est considérée comme une menace pour la sécurité ! Il a peur de ne plus la voir avant qu’elle ne meure.
Je suis un enseignant et avant mon arrestation, j’enseignais dans une école privée de Birzeit et je m’occupais également d’un élevage de poulets. Ma famille a dû vendre la ferme après mon arrestation. Je ne sais pas si je vais récupérer mon poste à l’école quand je serai libéré. Les neuf membres de la famille d’Adeeb se retrouvent sans ressources, comme beaucoup d’autres familles. Nous ne sommes plus en mesure de prendre soin de nos proches qui ont besoin de nous, c’est la chose la plus insupportable quand on est ici.
Le soutien que je reçois de ma famille et de mes amis m’aide à tenir. Je suis reconnaissant auprès des dirigeants palestiniens qui ont pris contact avec ma famille, ainsi que les diplomates de l’Union européenne et des militants israéliens qui ont exprimé leur soutien au cours des audiences. Les relations que nous avons construites avec ces militants, sont allées au-delà de simples relations de partenariat ou d’amitié, nous sommes frères et sœurs dans cette lutte. Vous êtes une source d’inspiration dans votre solidarité sans relâche. Vous nous avez soutenus durant toutes les manifestations et les audiences du tribunal, mais lors d’occasions heureuses et douloureuses. Être en prison m’a montré combien j’avais de vrais amis, je vous en suis si reconnaissant à vous tous.
Des confins de mon emprisonnement, il me devient aussi évident que notre lutte est beaucoup plus importante et va au delà de la justice pour Bil’in ou même de tout la Palestine. Nous sommes engagés dans une lutte internationale contre l’oppression.
Je sais que ceci est vrai quand je pense à vous tous de partout dans le monde qui avez rejoint le mouvement pour arrêter le mur et la colonisation. Les gens ordinaires, exaspérés par l’occupation, ont fait de notre lutte la leur et nous ont rejoints dans la solidarité. Nous allons certainement nous associer à la lutte pour la justice dans d’autres endroits quand la Palestine sera enfin libre.
Manquer le cinquième anniversaire de notre lutte à Bil’in sera comme manquer l’anniversaire d’un de mes enfants.
Dernièrement je pense beaucoup à mon ami Bassem dont la vie a été prise lors d’une manifestation non-violente l’année dernière, et combien je le regrette. Malgré la douleur de cette perte, et la nostalgie que j’éprouve en pensant à ma famille et à mes amis, je pense que si c’est le prix que nous devons payer pour notre liberté, alors cela en vaut la peine, et nous serons prêts à payer beaucoup plus.
Bien à vous,
* Abdallah Abu Rahmah depuis la prison d’Ofer.
Publié le 20 février 2010 sur le site de l’AFPS
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