L’assassinat, technique de la propagande noire du Mossad
Par Faouzi Elmir, pour Mecanopolis
Le 20 janvier 2010, Mahmoud Al-Mabhouh, l’un des fondateurs de la branche militaire du mouvement de résistance palestinienne, le Hamas, a été assassiné dans sa chambre à l’hôtel El-Bustan Rotana à Dubaï. Le 12 février 2008, Imad Moughnieh, un haut responsable militaire du parti chiite libanais, le Hezbollah, a été tué dans un attentat à Kfar Soussa, dans la capitale syrienne, Damas, par une bombe placée dans l’appui-tête de son 4X4 de marque Mitsubishi Pajero1. L’assassinat de ces deux hauts responsables militaires du Hezbollah libanais et du Hamas palestinien sont sans aucun doute l’œuvre du Mossad israélien.
Concernant l’assassinat d’Imad Moughnieh, le Mossad a laissé planer, comme à l’accoutumée, le doute sur son implication et c’est la presse américaine et européenne qui s’est chargée de le deviner et de le commenter. Ce qui n’est pas le cas du dirigeant du Hamas, Mahmoud Al-Mabhouh, où le Mossad a été pointé du doigt par le chef de la police de Dubaï, comme le commanditaire du l’assassinat de Mahmoud Al-Mabhouh. À en croire les commentateurs des mass medias publiques et privées en Europe et aux Etats-Unis qui, rappelons-le au passage, sont contrôlées par le complexe militaro-industriel et soumises à l’influence du sionisme international, ont unanimement salué « l’exploit » et le « professionnalisme » du Mossad qui, du coup, retrouve sa panache et sa réputation dans le montage d’opérations spectaculaires. Parler d’exploit et de professionnalisme du Mossad à Dubaï, c’est aller un peu vite en besogne, car un service secret qui laisse filmer ses agents et ses exécutants pendant qu’ils accomplissent leur mission, se révèle un piètre service secret. Depuis que le chef de la police de Dubaï, Dahi Kalfan El-Tamim a accusé formellement le Mossad israélien du meurtre de Mahmoud Al-Mabhouh, les remous et les polémiques enflent jour après jour tant à l’intérieur de l’État sioniste que dans les États européens comme à Londres, à Paris, à Bonn et à Dublin qui ont délivré des vrais passeports aux membres du commando de Dubaï. À présent, les mouvements de résistance, libanais et palestinien, promettent de venger tôt ou tard leurs martyrs assassinés par le Mossad comme l’a répété encore mardi dernier à Beyrouth, Hassan Nassrallah à l’occasion du deuxième anniversaire de l’assassinat d’Imad Moughnieh et comme le confirment également la branche armée du Hamas et Khaled Machaa’l dans son allocation diffusée à Gaza à l’occasion d’une cérémonie d’hommage à Mahmoud Al-Mabhouh.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir pourquoi le Mossad israélien a procédé à la liquidation du responsable militaire du Hezbollah libanais et du dirigeant du Hamas palestinien. Pour répondre à cette question, il faudra replacer ces deux assassinats dans le cadre de la propagande noire menée par le Mossad pour retrouver une certaine crédibilité d’abord en tant que service de renseignement et ensuite pour contrecarrer les effets dévastateurs des deux guerres ratées contre le Hezbollah libanais en 2006 et contre le Hamas en décembre 2008-janvier 2009 et qui représentent à terme une menace sérieuse sur la cohésion de la société israélienne et sur le devenir même de l’Etat sioniste.
L’ASSASSINAT, TECHNIQUE DE LA PROPAGANDE NOIRE DU MOSSAD
Certains esprits naïfs considèrent qu’un service de renseignement travaille uniquement à la collecte et à l’analyse des renseignements qui seront ensuite mis à la disposition des gouvernements et des autorités civiles et militaires. L’idée qu’un service de renseignement ne s’occupe que de renseignement est fausse, car il fait partie des appareils et des réseaux qui participent directement ou indirectement à la guerre psychologique et à la propagande. Par exemple, la CIA ne fait que collecter et analyser des renseignements, elle participe également à la propagande politique et à la Guerre psychologique du gouvernement américain et à la défense des intérêts du complexe militaro-industriel. Le dernier exemple en date est le rôle déterminant joué par la CIA dans la guerre psychologique et dans la propagande contre le régime de Saddam Hussein accusé de détention d’armes de destruction massive. L’exemple irakien montre qu’un service de renseignement dépend beaucoup moins d’un Etat ou d’un gouvernement que du complexe militaro-industriel qui manipule les informations et qui utilise à bon escient les travaux des services de renseignements pour élaborer son argumentaire guerrier2 Le fonctionnement d’un service de renseignement ne diffère en rien de celui du ministère de la propagande (ministère de la communication) dans la mesure où il existe en son sein des spécialistes dans la manière d’élaborer des plans de campagne aussi bien pour une propagande blanche ou ouverte que pour une propagande noire ou grise. Il convient de rappeler qu’une propagande noire ou grise recourt à des actions qui sont susceptibles de produire des effets psychologiques dévastateurs sur l’ennemi en semant dans ses rangs le trouble, la terreur et la peur. Les techniques habituelles de la propagande noire sont multiformes : les activités subversives, les opérations spéciales, l’assassinat, le sabotage, la guérilla, l’espionnage, les pressions politiques, économiques, culturelles, idéologiques, raciales, religieuses etc. Autrement dit, un service de renseignement ne fait pas que de collecter et d’analyser des renseignements mais il est aussi une structure et une organisation complexe combinant activités militaires et de propagande. Le Mossad israélien est bien un service de renseignement mais il est aussi une organisation militaire qui mène des opérations spéciales et un bureau de propagande qui manipule psychologiquement les opinions publiques nationales et internationale.
Le Mossad créé en 1951 est l’un des trois services de renseignement de l’Etat sioniste, le service de renseignement militaire et l’Agence pour la sécurité d’Israël(ASI). Le Mossad comprend une section d’une cinquantaine d’hommes spécialisée dans l’assassinat et la liquidation des personnalités arabes et palestiniennes. La décision d’assassiner est prise secrètement en cabinet restreint réuni au sein d’un comité appelé X et sous la présidence du premier ministre qui doit donner son accord sur la liste présentée avec les noms des personnalités à éliminer. C’est Golda Maier qui a initié la pratique de liquidation des adversaires à des fins de dissuasion. Depuis les années 1970, le Mossad est ainsi responsable de l’assassinat d’une centaine de personnalités arabes et palestiniens. La pratique de l’assassinat qui, semble-t-il, a été mise en sourdine pendant un certain temps à cause des dissensions à l’intérieur du Mossad, a repris de plus belle depuis l’arrivée en 2002 d’un nouveau chef, Meir Dogan(61 ans). Un général de réserve qui l’avait connu dans les années quatre-vingts du siècle dernier lui a donné le surnom de Rambo pour ses méthodes expéditives à Beyrouth durant les années 1980. Au cours d’une émission télévisée, ce même général a affirmé que le Rambo Meir Dogan partait à Beyrouth pour la journée à Beyrouth pour assassiner des militants libanais et palestiniens puis il rentrait le soir chez lui tranquillement. D’après la deuxième chaîne israélienne, depuis l’arrivée de Dogan à la tête du Mossad, deux cents agents ont donné leur démission pour protester contre la politique aventurière de leur chef actuel. Avec l’assassinat du dirigeant palestinien, Mahmoud Al-Mabhouh, le chef du Mossad est à nouveau sur la sellette et il n’est pas exclu qu’un mandat d’arrêt soit lancé contre lui par Interpol à la demande des Emirats arabes Unis(EAU). Mais le chef du Mossad n’est pas le seul en cause, car il faudra remonter à la tête, c’est-à-dire le chef du gouvernement israélien, Benjamain Natanyahu.
OBJECTIFS PSYCHOLOGIQUES ET POLITIQUES DE LA PROPAGANDE NOIRE DU MOSSAD
Pour déterminer les objectifs psychologiques et politiques visés par la propagande noire du Mossad, il faut savoir que ce dernier n’est pas seulement un organisme spécialisé dans la collecte et l’analyse des renseignements étrangers et notamment les programmes stratégiques d’armement au Proche-Orient mais il est aussi un grand pourvoyeur et vendeur de renseignements aux services secrets étrangers sur les mouvements islamiques et les réseaux terroristes. En effet, le Mossad est connu dans les milieux des renseignements pour la fiabilité de ses agents et pour la qualité des renseignements fournis, ce qui en fait un gros vendeur de renseignements et de travaux à des agences étrangères. L’assassinat de Mahmoud Al-Bahbouh a révélé que la coopération entre le Mossad et les agences étrangères ne s’arrête pas au seul domaine du renseignement mais que ces derniers ont même aidé le Mossad à se procurer des vrais passeports pour les membres du commando qui ont exécuté le dirigeant du Hamas. Contrairement à ce qui a été dit, les membres du commando de Dubaï étaient titulaires des vrais passeports délivrés par les autorités administratives compétentes française, anglaise, Irlandaise et allemande.
En éliminant le chef militaire du Hezbollah et le dirigeant du Hamas, le Mossad espérait d’abord redorer son blason et restaurer sa crédibilité ternie par le manque de fiabilité de ses renseignements sur le programme chimique et bactériologique de Saddam Hussein, sur le programme nucléaire libyen, sur la capacité militaire du Hezbollah libanais et surtout sur le programme nucléaire iranien. L’assassinat par le Mossad du chef militaire du Hezbollah et celui du dirigeant du Hamas visent un but psychologique bien précis, décourager ces deux mouvements de résistance en faisant sentir à leurs dirigeants respectifs qu’ils pourront être à leur tour les prochaines cibles du Mossad. En faisant ainsi planer l’idée de l’élimination physique, le Mossad voulait semer un sentiment de peur dans les rangs du Hezbollah et du Hamas pour pousser leurs dirigeants à renoncer à la résistance et à négocier aux conditions que leur impose l’État sioniste. Non seulement les assassinats et la liquidation physique des personnalités et des activistes arabes et palestiniens se sont révélés stériles et contreproductifs, ils ont donné plutôt les effets inverses, c’est-à-dire le renforcement politique et militaire de l’ennemi. On en a pour preuve le Hezbollah libanais dont les fondateurs Rajab Harb (tué dans les années 1980) et Abbas Moussaoui (tué en février 1992) ont été assassinés par le Mossad, est devenu aujourd’hui une puissante organisation politique et militaire. Israël a éliminé physiquement Cheik Yassine mais cet assassinat n’a nullement empêché le Hamas de devenir une puissante organisation politique et militaire qui a réussi à gagner les élections législatives en territoires palestiniens, à chasser l’autorité palestinienne de Gaza et à résister au déluge de feu de l’armée sioniste pendant la guerre de décembre 2008-janvier 2009.
Mais le choix des cibles « de qualité », en l’occurrence les chefs militaires du Hezbollah et du Hamas, vise aussi à rendre une certaine légitimité politique à une classe politique israélienne et à l’armée qui ont perdu une grande partie de leur aura d’antan lors de la guerre du Liban en 2006 et de celle de Gaza en 2009. L’assassinat d’Imad Moughnieh le 12 février 2008 à Damas a un double objectif politique et psychologique: redorer l’image du premier ministre israélien de l’époque, Ehud Olmert dont l’image a été ternie par le rapport Vinograd et les ratés de la guerre du Liban. L’assassinat de Mahmoud Al-Mabhouh à Dubaï le 20 janvier 2010 a aussi un double objectif politique et psychologique: souder une société israélienne démoralisée et frustrée à sa classe dirigeante et effacer les dégâts laissés par la guerre de Gaza et les effets politiques du rapport Goldstone sur les crimes sionistes3. Il faut bien dire que la guerre du Liban de juillet-août 2006 a sapé le moral de la société israélienne et elle a remis en cause le principe sacro-saint de l’invincibilité de l’État sioniste. Si l’État sioniste a pu vivre depuis sa création en 1948, entouré de peuples arabes foncièrement hostiles à son existence(je parle de peuple et non pas d’Etat ou de gouvernements), c’est à cause de l’image d’une armée invincible depuis la guerre des Six jours de juin 1967, une image qui a joué un rôle de dissuasion politique et psychologique au point de pousser le plus grand État du Moyen Orient, l’Égypte, puis la Jordanie à signer des traités de paix humiliants avec l’Etat sioniste. C’est cette image d’une armée israélienne invincible qui a fait naître dans la tête de l’arabe l’idée du défaitisme et de la résignation. L’histoire a montré que quand un peuple est gagné par la peur, il n’a plus le courage ni de lutter ni de résister.
Mais la guerre des 34 jours contre le Liban en juillet-août 2006 et la résistance héroïque opposée par Hezbollah libanais ont littéralement fait voler en éclats la légende d’invincibilité de l’armée israélienne considérée jusqu’ici comme l’échine dorsale et le facteur de cohésion de la société israélienne soudée jadis par le mythe d’une armée puissante, crainte et dissuasive. C’est cette image d’invincibilité qui a été écornée et ternie par la guerre du Liban contre le Hezbollah libanais et que l’État d’Israël cherche à restaurer à tout prix, soit par une guerre militaire qui se profile à l’horizon soit par une guerre de basse intensité menée aujourd’hui par le Mossad à travers sa propagande noire qui vise à saper le moral des dirigeants des deux mouvements de résistance libanais et palestiniens. Les dernières déclarations de Hassan Nassarallah faites mardi dernier à l’occasion du deuxième anniversaire de l’assassinat d’Imad Moughnieh ne sont pas de nature à rassurer ni la classe politique israélienne ni le simple citoyen. Au vu de la nouvelle donne politique et militaire qui émerge au Moyen Orient avec un Hezbollah menaçant de répondre au tac au tac à toute agression sioniste contre le Liban, avec une Syrie qui menace les grandes villes israéliennes, avec un Hamas qui promet de venger son martyr Mahmoud Al-Bahbouh et avec un Iran qui promet de « rayer » Israël de la carte, cela en fait trop pour une armée qui jouit certes d’une supériorité dans le domaine aérien mais qui ne pourra jamais résister trop longtemps à une guerre asymétrique et à une guérilla. Il y a fort à parier que l’unité par trop fragile de la société israélienne ne résistera pas trop longtemps à des pressions militaires prolongées et finira par voler en éclats si la guerre vient de se prolonger. Sans aucun doute la prochaine guerre qui se prépare actuellement au Moyen Orient ressemblera-t-elle de plus en plus à la poudrière des Balkans à la veille de la Première Guerre mondiale. Dans ce cas de figure, et ce sera le scénario le plus probable, les USA et leurs satellites européens voleront immanquablement au secours de leur État croupion. Mais quelque que soit l’issue de la confrontation, le visage du Moyen Orient aura changé et le monde qui en sortira ne ressemblera certainement pas à celui que nous connaissons aujourd’hui.
Faouzi Elmir, pour Mecanopolis
Le blog de Faouzi Elmir : Le Bulletin de l’International
Notes :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire