17 février 2010

livre "nettoyage culturel en Irak"


Samir Amin

Les témoignages réunis dans cet ouvrage sont de la plus haute importance. Les faits, les violations des conventions internationales, des droits humains et de ceux des peuples et des nations sont indiscutables. La responsabilité des autorités d’occupation de l’Iraq et de leurs agents d’exécution locaux est incontestable. Il ne s’agit pas de « bavures », ou, comme avait osé le dire Madeleine Albright, du « prix à payer » pour l’établissement de la démocratie !

Il s’agit de la mise en œuvre systématique, organisée, d’une stratégie politique dont l’objectif est la destruction du peuple et de la nation irakienne. Elle n’est pas nouvelle. Robert Mac Nanamara (nommé par la suite Président de la Banque Mondiale !) ne s’était-il pas assigner l’objectif de « ramener le Viet Nam à l’âge de pierre » ? Et l’utilisation de l’Agent orange – arme chimique en principe « interdite » - n’en a-t-il pas été l’un des moyens ? L’adversaire en Iraq n’était pas Saddam Hussein (des armes chimiques lui ont été livrées par les Etats Unis quand la guerre contre l’Iran qu’il menait servait les intérêts de Washington), mais la nation irakienne. Qui veut la détruire et pourquoi ? L’impérialisme est le nom de l’adversaire. Il ne s’agit pas là de la « dérive » d’une stratégie politique de grande puissance. Cette « dérive » est le moyen – le seul en dernier ressort – indispensable pour permettre aux oligopoles du capitalisme dominant aux Etats Unis mais aussi en Europe et au Japon, (leurs alliés) de prélever leur rente impérialiste. Celle-ci implique que l’accès aux ressources naturelles de la planète soit réservée exclusivement aux sociétés du Nord (devenant de ce fait les « peuples » élus » qui ont plus droit à vivre sur Terre que tous les autres !). Et cela exige la destruction systématique des capacités de résistance de tous les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (une « minorité » qui réunit 80% de la population de la Planète !). L’impérialisme a toujours nourri une haine féroce de tous les régimes qui ont refusé la soumission. Que cela soit au nom du socialisme (URSS, Chine, Viet Nam, Cuba) ou simplement de l’indépendance nationale (Nasser et autres). Le discours mobilisé à cet effet par les puissances impérialistes doit masquer son objectif véritable derrière la fumée de sa rhétorique concernant la « démocratie ». On reprochera donc à Saddam Hussein d’avoir massacré ses opposants (ce qui est vrai), à Robert Mugabe d’être un « vieillard autocrate » (ce qui est également plausible). On ne dira jamais que le véritable crime qu’on reproche au premier est d’avoir engagé l’Iraq dans une modernisation industrielle et scientifique jugée « dangereuse », au second l’indispensable réforme agraire. Combat de l’Occident civilisé pour l’exportation de la « démocratie » (le « devoir d’intervention » !) ? Mon œil. Le crime commis par Pinochet le 11 Septembre (1973) n’a pas été seulement « excusé » ; son auteur en a même été félicité par Henry Kissinger. La rhétorique de la « guerre des cultures » est le rideau de fumée derrière lequel se masquent les avancées les forces militaires d’intervention contre les nations du Sud. Elle nourrit en l’occurrence l’islamophobie. Mais elle alimente tout autant aujourd’hui le discours sur le nouveau « péril jaune » promu par ceux que l’éveil de la Chine inquiète. Non, l’exemple de l’Iraq, magnifiquement illustré par les témoignages réunis dans cet ouvrage, appelle à une autre conclusion : que la véritable « guerre des cultures » en cours oppose d’une part la « culture » du capitalisme des oligopoles impérialistes, l’ennemi de l’humanité entière, et d’autre part celle de l’humanisme, respectueux des droits égaux de tous les peuples. Le conflit Nord/Sud illustré par l’occupation militaire de l’Iraq et le conflit qui oppose la barbarie inhérente à la domination impérialiste au projet d’un « autre monde, meilleur » sont indissociables. L’intervention dans les affaires intérieures des pays du Sud, a fortiori l’intervention militaire – quels qu’en soient les prétextes –, ne servira jamais d’autres objectifs que ceux que la défense de la rente impérialiste impose ; elle ne peut se draper du manteau de la « guerre juste ». L’intervention criminelle des forces armées des Etats Unis et de leurs alliés européens subalternes de l’Otan en Iraq -ou ailleurs- n’a d’autre objectif que la destruction des nations et des peuples concernés ; elle doit être condamnée sans réserves. L’Iraq n’a pas été attaqué parce qu’elle possédait des armes de destruction massive, mais parce qu’elle n’en possédait pas. La leçon est à retenir. Les pays du Sud ont le devoir de développer les capacités militaires nécessaires pour mettre en déroute le contrôle militaire de la Planète par les forces armées des Etats Unis et de leurs alliés subalternes de l’Otan.

Hans von Sponeck

Pourquoi des musées ont-ils été dépouillés, des bibliothèques incendiées et des universitaires assassinés?

CULTURAL CLEANSING IN IRAQ

Combien un peuple peut-il supporter? L'ancien secrétaire général adjoint des Nations unies et coordinateur du programme humanitaire des Nations Unis en Irak. Hans von Sponeck a joint le programme de développement de l'ONU en 1968. Il a travaillé au Ghana, en Turquie, au Botswana, au Pakistan et en Inde. Ensuite, il est devenu directeur du Service européen à Genève. Il a succédé Denis Halliday dans sa fonction en octobre 1998, et est dès lors en charge des opérations humanitaires pour l'ONU. Son effectif international inclut 500 personnes, ainsi que 1000 employés irakiens. Hans von Sponeck a démissioné en février 2000, pour protester contre la politique internationale menée contre l'Irak, y compris les sanctions. À Baghdad, tout le monde connaissais Mohammed Hikmet Ghani. A l'époque, on voyait ses sculptures partout dans la ville. Elles rappelaient la richesse de l'histoire et de la culture mésopotamiennes. Certes, l'Irak a connu des jours bien meilleurs. Muni de très peu de matériaux, Ghani mettait tout en œuvre pour transformer ses idées artistiques en forme physique. Tout ce qu'il a produit au cours de ces années, reflétait la souffrance du peuple Irakien, forcé de subir des sanctions et la dictature. Juste avant que les EU et le Royaume-Uni ont envahi et occupé l'Irak en 2003, il avait complété une première moule de figurines, des femmes rassemblées en cercle qui fixaient une boîte placée devant elles. “Elles aimeraient savoir ce qui se trouve dans la boîte, quel destin leur attend. Mais elles n'ont pas la clé pour ouvrir la boîte,” le sculpteur célèbre explique. L'artiste et le peuple ont espéré avidement que la période de sanctions, qui avait durée 13 ans, se terminerait. Au lieu de cela, ils ont dû faire face à une dévastation et à des attaques d'une férocité à peine imaginable. À ce jour, beaucoup parmi eux sont morts, et l'artiste vit comme un réfugié à Amman. Les proportions de la tragédie humaine, résultante de l'attaque illégale en Irak en mars 2003 et de l'occupation qui l'a suivie, deviennent de plus en plus apparentes. Il reste encore beaucoup à en découvrir. Pour les crimes, il faut trouver une cour de justice. Entre-temps, les coffres remplis de preuves s'empilent. Le livre Nettoyage Culturel en Irak (Cultural Cleansing), a été récemment publié et témoigne de l'ampleur de la destruction que le patrimoine irakien a souffert et de l'assassinat massif des universitaires du pays. Ces événements ont ajouté un nouveau chapitre horrible à l'histoire irakienne d'après-guerre. Dans la publication douze experts, parmi lesquels des Irakiens ainsi que des non-Irakiens, ont aidé à mieux percevoir l'immensité des crimes contre l'humanité dont beaucoup, mais surtout l'occupation des EU et du RU, doivent être tenus responsables. Nettoyage Culturel en Irak montre de façon convaincante comment une culture unie s'est fortement dégradée lors de l'occupation et qu'une nouvelle structure sectaire et hostile a pu se développer. L'autorisation provisoire de la coalition américaine (APC) a fait preuve d'une détermination extraordinaire pour implémenter un nettoyage institutionnel et structurel. Les auteurs concluent que des projets systématiques étaient mis en place pour “vider l'Irak de son cerveau”. Les auteurs fournissent des faits et des preuves circonstancielles et réfèrent à une “génocide par d'autres moyens” et à “l'anéantissement historique”. Des escadrons de la mort dans les rues et dans des centres de détention, ont assassiné des milliers de médecins, de scientifiques et de professionnels, des hommes comme des femmes. Le BRussells Tribunal a compilé une liste avec 432 noms d'universitaires irakiens et 343 professionnels actifs dans les médias, tous assassinés entre 2003 et 2009. Il s'agit d'assassinats qui n'ont pas été commis par des partisans, ni par des sectes et ils pourraient être plus nombreux que ce qu'on raconte au lecteur. Jusqu'à présent, les preuves directes prouvant la culpabilité des EU semblent être peu nombreux. Cependant, les preuves se manifestent sous la forme de l'intervention continue en Irak par des groupes externes depuis l'invasion. Parmi ces groupes se trouvent des forces pro-Iraniennes, des services secrets des forces occupantes, ou des pays voisins et autres, ainsi que de l'Orient-Moyen, comme par exemple Mossad, des bandes criminelles et autres. Les forces de l'occupation ont utilisé de sites historiques comme Babylon, Ur et Samarra pour des fins militaires et ils ont refusé de protéger des sites qui contribuent à la fierté nationale et à la mémoire historique, comme le musée de l'antiquité dans la capitale, et la bibliothèque nationale, alors qu'ils assuraient la sécurité des ministères du pétrole et de l'intérieur. En ce faisant, elles ont délibérément ignoré leurs responsabilités et leurs devoirs, imposés par la législation internationale, selon les auteurs. Les auteurs allèguent que l'attaque n'a jamais eu pour but de rendre la société libre et démocratique. Ils rejettent également l'idée que l'assassinat des penseurs et la destruction de l'héritage Irakien sont dus à la naïveté ou à l'incompétence des autorités civiles américaines. Ce qui s'en est découlé n'est pas un empilement 'infortunes imprévisibles et isolés. Les vols et les assassinats ont eu lieu sous le regard bienveillant des soldats de l'occupation. Le monde entier sait qu'il y a plus. Les photos horribles de la prison d'Abu Ghraib, près d'al Fallujah -un autre lieu de carnage- sont imprimées dans l'esprit des victimes et des téléspectateurs dans le monde entier. L'excuse de dommages collatéraux ne tient pas la route. De plus, une culture d'impunité s'est installée au niveau des pertes irakiennes et personnelle et des richesses nationales. Ils considèrent qu'il est malicieux de blâmer la situation des gens désespérés plutôt que la force de l'occupation pour les pillage des artefacts. Aucun auteur ne prétend que seulement les envahisseurs sont directement ou indirectement responsables. Ils disent que le nettoyage de la culture et de l'esprit irakiens ainsi que la destruction de la structure sociale de la nation, est le résultat d'une guerre illégale. Les responsables ne seront certainement pas d'accord. Ils ont peu de chances d'obtenir leur raison. Le livre est une bonne introduction au nettoyage culturel en Irak, ce que d'autres préfèrent appeler une génocide culturelle. Les auteurs trouvent tous que leur œuvre doit être le début d'une nouvelle poussée d'études pour enregistrer l'hisoire, pour que le public connaisse la situation et pour que les responsables soient poursuivis. Hans-C. von Sponeck *

Cultural Cleansing in Iraq, Why Museums were Looted, Libraries burned and Academics murdered, Edited by R.W. Baker, Shereen T. Ismael and Tareq Ismael, Pluto Press, London, 2010

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