16 février 2010

comment on cède aux colons

Comment on cède aux colons à Beit Sahur

mardi 16 février 2010 - 06h:07

Amira Hass - Ha’aretz


Depuis la guerre de 1967, les 13000 habitants de la ville palestinienne de Beit Sahur ont vu leurs terres grignotées au profit de la colonisation juive, dont des centaines d’hectares annexées à Jérusalem, écrit Amira Hass.

(JPG)
Beit Sahur, Cisordanie occupée

Les gens de Beit Sahur croient les colons israéliens quand ils affirment que les Forces de défense israélienne ont cédé à leurs pressions quand, la semaine dernière, un nouveau mirador commença à se dresser dans la partie est de cette ville à majorité chrétienne de Cisjordanie.

Ils n’admettent pas, cependant, ce que prétend l’armée quand elle dit que cette tour n’est ajoutée que pour des raisons professionnelles, militaires. Les colons ont promis de maintenir la pression - et les habitants de Beit Sahur savent tous trop bien ce qu’ils entendent par là. Depuis 18 derniers mois, les colons de la région de Gush Etzion organisent des manifestations de plus en plus fréquentes contre « la construction arabe » à Beit Sahur.

De leur côté, les colons disent que la tour finira par faire partie d’une ville juive qui reliera le bloc de colonies de Gush Etzion à la colonie juive de Har Homa dans Jérusalem-Est [au nord de Beit Sahur]. Les habitants de Beit Sahur ont raison de se méfier des colons, comme du président du comité du quartier Har Homa, qui déclara que « cela pourrait bien devenir une réalité, tout comme Har Homa s’est étendue au-delà de ce qui était programmé et attendu. »

Après la guerre de 1967, Beit Sahur perdit 1200 de ses 7000 dunums (700 ha) au profit de Jérusalem, avec ses limites municipales considérablement étendues. Par la suite, 430 dunums de ses terres furent annexés par Har Homa, qui peuple la ville par le nord. Après diverses autres « petites » expropriations - grignotant ça et là du territoire dans le but de construire une route de contournement - Beit Sahur et ses 13 000 habitants se sont retrouvés avec un petit peu plus de 600 dunums de terrains non bâtis, des terres agricoles propres à son développement.

De 1967 au 27 avril 2006, une grande partie de ce territoire fut occupé par la base militaire de Shdema, des FDI ; le reste fut déclaré zone militaire fermée, dont certaines parties qui avaient été cultivées s’appauvrirent avec le temps. En 2006, Shdema fut déplacée, au grand soulagement de tous. La joie des habitants, cependant, se révéla quelque peu prématurée : en 1995 Israël avait désigné ces 600 dunums - sans se soucier si la terre était propriété privée ou publique - en tant que zone C (Accords d’Oslo : la zone C est sous contrôle administratif et militaire d’Israël - ndt). Comme ailleurs en Cisjordanie, cette désignation s’est transformée en une réalité permanente sur le terrain.

Environ 100 familles, propriétaires des terres privées nouvellement libérées, prévirent alors de les sauver de leur stérilité imposée par les FDI qui s’en étaient emparées pour des « nécessités de sécurité ». Cependant, d’après Abu Ayman, l’un des propriétaires, le maire de Beit Sahur, Hani al-Hayek, l’avait averti en 2006 que selon les règlements dans les zones C, sous administration civile israélienne, on ne pouvait utiliser du « matériel lourd » - c’est-à-dire des tracteurs et des bulldozers - sauf à se les voir confisquer. Plantation et ensemencement étaient permis, dit Abu Ayman - qui, jeune homme, avait soigné et sélectionné de ces fameux fakkus, connus aussi sous le nom de concombres arméniens - mais la mise en valeur de la terre était interdite. C’était vrai pour les terres agricoles de propriété privée qui s’étendaient à travers les collines et leur vallée alentours.

La municipalité de Beit Sahur, en attendant, ne manquait pas de projets pour les 108 dunums de terres publiques précédemment occupés par la base militaire : un hôpital d’orthopédie pour enfants et un parc public avec terrain de jeux qui pourrait aussi accueillir des animations culturelles. Le financement de ces projets était même trouvé : l’agence états-unienne pour le développement international (USAID) et le Vatican finançaient le parc, dont le nom serait « Parc de la Paix », et une autre organisation humanitaire américaine, CURE International, souscrivait pour l’hôpital.

Mais la terre, publique comme privée, appartenait après tout à la zone C. Les demandes de permis pour construire l’hôpital n’avaient reçu aucune réponse de l’Administration civile. Pourtant, selon des sources municipales, le maire avait retiré de ses entretiens avec les officiels de l’Administration civile que les Israéliens acceptaient, verbalement, la construction du Parc de la Paix.

La construction commença en 2007. Ce fut d’abord une tour pour l’escalade, la première du genre dans les territoires, pour la joie des enfants d’ici (et les marchands de cordes). La terre fut ensuite préparée pour des terrains de sport et une aire de jeux, et un grand hall, un restaurant et un hangar de stockage qui furent ajoutés.

En mai 2008, alors que la construction battait son plein, une organisation de droite, les Femmes en Vert, commença à manifester devant le site du parc chaque vendredi. Le député Ariyeh Eldad (Union nationale) informa la Knesset de ce « scandale » : de l’argent américain finançant une construction illégale. Le 1er août 2009, la station de radio Arutz Sheva évoqua la situation sous la rubrique Un avant-poste illégal d’Obama. La municipalité se vit alors signifier l’ordre d’arrêter la construction.

Il y a deux semaines, après la célébration de Tu Bishvat par les colons, des graffiti en hébreu apparurent sur les structures du parc, ainsi que des étoiles de David dessinées sur des pancartes qui indiquaient le financement du projet par l’Amérique. Les employés du parc reçurent l’ordre, par la municipalité, d’effacer les graffiti, les étoiles de David sur les pancartes USAID restèrent.

Ayant appris tardivement que les travaux n’avaient pas été autorisés officiellement par l’Administration civile, l’USAID gela son financement du projet (quelque 310 000 dollars) et les travaux s’arrêtèrent, alors que des dizaines de familles continuaient d’affluer sur le site, venant d’aussi loin qu’Hébron. Pour elles, c’était toujours un espace de détente, agréable et sûr, le seul du genre dans les environs.

(JPG)
Colonie Har Homa, voleuse de terres palestiniennes

La leçon à tirer de cette affaire - à savoir qu’on ne peut avoir confiance dans les accords verbaux de l’Administration civile israélienne - entraîna sans doute la publication du document qui suit et que Ha’aretz a obtenu. Dans le document, rédigé en septembre dernier, peu après le scandale de « l’avant-poste illégal », l’USAID explique à ses « partenaires d’exécution » (c’est-à-dire les sous-traitants palestiniens) que dans les différents projets « qui impliquent (l’achat de) de matériaux de construction ou la construction d’une structure quelle qu’elle soit (permanente ou non) », il est impératif de s’assurer des approbations écrites du Coordinateur des Activités gouvernementales dans les Territoires (le COGAT) et des autorités municipales palestiniennes afin d’éviter les retards.

Même si les autorités palestiniennes sont citées dans le document, dans sa plus grande partie il se concentre sur les exigences du COGAT qui s’appliquent non seulement à la zone C mais aussi aux zones A et B. En effet, le document montre le contrôle immense que les autorités israéliennes exercent sur les constructions palestiniennes dans toute la Cisjordanie. Les partenaires palestiniens, selon le document, doivent consulter les représentants concernés de l’USAID sur « les matériaux de construction, ce qui comprend, mais sans s’y limiter, les tuyaux (spécialement les tuyaux en métal), que le COGAT considère souvent comme du matériel à "double usage" » - autrement dit, un matériau qui peut potentiellement être utilisé pour des activités terroristes. Ainsi, la définition des matériaux à « double usage » ne s’applique pas seulement à Gaza, mais aussi à la Cisjordanie.

Toujours d’après le document, « les partenaires d’exécution doivent obtenir la permission par écrit du COGAT et des autorités municipales locales... qui doit préciser si : a) si le COGAT considère le projet visé comme une "structure", et b) si l’endroit prévu pour la construction est en zone C ». Avant d’acquérir les matériaux de construction et de s’entretenir avec les personnels concernés de l’USAID, les partenaires doivent « obtenir confirmation écrite du COGAT pour que de tels matériaux puissent être achetés dans la zone... le COGAT exige une documentation qui fournisse les informations suivantes : 1) le nom du projet ; 2) où et quand les matériaux ont été achetés (c’est-à-dire, nom de l’usine, de la ville, du pays) ; 3) quel en sera le bénéficiaire ; 4) qui a effectivement payé pour les matériaux ; 5) où les matériaux seront utilisés ; et 6) dans quel but. Il est également important d’indiquer qui aura la garde sur le tout comme sur les matériaux de construction acquis par le partenaire d’exécution, et comment les matériaux seront assurés contre le vol ou un usage impropre...

« Il est essentiel d’obtenir l’approbation du COGAT par écrit. Le COGAT ne reconnaît que les accords et autorisations écrits délivrés par ses agents. Quand il s’agit de travaux avec des officiels de l’Autorité palestinienne qui déclarent que le COGAT a approuvé le projet, le partenaire d’exécution doit obtenir copie de cet accord écrit directement auprès du COGAT. »

Les directives ci-dessus s’appliquent à toute la Cisjordanie. En ce qui concerne la zone C cependant, il y des exigences supplémentaires : avant l’achat de matériaux pour un projet, le partenaire d’exécution doit rencontrer les représentants du COGAT et de l’USAID. « Dans ces réunions » explique le document au partenaire, « sachez que le COGAT exige fréquemment le lieu exact de la "construction" et/ou les lieux de livraison. Les partenaires d’exécution doivent être prêts à indiquer les lieux sur des cartes locales et/ou donner les coordonnées GPS (système de positionnement global) au COGAT. »

Il ressort de tout cela que, historiquement, le parc de la Paix de Beit Sahur est situé quelque part entre le champ où les bergers ont appris la naissance de Jésus et l’endroit où Boaz est tombé amoureux de Ruth, la femme moabite, dans la Bible.

Il y a quelques semaines, la municipalité a convoqué les habitants au centre culturel (un bâtiment rénové avec les fonds de l’USAID) dans la vieille ville de Beit Sahur, pour une réunion d’urgence afin de discuter sur la façon dont la ville peut protéger le peu de terre disponible qui lui reste.

Il y a trois jours, des bulldozers et des soldats sont arrivés, ils ont brandi un ordre écrit devant les habitants et les journalistes. Les soldats prétendirent que la zone avait de nouveau été déclarée zone militaire fermée. Les habitants de Beit Sahur ne savent pas encore si cette zone inclut leur grande réalisation locale de ces dernières années : une aire de loisirs et de jeux pour les enfants.

(JPG)
Localisation de Beit Sahur


Site de la municipalité de Beit Sahur


(JPG) Du même auteur :

- Israël restreint les permis de travail pour les personnels des ONG
- Israël a fait de tous ses citoyens des colons
- Un échec retentissant pour un journaliste
- La soumission chronique de Mahmoud Abbas
- Comment Israël décide-t-il à qui délivrer des visas pour Ramallah ?

13 février 2010 - Ha’aretz - traduction : JPP




Aucun commentaire: