12 février 2010

Tunisie : l'affaire de l'Université libre de Tunis


Affaire de l'universite libre de Tunis: des "abus de droit" en cascade


La notion "d’Etat de droit", pilier central de tout système juridique moderne, est un "vain mot" dans la Tunisie d’aujourd’hui, bien que la Constitution tunisienne proclame son attachement à ce concept et que le discours politique le plus officiel ne cesse de ressasser son respect le plus total pour ce principe fondamental. L’affaire de la fermeture de l’Université Libre de Tunis, la plus ancienne et la plus grande des établissements privés d’enseignement supérieur, le montrera.

I – LA PROCEDURE ARBITRAIRE DE FERMETURE DE L’UNIVERSITE LIBRE DE TUNIS :
Cette Université a été fermée par une Ukase ministérielle prise en un temps éclair, selon la procédure la plus expéditive et la plus arbitraire qui soit, et sur la base de prétextes les plus fallacieux qui soient.
Sur la foi d’un "rapport d’inspection approfondie", une commission administrative, composée de personnels totalement soumis à l’autorité ministérielle et dont les membres n’ont reçu le dit "rapport" qu’au début de la séance d’audition, le fondateur de l’Université, M. Mohamed El Boussaïri Bouebdelli, a été convoqué « pour affaire vous concernant ». Au cours d’un simulacre d’audition, M. Bouebdelli a été privé du "droit de communication du dossier", une des garanties de la défense les plus incontestables, et il s’est vu privé du "droit de préparer sa défense " et aussi du "droit de se faire assister par un conseil ou avocat". Cette procédure administrative expéditive s’est terminée en l’espace de trente minutes. Elle a été suivie, le lendemain même et sans autre forme de procès, par un arrêté signé par le Ministre de l’enseignement supérieur, lui-même pourtant professeur de droit et spécialiste de droit administratif, par lequel il a décidé de retirer l’autorisation universitaire à l’Université Libre de Tunis, de placer pour trois ans, cette Université sous l’autorité d’un "administrateur" relevant du Ministère, et de fermer définitivement l’Ecole polytechnique de cette Université, qui représente plus de 70 % de son activité : cet arrêté ministériel équivaut réellement à un "arrêt de mort programmé" contre l’Université Libre de Tunis.

Cette procédure expéditive est absolument contraire au regard du droit administratif tunisien, qui prévoit, même pour les sanctions disciplinaires les plus légères, des garanties et des droits à la défense. Dans notre affaire, ni la procédure de "communication du dossier", ni "le droit de disposer du temps nécessaire pour préparer sa défense ", ni l’exercice effectif du "droit de défense", ni le "droit de se faire assister par un conseil ou un avocat", ni enfin, l’intervention d’une autorité judiciaire, n’ont été reconnus au profit de l’Université Libre de Tunis.

II – LA VIOLATION DE L’ETAT DE DROIT’ :
L’arbitraire a été poussé jusqu’au point où, pour prononcer ses ukases, le Pouvoir ne s’embarrasse plus de chercher des semblants de motifs ni pour dissimuler ce qui est un véritable abus de pouvoir.
Ainsi qu’on va le montrer, les prétextes utilisés par l’arrêté ministériel sont dépourvus de tout fondement juridiquement valable.
Voici point par point les quatre prétextes utilisés par le Ministre de l’enseignement supérieur pour fermer l’Université Libre de Tunis. Nous précisons que pour chacun de ces "griefs", l’Université libre de Tunis a répondu en produisant des documents authentiques et que le Ministre ne peut renier puisqu’il s’agit dans la plupart des cas, de documents émanant de ses propres services officiels.
a– Le ministère nous reproche d’avoir fait en Tunisie de la publicité pour la très célèbre institution française « INTEC-CNAM » - sans avoir obtenu au préalable, l’autorisation adéquate. – Or, avant de faire cette publicité, l’Université Libre de Tunis a pris la précaution de solliciter cette autorisation auprès du Ministère. Dans une correspondance ministérielle, que nous détenons entre nos mains, ledit Ministère nous a écrit en réponse que, selon la loi en vigueur, cette activité de publicité ne rentre pas dans la sphère de contrôle de l’autorité ministérielle. De ce fait, notre Université se trouve tout à fait déliée de toute obligation relativement à cette publicité. Du reste, durant dix années consécutives, elle a fait cette publicité sans que le Ministère n’émette la moindre objection à ce sujet.
b – le Ministère nous reproche d’avoir organisé des enseignements d’ingénierie en violation de la loi. Or, le Ministère a occulté le double fait suivant : d’une part, il a délivré à notre Université des autorisations en bonne et due forme d’organiser de tels enseignements ; d’autre part, nos enseignements ont été organisés dans la plus stricte conformité avec les programmes officiellement approuvés par le Ministère lui-même ; enfin, durant plusieurs années, le Ministère a délivré des certificats d’équivalence de nos diplômes aux diplômes officiels dans la matière.
c – le Ministère a reproché d’avoir enseigné une spécialité de ‘Gestion’ (gestion-finance) sans une autorisation officielle. Or, qui consulte le document très officiel du Ministère dit "Guide d’Orientation des Etudiants" pour les années 2009 et 2010, découvrira que ledit "Guide" informe les étudiants que notre Université est habilitée à enseigner cette spécialité et qu’ils sont donc, autorisés à s'inscrire à notre Institut de gestion pour cette spécialité.
d- le Ministère nous a reproché d’avoir fait appel sans son autorisation, à des enseignants du secteur universitaire public en vue de donner quelques heures supplémentaires à notre Université. Or, outre que ce recours entre naturellement dans le cadre de la coopération entre les secteurs universitaires public et privé qui est encouragé par l’Etat, nous ferons remarquer que lorsque le Ministère a pris le contrôle de notre Université en plaçant à sa tête un Administrateur qu’il a nommé, le premier acte que cet Administrateur a accompli a consisté à confirmer les appels aux enseignants du secteur public lancés en début d’année universitaire par notre Université …
III- LA VIOLATION DU PRINCIPE DE PROPORTIONNALITE :
Outre les abus de droits et les violations de "l’Etat de droit" dont l’Université Libre de Tunis a été la victime, il convient de mettre l’accent sur le fait que les décisions arbitraires du Ministre de l’Enseignement supérieur représentent une violation flagrante d’un des principes fondamentaux les plus généralement admis par le droit moderne et plus particulièrement, le droit administratif : ‘le principe de proportionnalité’. C’est un principe général du droit que la sanction doit être proportionnée à la "faute" à punir. Il est indiscutable que ce principe n’a pas été respecté dans le cas d’espèce. On a vu que les motifs de fermeture de l’Université Libre de Tunis sont loin d’être fondés. Mais ce qui est encore plus fâcheux encore, c’est que la gravité de la sanction décidée par le Ministre de l’Enseignement supérieur n’a rien à voir avec la teneur réelle de ces griefs. Manifestement, la sanction a été décidée pour "punir" le fondateur de l’Université Libre de Tunis pour autre chose que les "erreurs" prétendument commises par cette dernière.

S’il en est ainsi, il est évident que l’on est en présence d’une autre illégalité flagrante et grave : le "Détournement de pouvoir".

Un groupe de professeurs et juristes

Source: TunisNews,
N° 3551 du 11.02.2010

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