Une voie assurée vers la guerre civile
samedi 20 février 2010 - 22h:02
Jon Elmer - Al Jazeera
Abu Abdullah n’a jamais été accusé du moindre crime, mais il a été arrêté par les forces de sécurité palestiniennes tant de fois ces deux dernières années qu’il ne compte plus.
Il a été arrêté au travail, au marché, dans la rue, et plus d’une fois lors d’incursions violentes par des hommes masqués qui forcent l’entrée de sa maison et se saisissent de lui devant sa famille.
Depuis le coeur du camp de réfugiés de Deheishe à la périphérie de Bethlehem, Abu Abdullah décrit en détail les passages à tabac qu’il a endurés lors des garde-à-vue, les nombreuses nuits glacées et sans sommeil dans des cellules étroites et dégoûtantes, les longues périodes attaché dans des positions douloureuses et les longues heures d’interrogatoires agressifs.
« Les interrogatoires commencent toujours de la même manière, » raconte Abu Abdullah. « Ils exigent de savoir pour qui j’ai voté lors des dernières élections. »
Abu Abdullah n’est pas le seul. Depuis que le gouvernement du premier ministre palestinien Salam Fayyad s’est imposé à Ramallah en juin 2007, des récits comme celui d’Abu Abdullah sont devenus monnaie courante en Cisjordanie.
Ces arrestations font partie d’un plan général exécuté par les forces de sécurité palestiniennes - formées et financées par les donateurs américains et européens - pour écraser l’opposition et renforcer la poigne sur la Cisjordanie du gouvernement dirigé par le Fatah.
Un projet international
Le gouvernement de Mahmoud Abbas, le président palestinien [dont le mandat électif a expiré depuis de nombreux mois - N.d.T], s’appuie sur des milliers de policiers et agents de sécurité nouvellement formés dont le but déclaré est d’éliminer les groupes islamistes qui peuvent représenter une menace pour son pouvoir - à savoir le Hamas et ses partisans.
Sous les auspices du lieutenant-général Keith Dayton, le coordonnateur de sécurité des Etats-Unis, ces forces de sécurité reçoivent une formation pratique de militaires canadiens, britanniques et turcs dans un centre de formation situé dans le désert en Jordanie.
Le programme a été soigneusement mis au point avec les officiels israéliens s’occupant de sécurité.
Depuis 2007 le centre de formation international de police de Jordanie a formé et rendu opérationnel cinq bataillons palestiniens des force de sécurité en Cisjordanie. A la fin de la mission de Dayton en 2011, le projet de 261 millions de dollars US se conclura par 10 nouveaux bataillons de sécurité, un pour chacun des neuf districts [gouvernorats] de la Cisjordanie et un de réserve.
Leur but est clair. Prenant la parole devant un sous-comité de la chambre des représentants en 2007, Dayton a décrit le projet comme « vraiment important pour faire avancer nos intérêts nationaux, pour fournir la sécurité aux Palestiniens et pour préserver et protéger les intérêts de l’état d’Israël ».
D’autres sont bien plus explicites sur ce à quoi doivent servir ces forces. Lorsque Nahum Barnea, un important spécialiste israélien des questions de défense, a pu participer à une réunion de coordination de haut niveau entre les commandants palestiniens et israéliens en 2008, il a dit avoir été stupéfié par ce qu’il avait entendu.
« Le Hamas est l’ennemi, et nous avons décidé de pratiquer une guerre totale, » a dit Majid Faraj Barnea, cité par Barnea, puis le chef des services militaires palestiniens de renseignements, a dit aux commandants israéliens : « Nous prenons soin de chaque institution du Hamas en conformité avec vos instructions. »
Après la prise de contrôle de Gaza par le Hamas
Arrivé les derniers jours de 2005, la tâche de Dayton était de mettre en place une force de sécurité palestinienne ouvertement chargée de se confronter avec la résistance palestinienne. Le projet a débuté à Gaza.
Sean McCormack, porte-parole à l’époque du département d’état, expliqua que le rôle de Dayton « était de couper l’herbe sous le pied, de bloquer ou contrarier toute aide pour la construction de forces de sécurité ».
Mais dans les semaines qui ont suivi son arrivée, les choses ont commencé à mal tourner. La victoire décisive du Hamas aux élections de janvier 2006 a entraîné un blocus international et paralysant à l’encontre des Palestiniens de Gaza. Peu après, les forces de sécurité du Hamas et du Fatah ont commencé à s’affronter dans les rues, avec pour résultat le maintien du pouvoir du Hamas dans le territoire assiégé.
Les projets initiaux de Dayton tombaient en lambeaux, et tandis que Fayyad était imposé comme premier ministre dans un gouvernement « sous contrôle » à Ramallah, une nouvelle stratégie de sécurité était mise au point.
Pendant qu’un sinistre statu quo se mettait en palce à Gaza, la nouvelle mission de Dayton est devenue plus claire. Le travail du coordonnateur de sécurité était maintenant « d’empêcher une prise de contrôle de la Cisjordanie par le Hamas, » selon Michael Eisenstadt, ancien officier-conseiller de Dayton.
Une attaque coordonnée contre la structure civile du Hamas a été lancée juste après le changement de pouvoir à Gaza en juin 2007. Le général-major Gadi Shamni, chef du commandement central de l’armée israélienne, a lancé une offensive visant la base de l’appui populaire au Hamas en Cisjordanie. Le plan, appelé stratégie de Dawa, revenait à viser précisément le réseau associatif et social du Hamas, pièce maîtresse de leur popularité parmi un grand nombre de Palestiniens.
Le docteur Omar Abdel Razeq, un ancien ministre des finances dans le gouvernement de courte durée de Hamas, explique les effets produits. « Quand nous parlons de l’infrastructure, nous parlons des sociétés, des coopératives et des institutions qui existaient afin d’aider les pauvres, » dit-il. « Ils ont liquidé la dite infrastructure du Hamas. »
Le brigadier-général israélien Michael Herzog, responsable de l’équipe autour d’Ehud Barak, ministre israélien de la défense, a résumé la position israélienne à l’égard du projet. « [Dayton] réalise un grand travail, » dit-il. « Nous sommes très heureux de ce qu’il fait. »
Accusations de tortures
La stratégie de Dawa a entraîné l’emprisonnement par les forces de l’autorité palestinienne [AP], de plus de 1000 Palestiniens. Les arrestations - bien que concentrées sur le Hamas et ceux suspectés d’être leurs alliés - ont touché une large part de la société palestinienne et toutes les organisations politiques.
Ont été touchés les assistants sociaux, les étudiants, les professeurs, les journalistes. Il y a eu des incursions régulières dans les mosquées, les campus universitaires et des associations caritatives, ainsi que des accusations répétées de torture pratiquées par des officiers formés et payés par les Etats-Unis et l’Union Européenne, avec plusieurs décès durant des garde-à-vue.
En octobre, Abbas a sorti un décret contre les formes les plus violentes de torture employées par ses forces et il a remplacé son ministre de l’intérieur, le général Abdel Razak al-Yahya, Al-Yahya - partenaire de longue date des Etats-Unis et d’Israël, par Said Abu Ali.
Tout en notant une amélioration depuis la sortie du décret, les militants des droits de l’homme disent que les changements ne sont pas suffisants. « Il n’y a aucun jugement en bonne et due forme, toujours aucune justification légale pour un grand nombre des arrestations et des civils sont toujours déférés devant des tribunaux militaires, » dit Salah Moussa, un juriste de la Commission Indépendante pour les Droits de l’Homme.
Le major-général Adnan Damiri, porte-parole des forces de sécurité palestiniennes, reconnaît les injustices reconnue mais attribué ces situations à des individus et non pas à une politique.
« Il y a parfois des officiers ou des soldats qui commettent des erreurs de cette sorte, avec des tortures, » dit Damiri. « Mais maintenant nous les punissons. » Damiri reconnaît 42 cas de torture, ces trois derniers mois, qui ont eu comme conséquence diverses formes de réprimande, dont des rétrogradations. Six soldats ont été chassés suite à leurs actes.
Mais dans les rues, l’humeur est de plus en plus sombre tandis que les services de sécurité soutenus par l’étranger resserrent encore leur poigne sur la Cisjordanie.
Naje Odeh, un dirigeant du courant de gauche dans Deheishe qui gère un centre actif pour la jeunesse dans le camp, a caractérisé l’appareil de sécurité comme similaires aux régimes pro-américains en Jordanie et en Egypte. « Si vous exprimez votre opinion, vous êtes arrêté, » explique-t-il. « Ce comportement détruira notre société. »
Selon Odeh, les forces de sécurité qui font ces incursions savent que ce qu’elles font est mauvais. « Pourquoi sont-elles masquées ? » demande-t-il avec emportement. « Puisque nous connaissons ces gens. Nous connaissons leurs familles. Ils ont honte de ce qu’ils font. »
Certains craignent que le comportement des forces de sécurité entraînées par les des Etats-Unis et l’Europe n’entraîne une confrontation potentiellement mortelle. « S’ils attaquent vos mosquées, vos salles de classe, vos associations, vous pouvez être patients, mais pendant combien de temps ? » interroge un important responsable islamique en Cisjordanie.
Abdel Razeq, l’ancien ministre des finances de Hamas, est plus explicite dans ses prédictions.
« Si les forces de sécurité persistent à défendre les Israéliens, c’est la voie assurée vers la guerre civile. »
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8 février - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/focus/...
Traduction : Naguib
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