15 février 2010

Imad Moghnié


IMAD MOUGHNIEH EST-IL MORT ?

14 février 2008

Selon les médias, le 12 février 2008 au soir, Imad Moughnieh a été assassiné à Damas dans un attentat à la voiture piégée. Moughnieh est un peu l'Arlésienne du terrorisme. On le dit coupable de nombre d'attentats, on l'imagine dans tous les coups tordus. Mais on ne faisait que l'entre apercevoir, cela depuis plus de vingt ans.

Qui est Imad Moughnieh ?

Une des rares photos de Imad Moughnieh (Moghnieh)Imad Moghnieh

Né dans une famille chiite pauvre du Sud Liban le 7 décembre 1962, il commence à faire parler de lui à partir de 1976, âgé de quatorze ans, quand il rejoint la Force 17, une unité directement sous le contrôle de Yasser Arafat. Comme de nombreux jeunes chiites, après ses "classes" aux côtés des Palestiniens, à partir de 1982, à la suite de l'invasion israélienne du Liban, il bascule dans la mouvance iranienne.

On le retrouve alors dans les groupes chiites, qui combattent les chrétiens libanais et formeront le Hezbollah.

On lui attribue l'attentat à la bombe perpétré contre l'ambassade des Etats-Unis à Beyrouth en 1983, la même année, les attaques aux camions piégés contre les forces françaises et américaines qui tuèrent 58 parachutistes et 241 Marines. Les Etats-Unis l'accusent d'être lié au détournement d'un avion de la TWA le 14 juin 1985. On l'estime aussi responsable, pendant la guerre civile libanaise, de nombreux kidnappings et assassinats d'étrangers, dont Terry Anderson (libéré en 1991) et le colonel William Francis Buckley (exécuté).

A en croire les Israéliens, il aurait participé aux attentats de mars 1992 et de juillet 1994, contre l'ambassade israélienne, puis le centre culturel juif à Buenos Aires.

Enfin, on l'a accusé d'avoir participé en 1996 à l'attaque des tours de Khobar (Arabie Saoudite), à celles menées contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998, enfin à l'agression perpétrée contre le USS Cole en 2000 au Yémen.

Même si tout cela semble un peu excessif, Imad Moughnieh n'était cependant pas un gentil pacifiste. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer le soin qu'il mettait à se cacher, évitant même, d'après les rumeurs collectées sur le terrain, à se rendre au Liban et préférant se terrer en Syrie et en Iran.

Par contre, quand Michael Ledeen, spécialiste du terrorisme et surtout membre fondateur du JINSA (1), accuse Moughnieh d'avoir entretenu des relations suivies avec Al-Qaïda par l'entremise d'Abou Moussab Al Zarqawi, on ne peut retenir un sourire. D'abord parce que Zarqawi haïssait les chiites au point de mener contre eux une lutte à mort. Ensuite en raison de la proximité que nous croyons avoir détectée entre Moughnieh et Moqtada As-Sadr, chef d'une milice chiite irakienne soutenue par l'Iran et ennemi juré de Zarqawi (2).

Concernant les activités auxquelles Imad Moughnieh se livrait dans le courant des dernières années, on demeure dans le flou. Selon les Israéliens et leurs amis, il dirigeait le système de sécurité du Hezbollah et servait de liaison entre ce dernier et l'Iran. On le prétendait même siégeant au Conseil consultatif du Hezbollah, la Choura, sous le nom de Jawad Noureddine. Pourquoi pas ?

En tout cas quand nous interrogions des personnalités proches de la mouvance islamiste chiite libanaise, un silence inquiet s'installait.

A cet égard, notre entrevue avec Cheikh Sobhi Toufeily a été révélatrice. Nous l'avons interviewé dans le courant de l'été 2006, dans la Bekaa. Secrétaire général du Hezbollah de 1989 à 1991, aujourd'hui en rupture avec le mouvement, il ne craint pas de tenir des propos d'une exceptionnelle violence contre son ancien parti et son actuelle direction (3). Par contre, concernant Moughnieh, il n'a pas désapprouvé ses attaques, même les plus inacceptables, quand la responsabilité de l'activiste chiite semble prouvée. L'interview une fois terminée, Toufeily a même dit, hors micro, qu'il valait mieux ne pas évoquer ce sujet.

Néanmoins, pour nous, l'annonce de la mort de Imad Moughnieh ne clôt pas le dossier.

Photo de Imad Moughnieh distribuée le 14 février par le bureau de l'information du Hezbollah

Imad Moughnieh est-il mort ?

La question peu surprendre mais qui, en dehors des Syriens et des hommes du Hezbollah peut l'affirmer sans hésiter ?

Imad Moughnieh était recherché par la plupart des services de renseignements occidentaux, par ceux d'Israël et probablement par certains pays arabes. Sa mort déclarée met un terme aux recherches et, s'il était toujours en vie, lui garantirait une retraite tranquille.

Pour s'assurer de sa mort, il n'existe qu'un moyen sûr : le prélèvement d'échantillons d'ADN pour les comparer à ceux de sa famille. L'acceptation ou le refus, par les Syriens et les responsables du Hezbollah, de la mise en place d'une telle procédure, seraient intéressants à observer.

S'il est mort, qui a tué Imad Moughnieh ?

A l'annonce de l'explosion de la voiture de Moughnieh, les regards se sont immédiatement portés sur Israël. Cette hypothèse semble, à première vue, la plus plausible. Elle ne devrait cependant pas exclure d'autres pistes potentielles.

En effet, sa mort arrange beaucoup de monde. D'une part il fait un bouc-émissaire bien pratique, pour de nombreuses actions commises dans le passé, d'autre part, une fois mort, il ne risque plus de parler.

Pourquoi a-t-il été tué
dans un site sécurisé syrien ?

D'après les informations, Moughnieh aurait été tué "par l'explosion de sa Mitsubishi Pajero blanche alors qu'il se déplaçait dans un quartier résidentiel hyper-sécurisé de Damas, abritant notamment un QG des services secrets syriens ".

Ou bien les services israéliens ont fait de notables progrès, depuis leurs échecs répétés, principalement pendant la guerre menée contre le Liban en juillet 2006. Ou bien, plus aptes à mener une pareille attaque, compte tenu du lieu, les Syriens sont les auteurs de l'assassinat. Ceci n'exclut cependant pas la possibilité d'une opération menée par un service occidental pour donner un coup de semonce au régime de Bachar Al-Assad, accusé de parrainer les attentats qui ensanglantent le Liban.

La seconde hypothèse collerait parfaitement avec l'idée d'une fausse disparition, les services syriens gardant plus facilement la maîtrise des constats policiers et de l'établissement de l'identité du mort, dans un secteur sous leur contrôle.

Une attaque israélienne, par contre, apparaîtrait comme un signal fort donné au pouvoir syrien, afin de le prévenir de sa vulnérabilité face aux coups de Tel-Aviv.

Pourquoi le choix de la date ?

On l'a vu, l'annonce de la mort de Moughnieh a éclaté le 12 février au soir, deux jours avant l'anniversaire de la mort de Rafic Hariri, le 14 février. Or, ce jour-là est, au Liban, l'occasion de rassemblements spectaculaires de sunnites et de chrétiens appartenant à la majorité politique.

La coïncidence entre les deux événements fait craindre une planification pour exacerber les tensions entre cette majorité, dite du 14 mars, et leurs adversaires chiites. Du reste, comme pour ajouter à nos craintes, le Hezbollah a choisi le 14 février pour enterrer son " héros ".

En pareil cas, il faut encore le reconnaître, Syriens et Israéliens tireraient des avantages symétriques d'une nouvelle guerre civile entre les deux camps politiques libanais.

Certes nous souhaitons des réponses à toutes ces questions mais craignons que seul un pesant silence ne leur fasse écho. Pourra-t-il en être autrement tant qu'Israël, la Syrie et l'Iran convoiteront ce malheureux Pays des Cèdres.



Alain Chevalérias

Notes

(1) JINSA : Jewish Institute for National Affairs, un " think-tank " judéo-américain très proche d'Israël dont plusieurs membres sont associés à " l'administration " Bush.

(2) D'après les informations du " Centre de Recherches sur le terrorisme Depuis le 11 septembre 2001 ", Moughnieh avait été vu entraînant des hommes de Moqtada As-Sadr dans le sud de l'Irak (Voir l'article " Groupes armés en Irak " et dans Brèves-2007

(3) Voir notre interview du " Cheikh Sobhi Toufaily " (Toufeily).

Moughnieh peut aussi s'écrire : Moghnieh, Mughnieh, Mughnie, Moghnie, Moughnie, Mughniyah, Moghniyah, Moughniyah, Mughniya, Moghniya, Moughniya etc...

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