Source / auteur :
Courriel Aven
Anniversaire du premier tir d’expérimentation dans le Pacifique : l’autosatisfaction de M. Morin s’appuie sur le mensonge et la désinformation
mis en ligne vendredi 2 juillet 2010 par jesusparis
Communiqué de presse
Moruroa et Tatou & Aven
(Association des vétérans des essais nucléaires)
Il est certainement aventureux de comparer les diverses législations nationales ayant trait aux réparations dues aux victimes des essais nucléaires. Les « cultures » nationales et les systèmes juridiques nationaux sont très différents d’un pays à l’autre, notamment entre des Etats de tradition anglo-saxonne et la France. C’est pourtant ce que n’hésite pas à faire M. Morin dans le dossier de presse du 28 juin 2010 remis aux journalistes lors de l’inauguration des bureaux du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
Arrogance
Les pays de culture anglo-saxonne du Pacifique – Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji…- ont souvent qualifié la posture de notre pays sous l’expression d’« arrogance française » lorsqu’elle reprenait en 1966 des essais nucléaires aériens en Polynésie qualifiés de « propres » alors qu’un traité international d’interdiction avait été signé en 1963, lorsqu’elle commettait en 1985 un acte invraisemblable de piraterie à l’encontre du Rainbow Warrior dans le port d’un pays allié, lorsqu’elle décidait unilatéralement de reprendre des essais nucléaires en 1995 à Mururoa rompant ainsi le moratoire international décidé par les grandes nations depuis 1991… Aujourd’hui cette « arrogance » se manifeste encore avec la prétention affichée publiquement par un « service » du ministère de la défense d’avoir fait voter par le Parlement une loi d’indemnisation des victimes de ses essais nucléaires « parmi les plus généreuses qui existent » !
Désinformation
S’il est un hommage que nous devons rendre, ce n’est certes pas à la législation américaine, mais à la très ancienne lutte et au combat mené depuis des décennies par les syndicats de travailleurs du nucléaire américains, par les populations victimes des essais américains aux Marshall et autres îles du Pacifique, au Nevada et Etats voisins, aux 200 000 vétérans, à leurs avocats et à leurs parlementaires. Si la loi américaine est ce qu’elle est aujourd’hui – c’est-à-dire globale et mettant sur pied d’égalité toutes les victimes du nucléaire, qu’ils soient civils ou militaires – c’est grâce à ce combat exemplaire et incessant des victimes américaines devant les tribunaux et le pouvoir fédéral. Le 19 janvier 2002, au Sénat à Paris, nous avons écouté les exposés vigoureux de l’américaine Patricia Broudy et de la britannique Sheila Grey, toutes deux veuves de vétérans des essais (hélas aujourd’hui décédées), montrant l’âpreté de leur lutte contre leurs gouvernements, eux-aussi, comme celui de la France, toujours aussi réticents à prendre en compte leur irresponsabilité et des réparations justifiées.
Pour se féliciter de la « générosité » de la loi française, le ministre de la défense se permet de ne citer que les premières petites victoires de ces vétérans américains ou britanniques, omettant les plus récentes et les plus remarquables. Pour n’en citer que quelques-unes, rappelons que depuis la loi d’octobre 1990, aux Etats-Unis, c’est le ministère de la Justice qui a la charge d’administrer le Fonds de compensations, et que les amendements de novembre 2000 ont doublé les indemnités forfaitaires et ajouté le bénéfice d’une assurance maladie ; rappelons que le corpus législatif américain inclut au même titre toutes les victimes de l’industrie nucléaire civile et militaire, objectif énergiquement rejeté par le DSND dans une interview à El Watan le 24 février 2010, déclarant qu’introduire la présomption d’origine dans la loi Morin n’est pas acceptable car elle « peut avoir des effets collatéraux sur toute l’industrie nucléaire civile » ; rappelons aussi que l’accord d’association entre les Etats-Unis et la République des Iles Marshall de décembre 1985, après de longues luttes, prévoit que ce sont des juges marshallais qui attribueront les indemnisations aux victimes marshallaises des essais américains, le Fonds étant alimenté (avec parcimonie, il est vrai…) par le gouvernement fédéral américain ; rappelons encore que le 7 décembre 1993, le gouvernement Clinton a ouvert quasiment entièrement les archives des essais nucléaires américains, permettant ainsi aux vétérans et aux habitants proches des anciens sites d’essais d’avoir accès librement aux preuves de leur contamination ; rappelons enfin que les personnels du site d’essais américains du Nevada au temps des essais souterrains, essentiellement sous statut civil d’employés du Department of Energy, ont eu accès aux régimes de compensation des professionnels de l’industrie nucléaire, aligné en novembre 2000 sur les règles applicables aux vétérans des essais aériens. soulignons enfin que la réglementation britannique présentée allusivement dans le document du ministre n’a pas de rapport avec l’indemnisation des victimes des essais nucléaires.
Liste tronquée
On portera une particulière attention à l’étendue de la liste des maladies explicitée dans le document du ministre. Ce dernier considère qu’une dose de 100 mSv est « modérée » alors que la réglementation française fixe à 1 mSv la dose annuelle maximale admissible ! Son raisonnement sur les « 31, voire 36 maladies » de la loi américaine qui effectivement détaille certains cancers qui sont regroupés sous un seul nom dans la loi française, devra être retenu au cas où un dossier de victime sera rejeté pour maladie non « éligible » selon la terminologie de la liste française. Concernant les cancers du système sanguin, la réglementation américaine explicite nommément les lymphomes et myélomes dans la liste RECA, alors que la loi Morin a refusé d’inscrire ces deux maladies sur sa liste malgré les demandes des associations, des parlementaires et des institutions officielles de la Polynésie française. M. Morin considère que la liste américaine comporte seulement 20 maladies (au lieu des 31, voire 36) parce qu’elle n’a pas bénéficié des avancées scientifiques de l’UNSCEAR 2006 ! Or chacun sait maintenant que les avancées scientifiques de l’UNSCEAR ont ceci de particulier qu’elles ont permis de considérer les maladies cardiovasculaires et les atteintes au système immunitaire comme des maladies radio induites.
Le décret d’application de la loi Morin est malveillant à l’égard des victimes. Nous avons là une preuve supplémentaire que l’Etat a manqué d’impartialité en confiant la responsabilité du suivi des conséquences des essais à un ministère de la défense et ses experts du CEA. De plus, M. Morin ajoute qu’il va faire prendre en charge la constitution des dossiers d’indemnisation par ses propres services et sous-traiter cette tâche à la CPS pour les Polynésiens, évidemment pour éviter le suivi par nos avocats. A la clé, le ministre de la défense promet une indemnisation 5 ou 6 fois moindre que celle attendue par nos avocats ! Il faudra tenir compte de tout cela dans la suite de notre combat qui, à l’instar de celui de nos amis américains, britanniques, australiens, néo-zélandais… est loin d’être terminé.
Quelques références
Brève histoire du système de compensations des Etats-Unis, Robert Alvarez, Cahier de l’observatoire des armes nucléaires françaises Hors série, 2002 (voir http://www.moruroa.org/ Dans le monde)
Les essais nucléaires et la santé, Actes de la conférence du 19 janvier 2002 au Sénat, Lyon, CDRPC
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