Par Noam Sheizaf
La droite israélienne vient d'apprendre un nouveau mot : "anarchiste". Le député Miri Regev a qualifié les leaders de la "Révoltes des tentes" "d'anarchistes qui sapent activement l’État" ; le journaliste économique de Channel 10, Sharon Gal, a dit que les manifestants étaient "un type d'anarchistes" ; en ligne, des commentaires sur Facebook reflètent des sentiments similaires. Foutaises. Le mouvement pour la justice sociale est dirigé par la classe moyenne : il y a toujours eu dans les manifestations beaucoup plus d'Israéliens moyens que de révolutionnaires professionnels.
Mais parlons des anarchistes eux-mêmes. Au cours des deux ou trois dernières années, j'ai participé avec eux à de nombreuses manifestations en Cisjordanie et j'ai appris à en connaitre quelques-uns - surtout des membres du groupe Anarchistes contre le mur (AATW). Et je peux dire sans exagérer que cette rencontre a fondamentalement modifié ma perception politique.
Au début, j'étais étonné de voir que ces anarchistes ignoraient des événements qui me semblaient très importants - comme les élections à la Knesset ou les manifestations place Rabin. Pourtant, au bout de quelque temps, j'ai commencé à comprendre la force de leur engagement. Un des aspects de celui-ci est de penser politiquement tous nos choix de vie - ce que nous mangeons, qui nous exploitons par notre travail, comment nous opprimons les autres. Un autre aspect est de privilégier une implication dans une action politique continue et déterminée. Leur militantisme ne s'exprime pas seulement par des manifestations : les anarchistes ont aussi changé les noms des rues de Tel-Aviv par des noms reprenant celles d'Hébron sous occupation ; ils ont posé des autocollants dénonçant les attaques de représailles dites du "prix à payer" (price tag) par les colons contre les Palestiniens ; et ils ont renvoyé à l'ambassadeur des États-Unis des colis de grenades lacrymogènes usagées fabriquées aux USA et utilisées par l'armée israélienne contre les manifestations de Cisjordanie .
Il s'agit d'actions principalement symboliques, destinées à sensibiliser la population juive sur ce qui est fait en son nom, tout à côté de Tel-Aviv. Le fait que ces quelques anarchistes soient les seuls Israéliens juifs décidés à s'opposer sérieusement à l'occupation - sans se contenter de gémir sur elle dans les conversations de café ou dans les pages d'Ha'aretz - est un constat peu flatteur pour la société israélienne.
Barrage routier installé par les anarchistes au centre de Tel-Aviv pour protester contre les restrictions à la liberté de circulation des Palestiniens dans les territoires occupés (photo: Oren Ziv/Activestills)
Ces Anarchistes contre le mur (AATW) ne sont que quelques dizaines mais ils ont un impact énorme. Des milliers d'Israéliens sont allés à Bil'in et vu de leurs yeux l'armée israélienne telle que la voient les Palestiniens - côté canon du fusil plutôt que derrière la gâchette (une expérience qui modifie votre point de vue). Suite aux manifestations, l'armée a modifié le tracé de la barrière de séparation à Bil'in. Mais, plus important, les manifestations ont contribué à une certaine prise de conscience de l'occupation au sein de toute une génération.
La lutte à Sheikh Jarrah est née de l'activisme des anarchistes. Et même les protestataires pour la justice sociale ont appris quelque chose d'eux - et je ne fais pas référence au bris des vitrines des banques.
La plupart des accusations portées contre les anarchistes sont des mensonges. J'ai participé à des dizaines de manifestations et je n'ai pas vu une seule fois un anarchiste jeter une pierre ou attaquer un soldat ou un officier de police. Contrairement au mouvement anarchiste mondial, les anarchistes israéliens circonscrivent leur militantisme à la désobéissance civile et à la non-violence : refus de faire son service militaire, blocages de routes, actions de boycott, détention volontaire. Pour ces actes, ils paient un prix personnel très cher.
Même quand je ne suis pas d'accord avec eux et que j'ai du mal avec leur dogmatisme, je reste persuadé que ces anarchistes constituent le groupe de militants de gauche le plus influent qu'ait connu Israël depuis des décennies. Dans quelques années, beaucoup de gens qui leur bavent dessus aujourd'hui prétendront les avoir soutenus depuis le début. Comme l'un des activistes l'a écrit cette semaine sur Facebook : si les anarchistes étaient aussi nombreux que le prétendent les imbéciles de la Knesset, il y aurait beaucoup moins d'imbéciles à la Knesset.
Visiter le site Anarchists Against The Wall
Source : +972mag
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