31 juillet 2012

Ce que dit Dani Dayan et pourquoi il faut y accorder de l’attention

mardi 31 juillet 2012 - 06h:49
Richard Falk
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L’article de Dani Dayan, « Les colons israéliens ne partiront pas » a été publié par le NY Times le 26 juillet.
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Photo : Tamar Fleishman
Dayan est le président du Yesha Council of Jewish Communities, et est connu depuis longtemps comme un des principaux porte-parole du mouvement des colons. La réaction habituelle à ce genre de déclaration d’un colon est de la balayer d’un revers de main en la qualifiant d’expression extrémiste de la position israélienne, ce qu’elle est certainement, mais ce serait une erreur de le faire avant de s’être intéressé de plus près à son contenu et à son timing. Les prémisses morales et légales sur lesquelles Dayan fonde sa certitude que les colons ne quitteront jamais la Cisjordanie n’ont aucune valeur mais les arguments politiques qu’il avance sont si indéniables qu’on ne voit pas comment les réfuter.
Il pourrait aussi être utile de se demander si Dayan n’a pas été encouragé par le camp de Netanyahu, connu pour être un des leaders israéliens les plus favorables au rêve des colons, à larguer cette bombe au milieu du tourbillon électoral américain comme une sorte de ballon d’essai.
Dayan commence par affirmer que le mouvement des colons a des droits sur le territoire conquis en 1967 parce que ce sont les Palestiniens qui à l’époque menaçaient Israël d’annihilation et que c’est seulement pour se défendre qu’Israël est entré en possession de la Cisjordanie et de l’ensemble de Jérusalem. C’est un argument sans valeur aux yeux de presque tous les spécialistes du droit international, de plus cette chronologie des évènements de 1967 est de plus en plus contestée par les historiens de la diplomatie et enfin la conquête a été politiquement rejetée immédiatement après les faits par la communauté internationale tout entière y compris les Etats-Unis. Ce rejet a été exprimé dans la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU votée à l’unanimité en 1967 qui demande expressément à Israël de se retirer des territoires occupés pendant la guerre des 6 jours.
Aucun leader israélien n’a jamais ouvertement remis en question son interprétation bien que le mouvement des colons ait, depuis son origine, nourri en Israël le doute qu’un accord de paix soit vraiment dans leur intérêt s’il signifiait qu’il leur faudrait rendre les territoires occupés en 1967. Le compromis de facto des Israéliens a donc été de se rallier au consensus autour de la mise en place progressive de deux Etats tout en rendant cette solution de plus en plus impraticable sur le terrain.
On peut s’étonner que la plupart des gouvernements de la planète et des officiels les plus importants de l’ONU aient choisi d’ignorer cette évidence jusqu’à aujourd’hui. Ce que Dayan dit en réalité au monde c’est que la réalité sur le terrain rend inutile l’hypocrisie de continuer à faire semblant qu’une paix négociée entre les deux camps soit, ou ait jamais été, une option politique. De son point de vue, il y a maintenant trop de colons apparemment incorruptibles et déterminés à rester là : la preuve ils auraient pu faire, par le passé, des profits en revendant leurs biens dans les colonies et ne l’ont pas fait.
Dayan souligne qu’il a été presque impossible au gouvernement Sharon d’évacuer 8000 colons de Gaza en 2005, et donc l’idée d’évacuer les 350 000 colons qui vivent maintenant en Cisjordanie (chiffre qui se montera à 400 000 en 2014), et dont 160 000 ne sont pas installés dans les conglomérats coloniaux relève de l’illusion ou comme le dit Dayan serait « proportionnellement de plus en plus difficile » et donc que leur présence « dans toute la Judée et la Samarie... est un fait irréversible ». Une personne responsable peut-elle contester la force de l’argument de Dayan sur ce problème central ?
Dayan développe son argumentation en invoquant un mélange de "droits inaliénables" et de « realpolitik » favorable aux colons. Je trouve que Dayan est convaincant du point de vue de la realpolitik, étant donné l’équilibre actuel des pouvoirs entre Israël et la Palestine, dans la région et dans le monde, même si cela peut vite basculer. Par contre, quand il prétend que sa conception du Grand Israël repose sur des droits inaliénables, il est vraiment de parti pris et de mauvaise foi. Sa position contredit l’Article 49(6) de la Quatrième Convention de Genève qui interdit qu’une puissance occupante transfère sa propre population dans un territoire occupé ou modifie le caractère d’une société occupée.
Dayan semble aussi ne pas se rendre compte qu’il est immoral de déplacer les Palestiniens qui vivent dans ce pays depuis des siècles même si on adhère au dogme sioniste que la Palestine historique est vôtre patrie. Le fait que les leaders palestiniens et les gouvernements arabes voisins aient rejeté le plan de partition décidé par l’ONU en 1948 ne signifie pas que le peuple palestinien ait du même coup perdu ou renoncé à son droit à l’autodétermination qui est absolument inaliénable. Et cela ne signifie certainement pas que les Palestiniens puissent être condamnés à vivre dans des conditions d’apartheid en tant que minorité (qui pourrait vite devenir une majorité) sans droits et sans pouvoirs d’autant plus que l’apartheid fait partie des crimes contre l’humanité dans les statuts du Tribunal international. Il existe sans aucun doute des droits inaliénables mais ce sont ceux des Palestiniens et non des colons.
Dayan emploie, pour parler de la Cisjordanie les termes de « Judée et Samarie » qui sont les noms bibliques dans la tradition juive, sans doute pour mettre l’opinion internationale devant le fait accompli du statut de ces territoires. On peut au moins reconnaître son insolente honnêteté, il ne se cache pas derrière des ambiguïtés linguistiques évasives comme l’ont généralement fait les diplomates israéliens pendant toutes ces années chaque fois qu’ils devaient s’expliquer sur l’expansion continuelle des colonies, la création d’un coûteux réseau de routes au seul profit des colons et la construction du mur de séparation, tout en réaffirmant leur volonté de négocier la formation d’un Etat palestinien indépendant.
Dayan ne mâche pas ses mots quand il affirme qu’un Etat palestinien entre le Jourdain et Israël aurait toujours été une catastrophe inacceptable pour la sécurité d’Israël. Un tel Etat palestinien tomberait vite sous le contrôle du Hamas et deviendrait le lieu de refuge des centaines de milliers de Palestiniens avides de vengeance qui ont vécu presque 65 ans dans des camps de réfugiés. Selon Dayan, un tel Etat palestinien serait un creuset d’extrémisme anti-israélien et il faudrait rapidement le réoccuper militairement. On comprend le raisonnement du point de vue de la realpolitik israélienne mais ses implications pour les Palestiniens sont tellement clairement inacceptables qu’on ne peut qu’y voir une déclaration de guerre totale et permanente contre les espoirs, les aspirations et les droits des Palestiniens. C’est peut-être pour cela que la façon de voir de Dayan a rarement été développée au dehors d’Israël.
Pour être honnête Dayan n’est pas complètement insensible au sort des Palestiniens. Il faut porter à son crédit le fait qu’il ne mentionne pas et qu’il soutienne encore moins le nettoyage ethnique pour garantir la pérennité de l’identité juive dans un régime démocratique. Dayan a l’air d’accepter l’éventualité d’une majorité palestinienne à condition que les Israéliens gardent le contrôle, en d’autres termes, la domination israélienne lui semble suffisante pour garantir la sécurité et c’est plus important que la recherche d’une légitimité démocratique. Sans soulever la question des droits des Palestiniens, Dayan affirme que l’Autorité palestinienne n’est pas mécontente du statu quo et que le développement économique se poursuit dans les endroits qu’elle dirige, spécialement à Ramallah et dans ses environs. De plus, si les Palestiniens acceptaient de renoncer à leur résistance inutile, la plupart des checkpoints pourraient être enlevés selon lui. Sa « solution » du problème des réfugiés est d’améliorer les conditions de vie dans les camps dont il reconnaît l’état déplorable.
Le fait que Dayan pense que sa position est moralement, légalement et politiquement défendable montre à quel point il est loin de l’idée universelle de justice lorsqu’il cherche à nous convaincre que non seulement il n’y pas d’occupation mais qu’il est possible de faire en sorte que tout le monde soit content y compris les Palestiniens.
Pourquoi ne pas se contenter de considérer cette attaque contre la dignité humaine comme simplement une nouvelle confirmation de l’audace et de l’extrémisme du mouvement des colons et passer son chemin ? Elle mérite pourtant une réponse plus réfléchie pour plusieurs raisons. D’abord, l’analyse de Dayan fait exploser le cadre diplomatique en vigueur actuellement, cadre qui a enfermé les Palestiniens dans un cauchemar infini d’oppression et d’impuissance. En faisant cela, Dayan ouvre la voie au dialogue nécessaire pour définir ce qui peut remplacer la solution de deux Etats. D’une manière plus marginale, il donne de la crédibilité aux arguments de ceux qui, comme moi, considèrent le processus de paix comme un mensonge cruel dont les Palestiniens et l’opinion publique sont victimes au son du tic tac de la bombe coloniale que personne ne désamorce.
Il se peut aussi que, délibérément ou non, le NY Times, en publiant les opinions de Dayan qui sont l’extrême opposé de sa ligne éditoriale depuis des années, ait décidé tardivement de reconnaître que le conflit israélo-palestinien a pris une nouvelle dimension. Peut-être que cet auguste journal qui ne s’écarte jamais beaucoup de la ligne du Pentagone et de département d’Etat sur la politique étrangère au Moyen-Orient a reçu un signe de Washington lui indiquant qu’il était temps d’entamer un nouveau débat sur la manière de décrire le conflit et même de s’attaquer à la tâche difficile d’imaginer les tenants et les aboutissants d’une nouveau processus de paix. D’un autre côté, il semble si étrange de lâcher une telle bombe de fumée au milieu d’une campagne électorale présidentielle déjà fort déroutante qu’on se demande si les chiens de garde du NY Times, normalement si vigilants, n’ont pas laissé par mégarde l’opinion dissidente Dayan radicalement opposée à la sagesse libérale conventionnelle de ce journal se glisser dans ses pages.
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* Richard Falk est professeur émérite de droit international à l’Université de Princeton et a enseigné les études mondiales et internationales à l’université de Californie à Santa Barbara. Il a écrit et dirigé de nombreuses publications sur une période de cinq décennies, il a publié récemment le volume « International Law and the Third World : Reshaping Justice » (Droit international et tiers-monde : réorganiser la justice) (Routledge - 2008). Il remplit actuellement la fonction de Rapporteur Spécial de l’ONU sur les droits civils des Palestiniens.
Du même auteur :
juillet 2012 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/v...
Traduction : Info-Palestine.net - Dominique Muselet

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