09 juillet 2012

L'Autorité Palestinienne, l'UNESCO et l'illusion du triomphe

Par Ryvka Barnard

En un week-end, deux séries de photos en apparence disparates ont dominé les nouvelles venant de Palestine : une série montrait les agents touristiques locaux et des dirigeants de l'Autorité Palestinienne (AP) à Bethléem, célébrant l'inscription de l'Eglise de la Nativité au Patrimoine mondial de l'UNESCO. L'autre série d'images, venant de Ramallah, montrait la police et les voyous de l'AP matraquant des manifestants qui étaient descendus dans les rues pour exprimer leur colère sur une réunion prévue (et plus tard annulée) à Ramallah entre le vice-premier ministre israélien Shaul Mofaz et le président de l'AP Mahmoud Abbas. Les deux séries de photos dépeignaient la triste et poignante réalité de l'occupation et de la candidature d'Etat de l'AP. Cette réalité est celle d'une direction non élue et non représentative, qui est plus préoccupée par l'organisation de spectacles destinés aux Israéliens et aux Américains que par la résistance à l'occupation.

L'Autorité Palestinienne, l'UNESCO et l'illusion du triomphe
1er juillet 2012 - Un des voyous des forces de sécurité de l'AP s'acharne sur un manifestant à terre lors d'une protestation à Ramallah contre une rencontre prévue entre le criminel de guerre israélien Mofaz et l'ex-président palestinien (depuis janvier 2009) Mahmoud Abbas




Il y a quelques semaines, le représentant palestinien à l'UNESCO a présenté un dossier pour que l'Eglise de la Nativité à Bethléem soit inscrite sur la liste des "sites du patrimoine mondial en péril" et, à la consternation d'Israël et des Etats-Unis, il a été accepté. En octobre 2011, l'admission de la Palestine à l'UNESCO en tant que membre à part entière a eu lieu dans le contexte d'une candidature d'Etat controversée, et dansl la foulée, les Etats-Unis ont retiré leur financement de l'organisation. L'inscription de l'Eglise de la Nativité à la liste est le premier résultat de l'admission palestinienne à l'UNESCO. Elle a été saluée par l'AP et par de nombreux supporters des droits palestiniens comme une grande victoire, et même, selon le Premier ministre Salam Fayyad, "un triomphe de la justice". Des responsables israéliens et américains ont froncé les sourcils et exprimé leur désapprobation, allant jusqu'à dire que cette démarche, très discutable, était même un acte de résistance. Si seulement cela avait été le cas.

A l'automne dernier, des critiques de la candidature d'Etat avaient prévenu que c'était une démarche de l'AP pour conserver le pouvoir, pour priver davantage de leurs droits les Palestiniens qui ne relèvent pas de la compétence de l'AP, et pour créer un show international dans lequel l'AP apparaîtrait comme une force de résistance. Certains ont judicieusement fait observer que la candidature étatique pourrait être pardonnable si l'amélioration du statut permettait de contester, sur la scène internationale, les violations israéliennes du droit international. Malheureusement, le choix de l'Eglise de la Nativité comme premier site inscrit n'est rien d'autre qu'une reformulation du statu quo de l'occupation, et sera probablement insignifiante, sinon destructrice, pour les communautés palestiniennes en Cisjordanie .

L'Eglise de la Nativité est située en plein milieu de la Zone A, une des petites parties de Cisjordanie sous contrôle total de l'AP (c'est-à-dire contrôle sous occupation). Des millions de touristes étrangers la visitent tous les ans, dont la grande majorité arrivent par autocars depuis leurs hôtels à Jérusalem, loin du mur d'apartheid, loin des camps de réfugiés, loin des maisons et commerces détruits récemment. Les touristes sont transportés à une autre réalité Place de la Mangeoire, où ils peuvent voir le berceau antique de Jésus sans avoir à reconnaître qu'il est situé dans une ville, une ville avec des gens dedans, des gens qui luttent sous une occupation toujours plus dure. La plupart des organisateurs de circuits évitent soigneusement tout allusion à la politique ou à quoi que ce soit de contemporain pour ne pas effrayer ces touristes apparemment délicats.


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L'église de la Nativité, Bethléem


Les agences touristiques palestiniennes s'accordent toutes à dire qu'en fin de comptes, dans les conditions actuelles, l'Eglise de la Nativité est perdue pour le tourisme palestinien. L'industrie touristique a un problème de fuite majeur, qui ne fait pas référence à la toiture percée de l'église (un problème que l'UNESCO résoudra peut-être), mais plutôt au fait que l'industrie touristique ne génère pas de ressources réelles, et certainement pas venant des visiteurs de l'église. L'argent perdu est de l'argent gagné par l'industrie touristique israélienne. Ce sont les voyagistes israéliens qui accueillent les groupes à l'aéroport pendant que les voyagistes palestiniens les attendent derrière le mur d'apartheid, espérant, la plupart du temps en vain, qu'ils passeront plus d'une heure en Cisjordanie , et qu'ils y dépenseront au moins quelques shekels, avant de quitter Bethléem dans un nuage de poussière des autobus de leur voyage organisé.

Bien sûr, les tours-opérateurs palestiniens qui arrivent à avoir un commerce lié à l'Eglise de la Nativité sont les plus chanceux du lot, surtout si on compare avec les activités touristiques dans les parties plus rurales de la Cisjordanie , en dehors des enclaves contrôlées par l'AP. La Zone C, qui représente plus de 60% de la Cisjordanie , est sous contrôle israélien total, ce qui signifie que les Palestiniens ont un accès extrêmement limité et aucun pouvoir décisionnaire sur l'aménagement de ces zones. Ils ne peuvent ni construire ni même rénover sans un permis pratiquement impossible à obtenir des Israéliens, que ce soit un individu qui veut creuser un puits sur sa propriété personnelle, ou une communauté qui veut rénover un site historique qui pourrait permettre un développement touristique. A cause du contrôle limité de l'AP en Zone C, certains sites, comme les ruines historiques de Sebastiya, ont cherché des sponsors internationaux pour les rénover, pour au moins rendre leurs projets un peu plus visibles avant qu'ils soient tranquillement avalés par l'expansion israélienne.

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Une partie du site archéologique de Sebastiya, à l'ouest de Naplouse


Un projet touristique fantastique est en cours sur le secteur municipal de Bethléem, dans le village de Battir, qui chevauche la ligne verte dans les collines de Jérusalem. Battir et son voisin Al-Walaja abritent une vaste étendue de terrasses agricoles romaines deux fois millénaires, qui comprennent un système intégré de canaux bordés de pierre qui emmènent l'eau depuis les sources du village jusqu'aux plateaux cultivés. Les villages vont être coupés de ce paysage magnifique, qui n'est pas seulement le patrimoine mais aussi le moyen de subsistance de ces villages, par la construction imminente du mur d'apartheid.

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Battir, à l'ouest de Bethléem, à cheval sur la ligne verte, et ses cultures en terrasses millénaires


Le paysage serait alors inclus dans un "Parc vert" élaboré par le Fonds national juif, qui a déjà commencé à se vanter que le paysage raconte l'histoire de l'agriculture et de l'installation dans "la terre d'Israël". Les deux villages se sont mobilisés sans relâche pour stopper la construction du mur. En fait, Battir a déjà préparé un dossier sur ces paysages en conformité avec les normes de l'UNESCO, et a remporté un prix UNESCO pour leurs activités de conservation et de promotion de la préservation des anciennes pratiques agricoles.

Battir, dont la plus grande partie est en Zone C, aurait été un choix évident pour un site en péril imminent, et si l'AP avait choisi de soumettre son dossier, ce que beaucoup pensait qu'elle ferait, elle aurait présenté un cas beaucoup plus convaincant. Le danger imminent à Battir, et dans d'autres projets de la Zone C qui auraient pu être traités en priorité, vient de la menace directe de la construction du mur et de son annexion des terres. Donner la priorité à ces sites aurait été un défi direct aux politiques expansionnistes d'Israël. Une telle démarche aurait forcé l'attention sur les destructions continues de l'occupation et son appropriation du patrimoine et des moyens de subsistance palestiniens pour en faire des espaces "verts" et les limites municipales d'Israël. Cela aurait confronté la redéfinition des frontières israéliennes, un processus qui réduit la terre palestinienne, minute par minute, dans la Zone C.

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Le mur à Al-Walaja, décembre 2010 (photo Anne Paq/Activestills, Chroniques de Palestine)


Dans ces conditions, on aurait espéré et attendu que les sites de la Zone C soient prioritaires dans le processus de reconnaissance par l'UNESCO. Mais comme on pouvait s'y attendre, l'AP a choisi l'Eglise de la Nativité, qui ne souffre d'aucune controverse ; comme on pouvait s'y attendre, Israël et les Etats-Unis ont exprimé leur désapprobation ; comme on pouvait s'y attendre, l'AP a scénarisé son choix profondément lâche comme une sorte de geste audacieux et provocateur.

Je ne suggère pas que l'occupation pourrait se terminer par une simple formule de choix d'un site plutôt qu'un autre en tête de liste des sites en péril de l'UNESCO. Personne ne se fait d'illusion sur le rôle limité de l'adhésion à l'UNESCO dans le cadre plus large de la politique palestinienne. Mais c'est précisément là le problème : que les décisions et déclarations de l'AP sur la culture et le patrimoine ne puissent pas être comprises hors du contexte politique dans lequel elles sont prises. Ce contexte politique est celui d'un régime qui ne contestera pas directement Israël, et qui croit qu'il doit maintenir la loi, l'ordre et la sécurité pour signifier sans cesse qu'il est prêt et capable d'avoir un Etat.

Mais la "sécurité" sous occupation est en réalité le maintien de la sécurité d'Israël par la force et par l'élimination de toute menace au statu quo par la répression politique. La répression de l'AP n'est pas un événement occasionnel ; c'est un élément régulier des tentatives du régime actuel pour maintenir et consolider son pouvoir dans les petites enclaves de Cisjordanie qu'Israël et les Etats-Unis ont désigné comme sacrifiables à l'expansion d'Israël. On peut le voir à travers le contrôle de la population par les forces sécuritaires de l'AP entraînées par les Etats-Unis (les hommes de Dayton) ; à travers les mesures néo-libérales de Salam Fayyad, qui tente de désactiver la résistance collective en noyant les Palestiniens de Cisjordanie dans la dette individualisée. Et on peut le voir dans tous les aspects de l'organisation étatique et le développement : le tourisme et l'industrie du patrimoine ne font pas exception.

Dans les jours qui ont suivi, pendant que les célébrations avaient lieu dans la bulle de la Place de la Mangeoire, les voyous de l'AP matraquaient et arrêtaient des Palestiniens dans une démonstration de force qui a montré à Israël leur volonté d'agir comme gardes du corps du ministre de l'apartheid Mofaz. Ces scènes sont reliées entre elles par la candidature d'Etat de l'AP. On ne sait pas ce qui sera le plus assourdissant : le bruit de la construction du mur qui va enfermer al-Walaja et Battir, ou le raffut d'Abbas, de Fayyad et de leurs petits copains quand ils fêteront leur triomphe de la justice dans l'église restaurée par l'UNESCO. Peut-être convieront-ils Mofaz, comme invité d'honneur.

Source : Jadaliyya
Traduction : MR pour ISM

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