Après 35 ans en prison et libérable en 2032, El Shennawy veut mourir
Philippe El Shennawy (Association Ban public)
Portrait Depuis le hold up de l'avenue de Breteuil en 1975, Philippe El Shennawy a passé le plus clair de son temps derrière les barreaux. Devant purger encore 20 ans de réclusion, il a décidé de cesser de s'alimenter. Depuis 45 jours.
Le «détenu professionnel» en a assez. Après 35 ans derrière les barreaux, et encore 20 ans à purger, Philippe El Shennawy a cessé se battre. Depuis 45 jours, il ne s’alimente plus, et se contente désormais de boire, de l’eau ou du café. «Ce n’est pas une grève de la faim, c’est un suicide, explique Martine El Shennawy, son épouse. Vous ne pouvez pas demander à quelqu’un qui est au placard depuis 1975 de faire 20 ans de plus.»Les maigres espoirs de Philippe El Shennawy s’envolent le 18 mai 2012, quand la cour d’appel de Versailles lui accorde une confusion de peine minimale – 4 ans – sur les 25 années qu'il lui restait à purger. Soit une libération prévue... en 2032. Le détenu aura alors 78 ans. «Tous les rapports de l’administration pénitentiaire étaient pourtant en sa faveur, déplore sa femme. La justice ne les a même pas ouverts. Elle s’est contentée de lire "El Shennawy - Breteuil 1975" sur son dossier. C’est de l’acharnement.»
20 ans à l'isolement
Les relations entre Philippe El Shennawy et la justice française
débutent le 8 septembre 1975. L’homme, né à Alexandrie d’un père
égyptien et d’une mère française, est accusé du braquage et de la prise
d’otages de l’agence CIC de l’avenue de Breteuil, à Paris. En 1977, El
Shennawy prend perpétuité, bien qu'il nie avoir pris part au casse, qui
par ailleurs s'est terminé sans effusion de sang. Peine ramenée à 20 ans
de réclusion quelques années plus tard. Libéré en conditionnelle en
1990, il s’installe en Corse, où il élève des lapins avec Martine,
devenue sa femme en 1987. Mais El Shennawy brave l’interdiction qui lui
est faite de se rendre à Paris, pour y voir son fils, un «bébé parloir».
15 ans de rab. Bardé d’un sigle - «DTS», pour «détenu particulièrement
surveillé» - qui le suit dans toutes les prisons du pays, il passe le
plus clair de son temps à l’isolement. Son épouse déménage une vingtaine
de fois pour rester à ses côtés.En 1997, première évasion, lors d’une permission. El Shennawy est rattrapé. Son dossier s’alourdit : recel de cartes de crédit, association de malfaiteurs... Après cinq années en hôpital psychiatrique, le détenu s'évade de nouveau en 2004. Bourré de médicaments, il «se traîne dehors, comme un animal épuisé», se souvient un soignant. On le rattrape en 2005, alors qu’il retrouve son épouse pour la Saint-Valentin. Il est condamné à dix et treize ans de réclusion, pour des vols avec armes commis lors de ses cavales. A propos de l'évasion, l’homme dit en 2008: «C’est quand on en arrive au bout de quelque chose, qu’on n’a plus d’espoir.»
«Il n’a pas de sang sur les mains»
De l’espoir, la justice en a rarement donné à El Shennawy. «Il n’a pourtant pas de sang sur les mains, regrette son épouse. On l’a jugé comme aux Etats-Unis.» Les relations avec l’administration pénitentiaire ne sont pas plus tendres. «Ils se sont faits réciproquement la misère», analyse Virginie Bianchi, une de ses avocats. El Shennawy se met par exemple en grève de la faim pendant 80 jours pour obtenir le droit d’avoir son ordinateur en cellule. En 2011, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour le traitement qu’elle lui a réservé à la maison d’arrêt de Pau. Des fouilles corporelles à nu, filmées, 4 à 8 fois par jour... «C’est un mec bardé de diplômes, qui parle plusieurs langues, très intelligent. Ça ne plaît pas», veut croire Martine El Shennawy.De fait, il y a deux Philippe El Shennawy. Le «fou furieux hyperdangereux» décrit par la BRB à l'époque du casse de Breteuil, le «fauve» dépeint par la presse lors de ses procès. Ceux qui le côtoient en prison le disent au contraire courtois et poli. Les infirmiers psychiatriques séquestrés lors de son évasion de 2004 refusent de se constituer parties civiles. «Pas violent», jugent-ils. Après la mutinerie dans la prison de Saint-Maur en 1987, un conseiller d’insertion écrit dans son rapport que l’intervention d’El Shennawy «a évité un bain de sang».
Incarcéré à la centrale de Poissy (Yvelines), El Shennawy a aujourd’hui de meilleurs rapports avec l’AP. «La pénitentiaire serait très favorable à ce qu’il ait un espoir de sortir de prison. Elle le connaît bien, elle l’a vu changer», estime Virginie Bianchi. La justice ne l’entend pas ainsi. En refusant la confusion de ses peines les plus basses avec les plus lourdes, elle a «brisé toute perspective d’avenir», rendant sa peine «ubuesque et sans aucun sens», dénonce son avocate.
«Il est barré ailleurs»
De son côté, comme depuis trois décennies, Martine El Shennawy continue de soutenir son époux. Le week-end dernier, elle lui a rendu visite au parloir, où il a fait un malaise. «Il a 58 ans, il est affaibli par ses précédentes grèves de la faim. Si on ne lui donne pas vite de lueur d’espoir, c’est la fin. En fait, j’ai peur qu’il fasse une crise cardiaque dans sa cellule», soupire-t-elle, tout en assurant parfaitement comprendre ses raisons. «Là, il en a marre, il est barré ailleurs. Et comme se suicider avec ses draps, il ne sait pas faire, il a décidé d’en finir comme ça. Si c’est son dernier combat, je l’accompagnerai jusqu’au bout.»Virginie Bianchi, elle, n’a pas abandonné. «Philippe El Shennawy a la gentillesse de me laisser me battre, souffle-t-elle. Je ne vais pas rester bêtement les bras croisés jusqu'à ce qu’il crève.» Son espoir : obtenir d’un tribunal d’application des peines le relèvement de sa période de sûreté. Autrement dit, une annulation de toute ou partie de sa période de sûreté, qui court jusqu’en 2018, pour ouvrir la voie à une libération conditionnelle. De quoi convaincre Philippe El Shennawy de s’alimenter à nouveau ? «Il faut qu’il soit sûr. Je me demande d’ailleurs comment il a fait pour tenir aussi longtemps», lâche son épouse.
Interview de Maître Julien DUBS avocat de... par LaurentJacqua
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