01 février 2010

la bonne conscience de Blair


La propagande de guerre et ses dessous pas très propres...

Publié le 1er-02-2010


Article de Robert Fisk sur les mensonges de Blair, son hypocrisie et son impunité.

"Tony Blair et sa bonne, si bonne, conscience".

Il y avait le sang qui coulait sur mes chaussures dans la salle des urgences d’un hôpital de Bagdad en mars 2003, les hurlements humains causés par des brûlures au phosphore, le vieil homme dont le sang gouttait de son orbite vide sur un mouchoir, les empilements de cadavres en train de se décomposer à la morgue de Bagdad, les cris – oh oui, les clameurs et les suppliques et le hululement animal des blessés et des agonisants. Et puis, hier, il y avait Lord Blair, assis dans le Centre de Conférences de la Reine Elisabeth II, dans son costume tellement, tellement net , avec sa cravate rouge tellement, tellement nette et sa chemise blanche tellement, tellement nette, et sa bonne, si bonne conscience. Mon Dieu, c’était pour le coup une « distinction binaire ». La différence entre l’enfer de la souffrance et l’enfer de la fausseté bienheureuse.

Il aurait fallu que vous vous trouviez au Moyen-Orient pour le ressentir avec force. Physiquement, Tony Blair n’était qu’à 2.000 miles de moi. Psychologiquement il était dans une autre galaxie, composant et recomposant le cours de l’histoire.

Prenez Al Qaida. Nous étions tous informés de cette institution particulière. Elle avait, comme Lord Blair n’a cessé hier de nous le rappeler, « tout changé » avec le 11 septembre. Ce fut une des raisons pour lesquelles les Britanniques et les Américains ont envahi l’Irak. Parce que Saddam avait des liens avec Al Qaida, à ce que prétendaient les Américains, et qu’il était susceptible de leur fournir des armes de destruction massive, à ce que prétendait Lord Blair. Mais, quand il fut avéré que ni les liens ni les armes n’existaient, Lord Blair a été surpris de voir Al Qaida resurgir après l’invasion de l’Irak : « Les gens ne pensaient pas que Al Qaida et l’Iran joueraient le rôle qu’ils ont tenu ». Lord Blair est parti en guerre à cause d’Al Qaida, mais il avait pensé qu’Al Qaida lui laisserait la victoire en Irak. Tout était donc de la faute d’Al Qaida. NOUS n’avons pas tué 100.000 Irakiens (j’ai noté qu’il mentionnait le chiffre le plus bas possible). C’étaient EUX, les terroristes, Al Qaida, les insurgés, les Iraniens, les sales types. Blair a joué le même petit jeu malhonnête au sujet de la guerre israélo-palestinienne. « C’est un problème constant pour Israël », nous apprenait-il. « Ils ripostent avec une grande force. Et avant que se passent deux semaines, on prétend que c’est eux qui ont commencé ». Pas du tout, Lord Blair. Personne n’a contesté que les roquettes du Hamas ont précédé la guerre de Gaza voilà un an. Ce dont Israël a été accusé est d’avoir causé des pertes palestiniennes scandaleusement disproportionnées. Mais, bien entendu, ce n’est pas ce qu’a dit Blair. Parce qu’il travaille à Jérusalem – où il ne peut offenser ni l’un ni l’autre bord – et que, en tant qu’envoyé au Moyen-Orient, son rôle était de prévenir ce massacre de masse. Ce qu’il a échoué à faire, tout comme il a échoué à arrêter le massacre en Irak.

Cet hiver-ci est froid au Moyen-Orient, pourtant, hier, j’ai dû de temps en temps desserrer mon col de chemise. Il semble que Blair a réussi aussi bien en Irak qu’il l’a fait à Gaza l’an dernier. Tout est en train d’aller mieux. La vie en Irak est meilleure – meilleure qu’elle ne l’était en 2007, 2003, 2002 et dans le même ordre d’idées meilleure qu’en 2001. J’ai pigé. Avant l’invasion, tout était la faute de Saddam. Après l’invasion, tout était la faute d’Al Qaida et de l’Iran. Et, selon toute vraisemblance, nous allons maintenant envahir l’Iran ?

A un moment, cet homme méprisable s’est vaniteusement réclamé de l’héritage historique de la Grande Bretagne, qui avait instauré dans les années 1920 un gouvernement irakien, mais en laissant de côté toute référence à l’insurrection massive déclenchée en 1922 contre les Britanniques à Bagdad et Fallujah, et Najaf ; ce qui aurait pu – aurait simplement pu – lui faire anticiper l’anarchie qui a suivi 2003. De temps à autre, il y avait une esquive ; ou du moins quelque chose que l’interrogatoire – ce n’est en fait qu’une enquête – laissait de côté. Alors qu’il essayait de nous faire croire qu’aucune décision n’avait été prise lors de son infâme rencontre de Crawford avec Bush, Lord Blair a soudainement lâché par inadvertance (il faisait évidemment faisait semblant de lâcher par inadvertance) qu’il y avait eu « des entretiens avec des Israéliens ». Quoi donc ? des Israéliens ? Lors de cette rencontre décisive de Crawford ? Israël était - à l’exception des USA et de la Grande Bretagne – le seul pays soutenait totalement la guerre, qui même l’encourageait.

A ma demande, un de mes amis à Jérusalem a consulté ses archives , et une « source » du ministère israélien des affaires étrangères dit à ce moment-là qu’une invasion de l’Irak « va certainement détourner les gens du dossier israélo-palestinien ». Jamais l’enquête n’a relevé cet élément qui a de quoi intriguer.

A la fin, tandis que Lawrence Freedman énumérait les pertes pour chaque année, et que je me rappelais avoir vu de mes propres yeux certains de ces morts, la tragédie irakienne s’est mise à suinter dans la salle.

Adam Price, membre du Parlement, a eu la formule juste : « Nous n’obtiendrons jamais de cet homme une parole d’excuse », a-t-il dit. Impossible, bien sûr. Parce que Lord Blair parlait de discernement, du fait qu’il était « franc », « absolument et complètement » honnête et « absolument transparent ». Il ne nous restait qu’à « nous en tenir là et à tourner la page ». Et voilà pour quoi comptent tous les morts et les blessés, et les bombes, et les corps déchirés et les viols et la torture à Abu Ghraib.

Et pourtant, une salle si exiguë pour que tout cela soit entendu ! Rien d’étonnant à ce qu’ils n’aient pas réussi à y entasser tous les Britanniques endeuillés. On n’a pas pu y convier les quelque 200 soldats britanniques qui ont péri. Et comment me demandais-je, auraient-ils fait pour amonceler dans le Centre de Conférences de la Reine Elisabeth II les âmes de 100.000 Irakiens morts ?"

Robert Fisk, The Independent

http://www.independent.co.uk/news/uk/politics/tony-blair-and-his-ohsoclean-conscience-1883656.html

(Traduit de l’anglais par Anne-Marie PERRIN pour CAPJPO-EuroPalestine)

CAPJPO-EuroPalestine

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