04 février 2010

israel se sent assiégé


Tel une victime, un ‘chien du dessous’, Israël se sent assiégé ...



Mondialisation.ca, Le 3 février 2010



Quiconque compte un tant soit peu en Israël sera venu à Herzliya, cette semaine, afin d’y assister à une conférence consacrée à la nation juive. Notre correspondant s’est joint à eux. Il y a constaté un climat d’insécurité – et de paranoïa – sans précédent.

Donc, résumons : la propagande de guerre bat son plein. Oubliés, l’invasion du Liban par Israël en 1982 et ses quinze mille tués libanais et palestiniens. Oublié, le massacre de Sabra et Chatila, la même année, perpétré par la milice libanaise, alliée d’Israël, tandis que l’armée israélienne faisait le guet. Effacé, le massacre de Qana, en 1996, avec ses cent-six civils libanais déchiquetés par une bombe israélienne, dont plus de la moitié d’enfants – et n’oubliez pas d’écraser le fichier des mille cinq-cents tués de la guerre israélienne au Liban en 2006. Ah, et puis oubliez aussi, bien entendu, les plus de mille trois-cents Palestiniens massacrés par Israël dans la bande de Gaza l’année dernière (et les treize Israéliens liquidés par le Hamas par la même occasion), des roquettes du Hamas s’étant abattues sur Sdérot. Tout ça, c’était rien, en comparaison. Israël – à en croire l’élite sécuritaire de la droite israélienne, ici, à Herzliya – est aujourd’hui confronté à une attaque encore plus dangereuse, quasiment inouïe !

La Grande-Bretagne (c’est la dernière de l’ambassadeur israélien à Londre, rien que cela…) serait un « champ de bataille », sur lequel les ennemis d’Israël voudraient « déligitimer » l’Etat juif un peu plus que sexagénaire.

Il n’est pas jusqu’à ce vieil ami d’Israël, cet excellent juge juif Richard Goldstone, qui ne soit devenu, pour reprendre les propos d’un des partisans juifs américains les plus rabiques d’Israël, j’ai nommé Al Dershowitz, un « traître absolu pour le peuple juif » et « un homme mauvais, abominable » (Dois-je préciser que cela a fait les manchettes des quotidiens israéliens, hier ?).

‘Israël assiégé’ : tel était le thème redouté, familier et désespérément mal compris choisi par la Xème conférence d’Herzliya, qui a réuni hier dans cette ville des diplomates, des hauts-fonctionnaires, des gradés de l’armée et le gouvernement israéliens.

Israël le chien-de-dessous. Israël la victime. Israël dont l’armée ultrasophistiquée et plus-morale-qu’aucune-autre-armée-au-monde encoure désormais le risque de voir ses généraux arraisonnés pour soupçons de crimes de guerre, au cas où ils oseraient poser un pied sur le sol européen.

Plût au Ciel que jamais des officiers israéliens n’eussent jamais été accusés de quelconques atrocités ! Le Jerusalem Post d’hier arborait une photo de la chef du parti Kadima, Tzipi Livni, contemplant une affiche, dans une rue de Cracovie, la caricaturant comme « recherchée pour des crimes de guerre perpétrés à Gaza ». Oubliez qu’elle n’a pas bougé le petit doigt, alors qu’elle était ministre des Affaires étrangères (rien que cela) quand les Israéliens bombardaient Gaza au phosphore. Toutes ces actions judiciaires à l’encontre d’Israël étaient un abus, un détournement délibéré du droit international visant à déligitimer l’Etat d’Israël – comme d’ailleurs toutes les autres condamnations d’Israël, par le passé. Ben voyons…

L’actuelle crise d’identité est une véritable tragédie, pour Israël – mais pas de la façon dont son gouvernement actuel de droite le suggère.

Je ne m’en souviens que trop bien : après l’invasion désastreuse du Liban, en 1982, une énorme conférence, réunie à Londres, se creusa les méninges pour savoir à quel moment la propagande israélienne avait merdé. Qui en a quoi que ce soit à foutre, du massacre de Libanais et du nombre croissant de pertes militaires israéliennes ? Comment le message israélien a-t-il pu ne pas passer ? Là voilà, la question qu’elle était bonne ! Comment s’était-il fait que la presse antisémite avait pu s’en tirer à si bon compte avec une telle calomnie ? C’était le forum-clone de la confabulation de Herzliya, cette semaine (ou plutôt, l’inverse…)

Aujourd’hui, nous sommes priés d’oublier l’Opération Plomb Coulé contre Gaza et ses victimes équarries à la sauvage. L’on nous somme de condamner le Rapport Goldstone, en raison de ses mensonges abjects – l’armée du Bien aurait commis des crimes de guerre contre les terroristes du Mal : vous imaginez ?! – et de bien prendre conscience du fait qu’Israël, comme d’hab’, ne voulait qu’une seule chose : la paix.

En réalité, Israël a commis toute une série de funestes erreurs diplomatiques. Je ne parle pas ici de l’humiliation infligée à l’ambassadeur de Turquie par le vice-ministre des Affaires étrangères israélien Danny Ayalon – tiens, au fait, lui aussi, il était là, à Herzliya… Je ne fais pas non plus allusion aux plaintes abusives de Ron Possor, l’ambassadeur d’Israël en Angleterre, selon qui, en temps de crise, il y aurait eu « une cacophonie de voix discordantes émanant d’Israël », et non pas, comme souhaité, un seul son de cloche.

Non. La plus grave erreur qu’ait commise Israël, ces dernières années, fut son refus de contribuer au rapport Goldstone sur le massacre de 2008-2009 à Gaza, que le quotidien Haaretz a qualifié de « boycott inconséquent ». Un désastre, selon la gauche progressiste (eng. liberal, ndt) israélienne, qui a (à juste titre) décela que cette non-coopération situait Israël au même niveau que le Hamas.

J’ai assisté des heures durant à la conf’ d’Herzliya – elle se conclura par l’intervention corroborative pour les masses du Premier ministre Benjamin Netanyahu, demain soir – et je puis vous dire que le Rapport Goldstone a parcouru (et la crainte de la « dé-légitimation » afférente) a parcouru la quasi-totalité des débats, tel un fil rouge.

J’étais assis à côté d’un étudiant israélien préparant un PhD, hier. Il hochait la tête, désespéré : « Mes amis et moi, nous sommes en proie à un terrible désarroi, lorsque nous entendons ce genre de déclaration venant de notre gouvernement… »

« Que pourrions-nous dire ? Que pourrions-nous faire ? » C’était un commentaire ô combien éclairant. N’est-ce pas ce que des millions de Britanniques avaient dit lorsque Tony Blair les avaient embarqués dans une guerre par son flot de bobards, en 2003 ?

Un des moments les plus pathétiques, à Herzliya, fut celui où Lorna Fitzsimons, ex-députée du parti Travailliste et aujourd’hui chef du Bicom, une boîte à idées pro-israélienne basée en Angleterre, a fait observer que « l’opinion publique n’influence pas la politique étrangère britannique. La politique étrangère est (chez nous) une question réservée à l’élite ».

Occupez-vous de l’élite, et la plèbe suivra : tel était le sous-entendu. Elle a conclu : « Nos ennemis nous traînent devant des tribunaux internationaux, où nous ne disposons pas d’un contrôle suprême… »

Et ça, en un sens, ça résumait tout. La légitimité internationale, c’est ce dont Israël a besoin. En tant qu’Etat, c’est légitime. Cet Etat a d’ailleurs été créé par un vote des Nations Unies. Et comme l’a dit l’historien israélien Avi Shlaim, sa création a peut-être été injuste – mais elle était, en tous les cas, légitime. Pourtant, quand une équipe de juristes internationaux invita Israël à participer à son enquête, M. Netanyahu a opposé un « Lô ! » catégorique…

C’est en ce sens que la guerre de Gaza a démontré ce qu’il y a de si profondément troublant dans le corps politique israélien actuel. Il veut que le monde entier reconnaisse sa démocratie – aussi biaisée puisse-t-elle être – mais il refuse de rejoindre le reste du monde lorsqu’on lui demande de rendre des comptes sur son comportement à Gaza. Il prétend être une lumière parmi les nations, mais il ne laisse personne examiner cette lumière de près, examiner quelle est l’huile qui l’alimente et regarder précisément ce que cette lumière illumine…

Goldstone par-ci, Goldstone par-là, et encore Goldstone, là-bas ! L’éminent juge qui a si courageusement exigé la justice pour les victimes assassinées et violées des Serbes, dans la guerre en Bosnie – et dont la bravoure avait enthousiasmé le monde, Israël compris, à l’époque – a été sur toutes les lèvres de chaque apologiste du gouvernement israélien, à Herzliya.

Tzipi Livni n’a pas fait exception : elle en a parlé. Yossi Gal, le directeur général du ministère des Affaires étrangères, itou. Il a évoqué « la tentation d’utiliser le Rapport Goldstone pour pousser Israël sur la touche de la légitimité ». Malcolm Hoenlein, de la Conférence des Présidents des Plus Grandes Organisations Juives Américaines en a fait de même. Il a fait observer que l’administration américaine avait été « outrageusement coopérative » (comprendre qu’elle a outrancièrement rejeté le Rapport Goldstone). Même le mini-ambassadeur américain en Israël (il me fait penser à une petite souris…), James Cunningham, a suggéré l’idée selon laquelle le Rapport Goldstone serait utilisé afin de tenter de délégitimer Israël.

C’est quoi, ce délire ? Après le massacre des Palestiniens de Sabra et Chatila, Israël avait désigné une commission d’enquête gouvernementale. Le rapport de cette commission, la Commission Kahan, n’était pas parfait – mais quel autre pays du Moyen-Orient aurait ainsi examiné ses fautes avec un tel courage ? Elle avait qualifié de « personnelle » la responsabilité du ministre de la Défense, à l’époque, Ariel Sharon : c’est lui qui avait envoyé les milices libanaises dans les camps. Ce rapport n’avait pas éteint la faute d’Israël, mais il avait apporté la preuve qu’il s’agissait d’un Etat digne de ce nom, d’un Etat qui était prêt à affronter son massacre avec sincérité, et non pas avec effronterie.

Hélas, il n’est aujourd’hui aucunement question d’une quelconque Commission Kahan. Aucun procès pour les crimes perpétrés à Gaza ! Juste un coup sur les doigts de deux officiers ayant utilisé des bombes au phosphore et une plainte contre un soldat, pour le vol de plusieurs cartes de crédit.

Il se trouve que j’avais rencontré Goldstone peu après sa nomination à la tête du tribunal de La Haye, chargé de juger les crimes de guerre perpétrés en ex-Yougoslavie. Cet homme manifestement honnête et respectable m’avait dit que le monde était fatigué de laisser des gouvernements perpétrer des crimes de guerre dans une totale impunité. C’est bien entendu de Milosevic qu’il parlait… Il a écrit un livre allant dans le même sens, qui fut chaudement accueilli en Israël. Mais aujourd’hui, il incarne le séisme qui gronde au-dessous de la légitimité d’Israël.

Je suis tombé sur un colonel de l’armée de réserve israélienne éminemment sensé, Shaul Arieli, au siège de son ONG, à Tel Aviv, hier après-midi, et nous avons discuté des tentatives de mettre aux arrêts des officiers israéliens, pour crimes de guerre, au cas où ils se rendraient en Grande-Bretagne ou dans tout autre pays européen.

« Tout cela est beaucoup plus embêtant, pour nous, aujourd’hui, qu’il y a seulement quelques années », m’a-t-il expliqué. « Nous sommes effrayés par cette tendance, qui se dessine, à la suite de l’opération Plomb Fondu. Cela affecte l’image d’Israël dans le monde entier, et pas seulement pour les officiers de l’armée. S’ils devaient être condamnés, cela démonterait que l’Etat d’Israël n’est plus en mesure de protéger ses soldats. Je suis certain que le Rapport Goldstone joue un certain rôle, dans cette situation… »

Tout cela tend à suggérer l’idée que Le véritable séisme, sous les pieds d’Israël, le véritable danger, pour son image, son statut et sa légitimité, c’est une nation ayant pour nom : ‘Israël’… »



Article original en anglais : http://www.independent.co.uk/opinion/

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