Un tribunal vicié : l’autre guerre d’Israël contre le Liban
mardi 2 novembre 2010Jeremy Salt
Palestine Chronicle
Palestine Chronicle
Les scènes incroyables qui se sont déroulées cette semaine dans une clinique gynécologique obstétrique de la périphérie sud de Beyrouth ont placé une nouvelle fois sous les projecteurs l’action du Tribunal spécial des Nations-Unies pour le Liban (TSL), créé pour mener l’enquête sur l’assassinat de Rafiq Hariri.
L’assassinat de Hariri a servi seulement les intérêts des USA et d’Israël
Les enquêteurs du TSL se sont présentés à la clinique de la docteure Inam Charara en exigeant qu’il leur soit donné accès aux dossiers des patientes en remontant jusqu’à 2003. Plus précisément, ils voulaient les adresses et les téléphones de 17 d’entre elles. La présence des enquêteurs du TSL dans la clinique de la doctoresse a semé le trouble parmi les femmes qui attendaient pour leur rendez-vous. D’autres femmes sont arrivées de cliniques extérieures et une altercation a éclaté. Finalement, les enquêteurs ont été mis dehors, mais après qu’ils aient pu s’emparer d’un ordinateur, d’un porte-documents, de téléphones portables et de livres de comptes. Cet épisode soulève de nouvelles interrogations sur le rôle du TSL. La périphérie sud de Beyrouth est à majorité chiite et beaucoup des patientes de la clinique de la Dre Charara sont des épouses, des filles ou des mères de dirigeants du Hezbollah. Ce que le TSL espérait y trouver, il reste le seul à le savoir.
La demande d’informations sur des dossiers médicaux contrevient au principe de confidentialité entre médecin et patient et ce dans tous les pays, elle ne serait jamais autorisée ni aux Etats-Unis ni dans aucun pays d’Europe, et si elle l’était, ce serait par exception dans le cadre d’une exécution obtenue d’un tribunal. Au Liban, cette demande n’était même pas faite par un organisme gouvernemental mais par une organisation extraterritoriale qui s’est présentée à la clinique avec rien d’autre que l’autorité des Nations-Unies. La demande était d’autant plus scandaleuse qu’elle se faisait dans un milieu de culture musulmane conservatrice. L’homme musulman ne permet même pas à sa femme de consulter un médecin homme. La plupart des femmes musulmanes ne veulent être examinées que par des doctoresses et cette intrusion d’hommes dans une clinique gynécologique était par elle-même indiscrète et indélicate.
Dans un discours prononcé immédiatement après les faits, Hasan Nasrallah a appelé au boycott total du TSL (*). Il a déclaré que le TSL avait demandé, et obtenu, l’accès à la base de données de tous les étudiants (libanais et étrangers) des universités privées du Liban de 2003 à 2006, mais en laissant ouverte la question de savoir si les dossiers des étudiants des universités publiques avaient également été remis au TSL. Il dit aussi qu’il avait été demandé des indications détaillées sur les empreintes digitales et les passeports de tous les ressortissants libanais, mais qu’en raison d’un différend entre responsables du gouvernement, seules les données concernant 893 personnes avaient été livrées. Le TSL a également demandé tous les dossiers de télécommunications notamment les messages SMS, ainsi que les dossiers ADN tenus par les organismes gouvernementaux, les relevés topographiques couvrant tout le pays et même la liste des abonnés à l’électricité. Selon Nasrallah, il n’y a aucun secteur du Liban qui n’ait été investi par le TSL. Il affirme, en outre, que tout le matériel récupéré par le TSL a été transmis à des services de renseignements occidentaux et à Israël. Si on se base sur la transmission, notoire, à Israël des informations rassemblées par les équipes des Nations unies chargées d’inspecter l’armement en Iraq, dans les années 1990, il n’y a aucune raison de douter que ce qu’il a dit ne puisse être vrai.
Le Liban est une fois encore devenu le point central d’une lutte de pouvoir, mondiale et régionale. Avec d’un côté, l’association inhabituelle de la Syrie et de l’Arabie saoudite, essayant de préserver la stabilité entre sunnites, chiites et chrétiens, et de l’autre, Israël et les Etats-Unis, faisant de leur mieux pour détruire le Hezbollah en déstabilisant le Liban. L’accusation des membres du Hezbollah est l’arme de pointe de leur arsenal.
Depuis le début, des questions se posent sur le rôle du TSL - que certains voient comme à l’opposé en réalité de son rôle officiel. Le rapport du premier procureur, Detlev Mehlis, n’a été qu’une critique virulente, une grotesque parodie de l’enquête qu’il aurait fallu conduire. Il n’a même pas essayé de prendre en compte tous les suspects possibles, ce qui, naturellement, aurait inclus les Etats-Unis et Israël. Il est allé droit sur la Syrie. Sa « preuve » se basait principalement sur la spéculation et des relations douteuses. Où son rapport a eu quelque apparence de solidité, c’est dans les traces des appels sur les téléphones portables de ceux qui étaient supposés impliqués dans l’assassinat de Hariri. Sur cette base, quatre responsables libanais des renseignements et de la sécurité ont été poursuivis et emprisonnés pendant quatre ans, pour n’être libérés que lorsqu’ils furent transférés de sous la garde du gouvernement libanais à celle du TSL, parce que la preuve n’avait pas résisté. C’est à ce moment que le TSL a tourné son attention vers le Hezbollah.
Il s’est avéré alors que, soit le TSL a été abusé par des faux témoins, soit il les a utilisés contre la Syrie. Il s’est avéré encore qu’Israël, à l’époque où Hariri a été assassiné, avait infiltré les réseaux des deux principaux fournisseurs du Liban en télécommunications et qu’il avait ses propres agents au sein de ces organisations. Cette infiltration n’a pas seulement permis à Israël de contrôler tous les appels sur portables au Liban mais d’en fabriquer, et à partir de là, toutes les preuves issues des communications, rassemblées par le TSL, doivent être considérées comme viciées. En outre, le Hezbollah a récemment rendu publiques ses interceptions de la surveillance aérienne israélienne, montrant que Hariri avait été suivi lors de ses déplacements entre ses domiciles à Beyrouth Ouest et dans les montagnes, et le siège du Parlement et ce, jusqu’au jour de son assassinat. Cette surveillance s’opérait notamment quand il circulait sur cette route côtière où il est tombé dans le piège qu’on lui avait tendu. Nasrallah affirme également qu’un avion Awacs israélien tournait au-dessus de Beyrouth Ouest au moment de l’assassinat et qu’un agent israélien, qui par la suite a fui le pays, était effectivement sur les lieux quand la bombe a explosé.
Les prétentions du TSL à la crédibilité et à l’impartialité sont clairement remises en causes - fatalement selon beaucoup - par son recours à des faux témoins et les preuves venant d’un système de communications déstabilisé. Pourtant, ces questions, il ne les aborde pas. Ni la preuve manifeste qu’Israël a gardé sous sa surveillance les déplacements de Hariri dans Beyrouth Ouest jusqu’à sa mort, et qu’effectivement, Israël avait un agent sur les lieux de l’attentat. Faisant fi de tout cela, le tribunal va directement sur le Hezbollah, en sachant parfaitement que sa mise en accusation peut amener le pays à se déchirer. Que la preuve se fonde une fois encore sur des faux témoins, pour lui ce n’est pas la question, parce que quand la vérité sera établie, les dégâts auront été causés.
De hauts responsables US, dont Hillary Clinton, ont fait de nombreuses visites au Liban ces derniers mois. Naturellement, ils ont mijoté quelque chose. Ils veulent la tête du Hezbollah, sur un plateau, et le plus vite possible. Le Libanais qui penserait qu’ils veulent le bien du Liban serait un idiot. Incapable d’anéantir le Hezbollah par la guerre, la stratégie israélo-américaine vise maintenant à le détruire de l’intérieur, même si le prix, que bien sûr ils n’auront pas à payer, en est le retour des troubles au Liban. Leur arme pour cette agression, c’est le TSL, qui, en refusant de traiter des questions qui remettent en cause sa crédibilité, ne fait que renforcer la perception que, volontairement ou non, il n’est qu’un outil de la politique des Etats-Unis. L’assassinat de Hariri, qui a été un coup de maître, n’a servi que les intérêts des Etats-Unis et d’Israël. Même si l’identité de la personne qui l’a assassiné, ou de l’Etat qui a programmé son assassinat, reste encore inconnue, c’est au moins, et c’est beaucoup, ce que l’on peut dire sans se tromper.
Jeremy Salt est maître de conférences en histoire et politique du Moyen-Orient à l’université Bilkent à Ankara, Turquie. Auparavant, il a enseigné à l’université du Bosphore à Istanbul et à l’université de Melbourne, au Département des études et des sciences politiques sur le Moyen-Orient. Le professeur Salt a écrit de nombreux articles sur le Moyen-Orient, en particulier sur la Palestine, et il a été journaliste pour The Age alors qu’il habitait Melbourne.
Il a rédigé cet article pour PalestineChronicle.com.
Ankara, le 30 octobre 2010 - The Palestine Chronicle - traduction : JPP
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire